Histoire de Ramasse-Miette le petit coq

Au début, personne ne l’a remarqué, ce coq.
Bien perdu qu’il était, minuscule même dans la foule des frais pondus du jour à peine débarrassés de leur duvet jaune et maigres à peau-que veux-tu, qui à qui mieux-mieux jouaient de l’ergot, chantaient plus fort que le voisin, déployaient leur rêves de crête et se haussaient du col.
Celui-là ne faisait rien pour qu’on le remarque.
Déjà – même si c’est facile de faire des prédictions après-coup – ça aurait dû faire comprendre qu’il était différent.
Et que faisait-il, alors ?
Franchement, rien du tout, attendant que le soleil monte pour se réchauffer quand il faisait frais, dormant à l’ombre s’il faisait trop chaud.
Gringalet, un peu empoté, sans malice.

Habile seulement quand il s’agissait de manger.
Il donnait alors sa pleine mesure.
Jamais on n’avait vu une gamelée de quoi-que-ce-soit s’évaporer aussi vite !
Kilo d’haricot, setier de blé, picotin d’avoine, fourchée de fleurs de carotte, livre de barbe de salade, ballotin de brin de paille, tout disparaissait dans son bec en moins de temps qu’il n’en faut pour cligner d’un cil !
La curiosité et le cancanage ont bientôt joué leur rôle et la réputation du coquelet ramasse-miette a commencé à croître au delà de la basse-cour.
Même que les fermiers se sont mis à lui donner leurs rogatons, les fonds de plats et les assiettes à finir et jusqu’aux vieux sacs élimés du moulin.
Ni une ni deux, il vous essuyait ça en un claquement de bec, et allez savoir par quel miracle il ne grossissait pas d’une plume, à se demander où passait tout ce qu’il dévorait !
Oh, un vrai phénomène de foire !

Presto, comme de juste, un petit cirque ambulant qui passait là l’embauche, et il a bientôt droit aux affiches sur les murs avec son nom de scène, Ramasse-Miette en lettres hautes et larges comme ça.
Question costume de scène, il avait une grande serviette blanche et une toque de maitre-queue en papier.
Rien que pour le voir manger, les gens venaient de loin, apportant même des plats qu’ils n’auraient jamais osé préparer pour eux, juste pour le plaisir épaté de le voir engloutir tourtes, rôti, vol-au-vent, pommes de terre à l’ail !
Spectacle après spectacle, sa réputation s’accroissant, les basses-cours venaient en nombre soutenir leur champion ; oh, pas sans arrière-pensée.
Toutes les représentations, à guichet fermé, voyaient les premiers rangs occupés par des canetons gloutons qui espéraient – même pas en rêve – ramasser quelques miettes, un simple grain de sel.
Un soir après l’autre, les poules lui lançaient des œillades et des cotcot langoureux, piaillant sec, chacune rêvant de romance, d’idylles merveilleuses, se voyant déjà l’élue ; cette folie déclenchait de belles prises de becs dans les basses cours, ponctuées d’aïe ouille aïe !

Villages, hameaux, bourgades défilaient, les affiches, l’affluence croissaient, mais le petit Coq, indifférent aux querelles des belles de poulailler, se fichant bien de l’émerveillement qu’il semait, veillait simplement à nettoyer les gamelles parsemées par le public sur le sable de la piste ronde.
Wurzt, apfelstrudel, cheesecake à la menthe poudré de coriandre (on venait désormais de l’étranger pour admirer l’appétit du minuscule coquelet) aussi bien que cassoulet aux haricots blancs, choux farci d’olives, pissaladière à l’anchois….et même une curieuse recette de tarte au poireau très locale et nappée d’une d’une chapelure sciure de bois en guise de farine, rien ne lui résistait.

« Xylophage », qu’il était le coquelet, a dit le pharmacien, et le maître d’école d’ajouter qu’il faudrait mieux dire panphage ou holophage, ou omnivore, qui mange tout en grec et en latin, mais bon, grec ou latin, le mot ne changeait rien à la chose.
Y a quand même des jaloux – comme sont les gens ! – qui ont essayé de lui tendre des pièges, un soir, avec des ragouts mal cuits, de la salsepareille mêlé de graine d’aconit, des salades de millepertuis aromatisées au ricin ou au laurier rose, en faisant des paris sur ce qu’il mangerait, ce qu’il laisserait et si c’est cette fois ci qu’il calerait enfin, tant chacun est toujours expert en tout ce qu’il ne sait pas !

