Le dernier dimanche de Mars

Mars est tranquille. Derrière la fenêtre défile comme prévu le petit troupeau gris pommelé des nuages sur le bleu timide du ciel de son dernier dimanche. Ce matin encore, il a réglé le lever du soleil – facile, trois minutes plus tôt tous les jours, avec juste cette farce de l’heure d’été pour casser la routine. Il a vérifié les températures quotidiennes, corrigé les variations en fonction de la moyenne saisonnière, ni plus ni moins, et calé quelques petites pluies fines pour le courant de la matinée et la fin d’après-midi.

Maintenant, pour occuper quand même ce dimanche, il range ses affaires, garde encore ce qu’il faut de chaussettes, de tricots et de brume matinale pour boucler la semaine – fin mars, ne te découvre pas d’un fil, sourit-il – et remplit posément la petite valise posée sur le lit avec le reste de son barda.

Comme chaque année, il laissera sur l’étagère plus qu’aux trois-quarts vide tout un petit fatras bientôt inutile : sachets de giboulée et de grêlons, bocaux d’orages et flacons de premier soleil timide, pochons de bourgeons et d’étamines. Une petite attention pour ce suiveur d’Avril, toujours indécis.

Mars jette un œil sur le calendrier punaisé sur le mur de la chambre. Les jours et les nuits ont filé, il a fait son temps. Un mois-plein c’est bien suffisant. Et ensuite ? Ensuite, onze mois de vacances se profilent, onze mois à rêver de voyages, d’équinoxe sous les étoiles, et même – pourquoi pas ? – de tout un mois de mars sur Mars.

Songeur, il s’abîme dans le spectacle de la drache qui raie soudain tout un coin de l’horizon et compte : demain, il lui restera un lundi un mardi, et puis mercredi jeudi avant d’enfin passer la main. Il calcule qu’il lui faudra attendre encore deux ans avant son prochain Mardi-Gras. Qu’importe, le printemps et la Saint-Patrick lui suffisent bien. Et au moins, il n’aura pas à organiser ces fichues élections.

Mars regarde filer les nuages et se rappelle quand, plus jeune, il rêvait de rester, de durer. Piquer à Avril le Premier Avril ? La bonne blague ! Et que feraient les autres, si, au moment de rendre les clefs, sur son trente-et-un, Mars bouclait la porte et restait deux ou trois jours de plus ? Et pourquoi pas une semaine, un mois complet, une saison, voire même le grand tour de calendrier ?

Enfin accompagner le printemps qu’il voit naître, vivre les mois d’été sur de longues plages blanches et aborder l’automne sombre sous ses rousses forêts avant de plonger dans les eaux noires de l’hiver. Ne plus être seulement celui qui fait germer, mais aussi celui qui voit les fleurs et les fruits ; accompagner les longues journées de juin, commander à la lourde chaleur d’août ;  décider de la chute des feuilles en octobre, des jours qui se recroquevillent… et faire tomber la première neige ! Quel rêve ! Mais il n’a jamais cédé à la folie des grandes heures.

Ce dimanche, il se demande pourquoi il n’a jamais essayé. Peut-être simplement parce que chaque semaine conquise voudrait dire autant de dimanche surnuméraire, tout pareil à celui-ci ? Rien que d’y penser, voici que Mars se défile et songe « Vivement Avril ! »

* * * * *

Monesille  nous invitait à un agenda ironique où Mars sera le mois des fous ! Sorte de cerise tardive sur le gâteau, ce petit texte hors délai ( fallait boucler pour le 24…) est surtout l’occasion de vous inviter à lire les vingt-cinq textes écrits pour l’agenda ironique et à voter pour trois d’entre eux d’ici au 1er avril !

35 commentaires

  1. Ravissant, ce mars si poétique sous ta plume me plaît infiniment, je lui accorderais volontiers quelques semaines de plus. J’ai adoré le fatras abandonné sur l’étagère.

  2. Très jolie, cette nostalgie de ce qui ne sera pas, dans la tête de ce Mars familier ! Il a raison de se consoler, le printemps et la Saint-Patrick, ce n’est pas rien !

    • merci Frog. C’est sûr que tous les mois n’ont pas le printemps ET la Saint-Patrick ! mais il faut croire que ça n’empêche pas une pointe de nostalgie (la faute au dimanche, surement 🙂

  3. Pourquoi donc, dans ta folie, n’avoir pas écrit ce texte un jour plus tôt ? Dans ma grande sagesse, j’aurais voté pour lui… et pour toi…

    • C’est qu’un jour plus tôt, je n’avais pas la moindre idée de cette histoire de Mars-du-dimanche 🙂
      en tout cas merci, Alphonsine. Et il reste 25 textes qui espèrent tes trois voix !

