Une histoire incroyable (4 & fin)

Résumé des épisodes précédents (là, le 1 ; ici le 2 & puis  là le 3):  les exécrables jeux de mots de Quoi-de-Neuf ont fait perdre le fil de son histoire à Raconte-Encore, qui tentait d’expliquer pourquoi, libraire, il a envoyé un cheval amateur de poésie à la bibliothèque :

 

« Bon. Où en étais-je ? Ah oui, je cogitais : insurrection poétique plus Prévert plus cheval égale…. égale…. égale…. Et soudain, Euréka ! Je dégotte, planqué derrière le rayonnage, le cheval dans une île, et je me mets à lire : Celui-là c’est le cheval qui vit tout seul quelque part très loin dans une île. Il mange un peu d’herbe ; derrière lui, il y a un bateau, c’est le bateau sur lequel le cheval est venu, c’est le bateau sur lequel il va repartir.

Je marque une pause, un peu surpris que le cheval ne m’ait pas encore interrompu. Non, la tête inclinée, la mâchoire posée sur son antérieur droit, l’oreille inclinée, la crinière pensive, il est attentif. Je reprends donc : ce n’est pas un cheval solitaire, il aime beaucoup la compagnie des autres chevaux, tout seul, il s’ennuie, il voudrait faire quelque chose être utile aux autres.
Et, deux lignes plus loin, voilà l’appel à l’insurrection : Son grand projet c’est de retourner chez les chevaux pour leur dire: « Il faut que cela change ».
Le cheval – celui du magasin, pas celui du poème, bien sûr – m’écoute en silence jusqu’à la fin, où les hommes disent en haussant les épaules : « Ce n’est rien. C’est des chevaux ». Mais ils ne se doutent pas de ce que les chevaux leur préparent.

Là, il piaffe d’aise, et me dit que c’est bien ce truc-là qu’il a entendu à la radio ! Je me dis que l’affaire est dans le sac, enfin, plutôt dans les fontes, mais il me demande si ce Prévert a écrit autre chose. J’ouvre Paroles, pile à la page du cheval rouge :

Dans les manèges du mensonge
le cheval rouge de ton sourire
tourne
et je suis là planté
avec le triste fouet de la réalité
et je n’ai rien à dire
ton sourire est aussi vrai
que mes quatre vérités.

Hé bien, Prévert, c’est décidément son type ! Il me prend le bouquin des mains, le coince entre ses sabots et s’applique à déchiffrer en tournant la tête pour lire d’un œil, puis de l’autre : naturellement, il commence par les poèmes de chevaux, ceux de la fête foraine, celui du général… sitôt une page achevée il regarde le texte suivant, passe tout naturellement aux autres animaux, la baleine de la pêche à la baleine, le raton-laveur de l’inventaire, les escargots de l’enterrement de la feuille morte, l’oiseau du portrait de l’oiseau ; puis vient le tour des bonhommes : le cancre, Barbara, et ça ne s’arrête plus ; pas de doute, ça lui plait, il s’ébroue de contentement, il s’en faut peu pour qu’il encense ma boutique ! Et tu l’aurais entendu ! Chaque poème est encore plus beau que le précédent, encore plus vif, plus franc, plus poétique, encore mieux, quoi !

Le hic, c’est qu’une fois le bouquin achevé, il en veut encore. Sauf que dans ma librairie, entre les arrivages des nouveautés du printemps et les invendus des fêtes de Noël, j’ai pas la place d’avoir cent mille milliards de poèmes… enfin, si, celui-là je l’ai, mais c’est Queneau, pas Prévert. Mais je m’embrouille ; bref, de Prévert, je n’ai que le Cheval dans une île et un exemplaire de Paroles en magasin. Comme je explique ça au cheval, il prend le mors aux dents et me fait un tel foin qu’en désespoir de cause j’ai du l’envoyer à la bibliothèque municipale. Eux, ils doivent avoir l’intégrale puisqu’ils ne sont pas forcés de vendre leurs bouquins !

J’imagine qu’à l’heure qu’il est, il doit être dans la salle de lecture, en train de lire Histoires, Spectacle, La Pluie et le beau temps, Fatras, Imaginaires et les autresN’importe, j’aime autant ne pas être là quand il arrivera au bout de La Cinquième Saison ! Parce qu’après les recueils posthumes, même les bibliothécaires vont avoir du mal à lui trouver du nouveau…

Quoi-de-Neuf, qui aime bien avoir le dernier mot, trouve malin de conclure :

– Décidément, même pour un cheval, le verbe est toujours plus vert dans le Prévert d’à côté. »

*  *  *

L’auteur, Raconte-Encore et Quoi-de-Neuf précisent que s’ils partagent le goût du cheval pour la poésie de Jacques Prévert, ils lui laissent l’entière responsabilité de ses jugements, quelque peu cavaliers – ce qui est d’ailleurs un comble – sur les autres auteurs cités.

25 commentaires

  1. on ne sait plus à quel saint se vouer
    on ne sait plus que dire
    on ne sait plus que penser
    on ne sait plus comment tout ça va finir
    on ne sait plus ou on en est
    vraiment
    ce petit cheval fait « La Pluie et le Beau Temps  » 😉
    c’est le bibliothécaire qui va être content
    de ce client si exigeant !!!!

  2. Mais c’est que je finirai par trouver sympathique ton cheval s’il se met à aimer Prévert. 🙂 C’est peut-être, voire le seul poète qui me « parle » toujours autant !
    Merci pour la balade de tes mots. J’ai beaucoup aimé suivre ton conte au fil de ton humeur 😉

  3. Je repasse tout lire, un peu absent par labeur … je relirai tout d’un bloc ; ca sera encore plus chouette.

  4. Un cheval qui aimé Prévert ne peut pas être totalement mauvais 😉
    On voit que tu as bien observé ces quadrupèdes  » , la tête inclinée, la mâchoire posée sur son antérieur droit, l’oreille inclinée, la crinière pensive, il est attentif. »
    Bisessss

  5. Tant que ça ne lui donne pas une fièvre de cheval ! Hé bien quelle histoire équine rondement menée par les sabots ! Mais dis-moi, tu aurais pu participer au jeudi poésie d’hier ! 😦 J’aime beaucoup Prévert et là tu nous as gâtés ! 😉

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