Le renard quantique

Disparus le renard et le petit prince, la rivière et les étoiles, l’arbre et le corbeau ! Seule subsiste la petite lueur souriante du fromage suspendu au cœur de la nuit noire. La voix du renard dit :
« Tu crois que le corbeau a disparu ?
Le petit prince qui ne répond jamais aux questions reste coi. Le renard continue :

– Il fait si noir qu’on pourrait dire qu’il existe et il n’existe pas.
Un silence. Le renard précise :
– Tu comprends, le corbeau doit exister, sinon, comment le fromage tiendrait-il en l’air ? et en même temps il n’existe pas, puisqu’on ne le voit pas.

Le petit prince pourrait répondre qu’il en est de même pour lui, pour la rivière, pour les étoiles, pour l’arbre et même pour la nuit, puisqu’on n’y voit rien du tout. Il pourrait même ajouter qu’il n’est pas nécessaire de voir le renard pour savoir qu’il existe, bavard comme il est. Mais il se rappelle qu’il faut être poli. Alors, il se tait.
Le renard reprend :
– tout de même, exister et ne pas exister, c’est fort ! Si le corbeau est capable de faire ça, j’ai eu tort de me moquer de lui : c’est vraiment le phénix des hôtes de ces bois. »

A peine a-t-il fini sa phrase que la maigre lueur choit dans le ciel d’encre telle une pâle étoile filante et pof ! tombe par terre et roule dans l’herbe ! Vous l’avez compris, il s’agit du fromage que le corbeau, ne se sentant plus de joie, bec large ouvert, a de nouveau laissé tombé ! Le renard s’étonne : il n’aurait pas cru le piaf noir aussi imperméable aux leçons de l’expérience. Pendant qu’il songe, le petit prince se penche, ramasse le rogaton de chester, le brandit à bout de bras et s’enfonce dans les fourrés en disant : « Avec cette lumière, on va pouvoir retrouver le loup et la boite du mouton ! »

Le renard hésite une seconde puis suit à travers bois la petite menotte éclairée par le fromage qu’elle brandi. Un lourd flap-flap d’ailes qui battent lui apprend que le corbeau a quitté son arbre et vole au dessus d’eux. Et puis la lune réapparait dans le ciel et ils voient, au milieu d’une clairière, le loup couché près de la caisse. Le petit prince glisse le morceau de fromage dans sa poche et s’assoit près du loup. Le renard l’imite – sauf qu’il n’a ni poche ni morceau de fromage a y glisser – tandis que le corbeau se pose sur une branche. Après un silence, le renard dit (il s’adresse au loup) :

« Tu ne l’as pas ouverte ?
Le loup répond :
– C’est que je ne sais pas ce qu’il y a dedans.
– Si tu l’ouvres, tu le sauras.
– Mais si ça n’est pas ce que j’imagine, je serai déçu. Par exemple, si c’est bien l’agneau, j’aurai à manger. Mais ça ne pourra plus être un éléphant, un boa, ou un baobab. Et j’aimerais tant voir un éléphant ou un boa. Tandis que tant que je ne l’ouvre pas, rien ne sort et tout reste possible.
– Mais tu n’as rien à manger.
– C’est vrai. »

-« Et si tu la refermais juste après l’avoir ouverte, propose le renard ? Alors, il pourrait de nouveau y avoir n’importe quoi dans la boite : un autre agneau, un éléphant, ou même un baobab ou un boa. »
Au mot de baobab, le petit prince se demande s’il ne devrait pas prévenir le loup et le renard du danger qu’ils courent : aucun des deux n’a l’air d’avoir beaucoup de discipline, et quand on n’y prend pas garde les baobabs ont vite fait de prendre toute la place. Mais en même temps, le corbeau serait sûrement content de se percher sur un baobab, pour changer. Est-ce vraiment à lui, petit prince, de décider pour eux ? Alors il dit :
« Dans le désert, il parlait à une boite comme ça, juste plus petite et avec des cadrans et des boutons.
– Qui ça, demande le renard ?
– L’aviateur qui n’arrivait pas à réparer son avion. Je ne t’en ai pas parlé parce que c’est toute une histoire.
– C’est bien les hommes, dit le corbeau. Ils ne savent même pas vraiment voler mais ils n’hésitent pas à confier leur voix à une boite.
– Et la boite lui répondait, demande le loup ?
– Je te vois venir, dit le petit prince. Parce qu’alors tu demanderais à cette boite-ci ce qu’elle contient. Mais non, elle ne lui répondait pas.
– C’est bien les hommes, dit le renard. Et, comme pour une fois, il ne sait pas quoi dire de plus, il se tait.

Alors, dans le silence, une voix retentit :

– Ouvrez ! Mais ouvrez donc ! Je vais être en retard !

* * *
à suivre !

La suite de la suite du Petit Prince au jardin.