  4. Oh, que c’est poétique, et joliment dit, et distrayant, et …. bref, on aime ce mois pour lequel il ne faut pas voter, qui porte ses costumes sans avoir été payé, qui passera la main sans forcing, que d’aucuns n’éliront pas parce qu’il le faut, pour voter utile, mais parce que ce sera son tour, et qu’il se retirera pour laisser la place au suivant, comme ça : bref, un juste exemple à suivre !

    • Hé, heureusement qu’on ne vote pas (pas encore? ) pour le calendrier et la météo !
      Mais tu as raison, Anne, ce mois est un exemple de civisme ! si on m’avait dit ça….c’est fou !

  5. Excellent, dans la même veine que Novembre, version printemps-été et plus poétique aussi ! Les étagères avec giboulées et rares rayons de soleil me plaisent énormément ! 😉 Il faut savoir laisser la place, isn’t it ? 😆

      • Oui j’ai l’impression pour la monomanie mais au lieu de te flageller, tu pourrais nous le faire sur une année avec tous les mois, comme l’agenda Vermot mais ce serait « L’agenda ironique d’un Paresseux », arf ! Je me régale d’avance ! 😆

        • Mais je ne me flagelle pas, je constate, c’est tout 🙂
          quant à une année des mois (si j’ose dire) c’est en route : outre l’affaire novembre, j’ai déjà janvier, février, avril (deux ou trois trucs, donc les baleines), les doutes d’aout, la septembrienne et novembre.
          à ce rythme, dans deux ou trois ans, j’aurai bouclé l’année :^)

  6. Il flotte, ton mois de mars…léger, aérien…Au fond, ses giboulées ne sont qu’un prétexte, qu’une façon de se faire remarquer et de demeurer, de rester graver dans les mémoires chamboulées par les envies de printemps! Ne pas meubler le temps mais le faire…Et les dimanches…Pas si fou, au bout du compte…😉

  7. Ton texte n’est pas seulement original et attendrissant, je le trouve adorable d’empathie et de compréhension.
    Au passage, du temps où je travaillais j’aurais sûrement aimé un mois de travail suivi de 11 mois de vacances. Quoique… Sait-on vraiment ce que font les mois quand ils passent le flambeau au suivant? Et s’ils entraient en hibernation ou en catalepsie?

    • Merci Mo. J’ai juste essayé de mettre à la place de Mars devant sa valise et derrière une fenêtre. Je suis touché que ça te plaise.
      L’idée de la catalepsie ou de l’hibernation me plait bien ; elle colle avec l’envie de rester plus longtemps. Mais dans la « vraie vie », onze mois de congés me paraissent un minimum, au risque de créer de la dette 🙂

  8. J moins cinq et puis ce sera le tour d’avril. D’ailleurs, je n’imagine même pas comment tu vas nous le faire parler ce bougre frileux.
    Je me souviens d’un pion de l’époque du collège, qui nous avait proposé une dissertation sur la vie d’une balle de ping pong.
    Je me dis aujourd’hui qu’il avait la fibre littéraire, et su oh combien nous proposer matière à inspiration.
    Et bien dorénavant, je ne verrai plus les mois de la même façon. Depuis l’affaire de décembre, il me semble que les jours goûtent bien mieux l’instant présent. Maintenant, ils savent qu’un mois chasse l’autre. Certains préfèrent dire de façon plus délicate qu’un mois succède à l’autre.
    J’aime bien les interrogations de mars. Il « rêve de, imagine que », et finalement, tout bien réfléchi, se rend compte que c’est très bien ainsi.

  9. J’ai senti un p’tit serrement de queq’chose en lisant ce qu’il laisse sur son étagère, sans blague… bocaux d’orages… soleil timide… .
    Et puis voilà que t’es venu en remettre avec l’équinoxe sous les étoiles…
    Et puis, tu m’as, disons, presque achevée avec « aborder l’automne sombre sous ses rousses forêts avant de plonger dans les eaux noires de l’hiver »…
    Ça a dû faire résonner mes saisons intérieures, que j’me dis.
    Merci carnets, pour un autre texte bourré de tendresse.

  10. il riait malgré les averses, voilà qu’il se défile devant le fil d’avril, que tout cela est joli et admirablement écrit !

  11. Voilà qu’il semblerait bien qu’Avril ait trouvé un bocal de nuage et froidure en rade sur une étagère !
    Ton texte hors limite est tout à fait dans le droit fil du thème dans une poésie extrême, tu as bien fait d’attendre.
    Bisous

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