Rêve de crocodile

À quoi rêve le crocodile, faux dormeur gisant à fleur d’eau ?
Au temps qu’il était oiseau
filant en plein ciel là-haut ?

Dire qu’il a suffi d’une ombre plissant la surface du monde
Et l’oiseau s’est r’enfoui sous l’eau,
Sombre amie, sûre et profonde.

La peur lui met les dents au bec, durcit la plume en écaille,
L’aile en griffe ; et fige le chant en silence.
Viennent la colère, la méfiance.

Qui croirait qu’il est si facile d’oublier l’azur, le vent,
D’oublier qu’on était oiseau,
Une fois devenu crocodile ?

Du temps qu’il était oiseau, il reste un reflet rêveur
À la lisière de l’eau vive
De l’œil doré du crocodile.

 

* * *

Petit poème du dimanche, au croisement de deux livres : Je rêve le monde assis sur un vieux crocodile, un recueil de « cinquante poèmes d’aujourd’hui pour repenser demain » découvert chez l’écriturbulente Martine, et la Classification phylogénétique de Guillaume Lecointre et Hervé Le Guyader, où il est dit – entre autres – que le crocodile, longtemps rangé par les savants parmi les reptiles, est bien plutôt descendant et cousin de l’oiseau.

48 commentaires

  1. Tu parles d’un sac le crocodile ! A voir par où l’évolution l’a fait passer, je galère pour lui. Merde à moins que quand il était oiseau il ait eu la dentition de maintenant…alors c’est lui qui aurait scié la branche où il était assis. Ben dis donc c’est pas un plagiat de l’histoire de l’homme, c’t’histoire croco ?

    N-L

    • Avant que l’oiseau ne s’enfouisse dans les eaux calmes, sûres et profondes, il était de la marque « Gallinacée ». C’est pour cela que nous espérons encore qu’un jour les poules retrouvent leurs dents 😉

    • Tu sais, loiseaubleu (ou crocobleu ?), sac de plume ou sac d’écaille, ça se vaut… le crocodile a essayé les deux (maigre consolation).
      Sinon, en général c’est l’homme qui copie
      🙂

  2. La nature est à ce point cruelle qu’elle fait d’un cerf volant un tapis! Heureusement que l’eau lui permet de se jouer de la gravité…Belle idée ce crocodile à qui le ciel manque ! Mais je le plains, le pauvre (Bon apres, comme j’en vois peu de croco, ça peut aider😉)

  3. En tout cas, ta plume n’est pas devenue écailleuse… Tu restes un oiseau – ne serais-tu pas caille, par hasard ? – , libre dans le ciel qui se reflète dans les eaux crocodiliennes.

    • Pas caille, c’est vite dit ! Croco deale n’amasse pas mousse, c’est sûr. De l’oiseau rat passe au terminator des eaux, il n’y a apparemment qu’un mince fil à couper ce joli poème en cinq. Régalons-nous donc avant de servir de régal au rêveur à dents.

          • Hé hé, non pas d’isque à chouchou quand ils sont plusieurs. Tu m’avais mis le doute 😉
            Les chouchous ne sont pas de nombreux choux 😀

            Werner Lambersy : « Écrits sur une une Écaille de Carpe », Éditions l’Armourier

            Quatrième de couv :
            « Écrire sur des écailles de carpe est un exercice de concision, d’humilité et de jubilation rêveuse. C’est retrouver la grammaire des origines, en essayant de lire le premier livre des miroirs. »

            Un poème de WL, dans ce recueil :
            « Sur l’écaille,
            un arc en ciel aussi ».

            PS – ça m’étonnerait fort que tu trouves ce recueil en bibliothèque, même si elle se dit médiathèque 😉

    • Pas d’inquiètude, mi-canard, mi-taupe, mi-castor, mi lui-même-et-rien-d’autre, l’Ornithorynque est perché sur sa propre et personnelle branche, quelque soit la classification
      🙂

  4. J’aime beaucoup le passage de la métamorphose :
    « La peur lui met les dents au bec, durcit la plume en écaille,
    L’aile en griffe  »
    Bonne journée Carnetsparesseux 🙂

  5. Il fut un temps où la poésie était considérée comme la seule forme de création littéraire acceptable pour un auteur. 🙂 🙂

    • César, l’empereur ou césar le compacteur (ou César-le-beloteur-copain-de-Marius) ?
      Mais en effet, naitre crocogallinacé (ou gallinocodile) n’est pas donné à tout le monde…

  6. Tu n’es pas rancunier vu la façon dont ces chères petites bêtes ont fait leur petit déjeuner de tes congénères, mais bon moi j’ai préféré
    « Qui croirait qu’il est si facile d’oublier l’azur, le vent,
    D’oublier qu’on était oiseau,
    Une fois devenu crocodile ? » C’est finement ressenti !

  7. « C’est un beau roman, c’est une belle histoire », j’ai appris des choses moi aussi ! L’oiseau qui se métamorphose (j’avais de la peine pour lui)… Mais on reconnaît la patte du Dodo dans ce joli poème et surtout dans la dernière strophe, belle et mélancolique avec cet éclat doré qui subsiste « à la lisière de l’eau vive »… L’air, l’eau, les poules, les alligators, les oiseaux, tu maîtrises tous les éléments et tu tutoies les bébêtes avec amour ! Un contemplatif talentueux ! 😉

    • Merci Asphodèle ; si tu as de la peine pour l’oiseau, faut réclamer auprès de Darwin, Lecointre et Le Guyader 🙂
      Mais peut-être bien qu’il est plus heureux dans l’eau, rêvant peinard, couvert d’écailles épaisses et puissamment dentu, que frêle piaf trouillard voletant en proie aux prédateurs…

  8. C’est plutôt l’oiseau qui est le descendant du crocodile, non ?
    Quoiqu’il en soit, ton poème est très plaisant à lire.
    Bravo !
    ¸¸.•*¨*• ☆

    • Célestine, à part le pluvian fluviatile qui descend en effet du dos du crocodile, c’est bien le crocodile qui descend des oiseaux.
      incroyable non, de penser que cette grosse bête aurait d’abord été une sorte de poule ?

  9. Quand j’irai visiter le couple de crocos au Parc de la Tête d’Or, je penserai à ton poème, Dodo, et je les verrai différemment 😆
    Une drôle d’histoire que seule la Nature est capable d’inventer !
    Maintenant, le crocro mange du poulet et digère pendant des semaines. La belle vie aussi 😉
    Bonne fin de semaine et gros bisous

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