Zou, cette fois-là, ceux qui pensaient que leur brouet maudit lui tordrait l’estomac pendant la nuit en ont encore été pour leur peine ; et ce que personne n’avait vu venir – on l’a découvert seulement après le départ du petit cirque – c’est qu’au matin, Jeanne, beauté entre toutes les canes des mares et des étangs du canton, serait partie avec le petit coq ramasse-miette, partie pour toujours, filant le parfait amour dans la petite roulotte tirée par Martin, l’âne.

 

 

 

 

***

Pour les Plume d’Asphodèle sur le thème du grain, Émilie voulait qu’on emploie les mots suivants : sac, moulin, beauté, poule, folie, veiller, malice, essuyer, sel, sable, blé, papier, parsemer et peau. Pour le plaisir du jeu, j’ai ajouté un alphabet et un coq-à-l’âne qui va – tout simplement de coq à âne (en passant par col, cil, ail, aïe). Et puis j’ai écrit en écoutant Ben seni evdugumi, joué au ukulele et au ney (voir cidsous) par mon ami musicien voyageur imaginaire.

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illustration tout en haut : Prosper-Alphonse Isaac, CoqBnF/Gallica

52 commentaires

  1. J’aime vos contes !
    Mais le menu annoncé laissa forcément des traces dans le cerveau du coquelet : « de la salsepareille mêlé de graine d’aconit, des salades de millepertuis aromatisées au ricin ou au laurier rose ».
    C’est une belle idée que de prendre une cane pour s’enfuir, ça permet de marcher sans effort jusqu’au bout du monde…

  2. La contrainte s’accorde bien à votre feinte paresse…cher monsieur du Carnet 😉 Et on a plaisir à laisser filer le petit coq et sa jolie Jeanne, à la fin. (Maintenant, je vais faire à manger, tiens, au cas où ils passeraient par chez moi!)

  3. Je me disais bien que cette histoire de coq finirait quelque part, et avec brio, pardi ! Ce n’était pas vrillée comme cette histoire de passer du coq à l’âne.

    • Merci bizak ; en fait, c’est le jeu du coq-à-l’ane qui, en m’obligeant à finir avec l’âne, m’a demandé de lui trouver un rôle. D’ou la roulotte et la fuite avec la cane 🙂

  4. Commentaire écrit en écoutant Ben seni evdugumi…
    Voilà qui permet de poursuivre, tout en tendresse, l’idylle de Ramasse-miettes et de Jeanne…
    Mais se marièrent-ils, tous les deux, pour avoir de nombreux enfants ?
    Chapeau, monsieur le conteur, pour cette belle histoire. Et merci ❤

    • La musique est essentielle dans cette histoire ; c’est elle qui me l’a raconté 🙂
      « se marièrent-ils »? l’histoire ne le dit pas. Et la couvée de coquanetons ? on n’en sait pas plus…pour l’instant. mais s’ils ont l’appétit du coquelet, ça va ruiner les cuisines de la contrée !

  5. La musique des mots se marie parfaitement à celle des instruments…
    J’ai rêvé de ce petit coq.
     •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

  6. C’est comme toujours très bien écrit. Ça m’a évoqué de bons souvenirs de « La Célèbre Grenouille sauteuse du comté de Calaveras. »

  7. J’ai lu une première fois avant de voir qu’il y avait l’accompagnement musical. Alors j’ai relu et c’était encore meilleur. Belle échappée que ce conte où la musique rend les mots plus vivants encore… et inversement 🙂

  8. Texte follement agréable à lire, avec en prime cette musique qui apporte, si je puis me permettre, son grain de sel 🙂 ! Un exercice de style que j’adore (lire et faire), et parfaitement exécuté, les mots se fondent avec aisance, et il y a de sacrées trouvailles ! Au plaisir de continuer ces carnets peu paresseux ! Sabrina

  9. A la ramasse, je viens mettre mon grain de sel.
    De la musique avant toute chose pour écrire ?
    Ce n’est point dans mes dispositions, hélas.
    Le coq et la cane, duo des Parques ?

    Toujours un plaisir de vous lire.
    😃

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