31 commentaires

    • Un lapin blanc ? Mais qu’est-ce qui peut bien te faire penser à un lapin ? Et puis, dans ou hors de la boite ? Va falloir ouvrir pour le savoir !!

      Au passage, je n’ai pas mis de « truc de vote » comme dans certains feuilletons précédents, parce que je pense qu’on va déjà beaucoup voter cet an ci, mais je suis évidemment sensible aux suggestions (surtout que je n’ai aucune idée de la suite…)

  1. Je sais ce qu’il y a dans la boite : l’imagination du Dodo qui, en réalité, se répand à tout-va sans qu’on s’en rende compte et c’est pire que de l’héroïne, c’est de la pure, de la dure, On ne s’en lasse pas car elle est comme certaines variétés de bambous, elle pousse sans discontinuer et à une allure ravageuse.

    • Merci Anne ; du coup, je vais encore plus hésiter à ouvrir la boite : si elle est vide, comment je ferais pour raconter la suite ?
      Sinon, le baobab est-il une sorte de gros bambou ? que de questions !

  2. Le lapin blanc ? non non ! c’est le chat du Chester qui se fait passer pour le lapin……….. histoire de se faire le corbeau……….

  3. Un corbeau de Shrödinger qui laisse choir le rictus fromager du cheshire… Je commence enfin à comprendre la physique quantique… Ou pas.

    • Mais peut-être est-ce le fromage de Shrödinger dans le bec d’un corbeau du Chester… ? avec [ce que je pige de] la physique quantique, le plus clair c’est que rien n’est clair 🙂

  4. Délicieusement poético/philosophique, je pensais aussi au lapin et naïvement romantique j’imaginais déjà l’entrevue du Petit Prince avec Alice 🙂

    • Merci Almanito… une rencontre Petit Prince / Alice ? ça pourrait s’envisager, autour d’une tasse de thé. Pourvu que le loup ne mange pas le Lièvre de Mars !

  5. suspens …

    Je te soupçonne de goûter les joies du contre-pieds
    et d’attendre des suggestion les pistes que tu ne prendras pas
    (j’ai honte)²

  6. Je sens comme une sorte de répons, de choral ou de cantique, sur un thème quantique 🙂 🙂 🙂

  7. Absolument. Ce qui me permet de n’être d’accord avec personne. Ce Kant qui tique au physique improbable ne m’inspire pas vraiment confiance. Je relouerai tout le même le tout à tout hasard et par paresse contagieuse. Une question s’impose ou pas: quand elle tique, la tique, tique-t-elle derechef ou cantique-t-elle à tue-tique? Atout pique et dix de derrière…

  8. Dans la boite il y a probablement une rose sous cloche et une baleine en chocolat dans une fontaine de lait. La cloche, c’est pour éviter que la baleine ne mange la rose.
    Dans la baleine en chocolat il y a un œuf.
    Dans l’œuf il y a le boa, le baobab, le petit prince, l’aviateur, l’astéroïde B612, la boite à son de l’aviateur, l’avion de l’aviateur, et deux ratons laveurs. Entre ces deux derniers, il y a un mouton, un vrai, qui bêle et tout.
    Et celui qui s’écrie : – Ouvrez ! Mais ouvrez donc ! Je vais être en retard ! Et bien c’est Jacques Prévert, qui est en train d’émettre un inventaire, mais voudrait bien être à l’heure pour son rendez-vous avec un grand monsieur, prénommé Antoine, De Saint-Saint-Exupéry je crois, ou un nom comme ça, aviateur de son métier.
    Jacques Prévert est dans le baobab, car le baobab a une forme de Jacques Prévert.
    Le boa, lui, est en forme de chameau.
    L’aviateur se tient au bord d’un cratère d’où sort un geyser de lait qui vient irriguer la fontaine.
    Le tout tient debout et sans qu’aucun fromage ne tombe. De nuit comme jour.
    Par contre, un renard a tiqué lorsque le recto s’est retrouvé verso et inversement.

    Aller, j’arrête ! En vrai, c’est qui ? 😀

  9. « la maigre lueur choit dans le ciel d’encre telle une pâle étoile filante »
    C’est ce que j’aime chez toi.
    La fulgurance de certaines de tes phrases, c’est cela qui rend ta boîte magique.
    Kisses
    ¸¸.•*¨*• ☆

    • merci Célestine. Une « fulgurance » toute relative, c’est sans doute une des phrases de ce texte que j’ai le plus retortillonné dans tous les sens pour arriver à lui donner une allure acceptable
      (en partant à peu près de : « le bout de fromage lumineux tombe dans le noir »)
      🙂

  10. Tu navigues expertement dans les univers du possible (ou non), de la vérité (ou des vérités diverses) et de la réalité (mais qu’est-ce que c’est?)

    • Merci Mo ! Mais c’est pas moi, c’est le renard et ses acolytes ! moi, je les regarde et je les écoute en essayant de ne pas en perdre une miette (une miette de chester, bien sûr) 🙂

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