C’étaient de très grands vents sur toutes faces de ce monde.
L’un monte vers les crêtes, s’appuie sur les collines, pille le verger, vide l’étang du voisin aussi bien que la mer morte (passe au dessus des prés une nuée folle de cerises mêlées de petits poissons) ; l’autre, qui courbe la vallée, plie les bosquets, ravage les blés en herbe, bat la moisson au champ et fauche l’orge sur pied.
Celui-là, qu’il morde la terre, gifle les arbres et prenne les toits à rebrousse-tuile ; que le suivant torde la pierre et l’éparpille.
Plante, homme, roc ou bête, que faire (ni honte, ni rage ni bonté n’y peuvent mais) sinon qu’on s’arque boute.
A leurs cris on ne sait rien opposer de mieux qu’un silence.
Les cigales même arrêtent leur drôle de morse.
Les vastes bourrasques tirent les bras, claquent le torse, étouffent les mots au ras des bouches – à peu qu’elles dévissent les têtes.
La brute qui virevolte rabote le sol, terse le labour mieux qu’une charrue, épierre les talus, vole la terre à même le roc.
Et puis la rafale se fait risée, s’amollit et son grand cri retombe.
Alors dans le silence revenu on entend seulement entre les aubiers tremblants le petit chant de l’eau d’un ruisseau qui bruie.
Et, avant la prochaine bourrasque, le monde mis à nu par les grands vents retrouve souffle, croit renaître meilleur et même qu’il a changé : mais c’est tout juste s’il reprend son bruit.
***
L’agenda ironique, chez la Jument Verte, demandait une mise à nu, tandis que la Licorne proposait de changer le monde. Ne sachant quel thème choisir, ni quel coq à l’âne choisir, j’ai mêlé les deux en entortillonnant deux boucles : monde-morde-morse-torse-terse-terre et monde-monte-bonté-boute-brute-bruie-bruit (j’ai glissé quelques fausses pistes et peut-être laissé des erreurs). Paresseux, j’ai emprunté la première phrase à Saint-John Perse.
illustration : après le passage du cyclone sur Port-Douglas le 16 mars 1911, State Library of Queensland.
L’Histoire ne fait pas leçon, jamais, et jamais non plus l’homme ne s’améliore…
Oh, l’homme s’améliore sûrement un petit peu, de temps en temps (je suis de nature optimiste 🙂 )
Je m’aperçois que je suis la seule à avoir pensé à une guerre… Je dois faire une overdose d’infos…
Non, moi aussi, j’avais ça en tête ; et aussi la pluie d’infos qui nous sature…
mais bon, une lecture météorologique et paisible est aussi possible 🙂
Ah, j’en suis toute tourneboulée d’émotion ! Ca m’a mis la tête à l’envers, embroussaillé ma tignasse, entortillé mes volants et désordonné mes synapses. Bref, je suis bouleversifiée : c’est très beau, ton texte, oh faux Paresseux.
Merci Anne !
Bon jour,
Vous avez dompté ce temps furieux à la volonté assurée de l’écrit et attisé votre encre sur les lignes redoutées et affronté enfin cette ruée du temps pour servir un tableau de belle … eau. Bravo !
Max-Louis
Merci Max-Louis ; je me suis surtout amusé à imaginer ces grands courants d’air !
Belle lecture au petit matin
Merci !
J’ai senti sur mon visage, le grain des poussières chahutées…
Merci beaucoup !
attention aux poussières chahutées (ça pique les yeux)
merci !
J’en suis toute ébouriffée !
🙂
« à rebrousse-tuile » J’adore cette image !
moi aussi ; elle m’est venue un peu tard, j’ai du reprendre le texte pour lui trouver une place !
merci
ça aurait été dommage de ne pas l’utiliser !
Ebouroufflifiant. L’esprit du vent, dans une superbe envolée.
Ebourouffflifiant ? ça soufflouffle !
On ne peut pas te reprocher de manquer de souffle! 😉
Je ne suis pas Zéphyr ou Aquilon, j’ai juste regardé et pris des notes 🙂
Tu ne manques pas d’air…ni d’idées folles… et entremêlant deux vents contraires, tu nous fais valser le coq sur l’âne et le tout par-dessus les toits ! 🙂
Quel ouragan !
un coq sur le toit et un ane dans le cerisier ! ça fait penser aux musiciens de Brême dans une version tête en l’air !
Des petits poissons aux cerises ! 😀 Epoustouflant ! C’est peu de dire que ça décoiffe !
Et ça ressemble presque à une recette anglaise 🙂
😂😝
Je dirais même plus : Quel tour de corse ! euh, de force !
un tour de corne ? ou de farce ?
🙂
Magnifique bourrasque! J’adore ce texte! tu es vraiment trop fort, tu me surprends toujours, autant que tu m’enchantes. Merci.
Merci Narines&crayons 🙂
Superbe… Ton inspiration me souffle presque au visage.
C’est vivifiant.
Très bon choix de photo pour illustrer ce texte.
Merci pour ce bon moment 🙂
J’aime aussi beaucoup cette photo ; je la trouve très impressionnante et parlante !
C’est beau comme du Alain Damasio (c’est un compliment ;-), o maître du vent )
wahou, j’en suis restée sans souffle (coup de coeur pour « Les cigales même arrêtent leur drôle de morse. »)
Bisesssss
Merci Valentyne ; Damasio ?? dire que je n’ai même pas pensé à lui (lu, pourtant)
(ni aux hauts d’hurlevents, pas lus)
Et vent d’est , vent d’ouest ?
Pas lu non plus ….pour ma part 💨💨
[…] Carnetsparesseux se laisse emporter par Saint John Perse et « C’étaient de très grands vents » […]
Dis donc! Euh… C’est sérieux et ça décoiffe!
Quelle tornade entortillée de désastre… qui met la terre et les hommes à nu. J’aime le « drôle de morse » en mode SOS peut-être ce jour-là…