Là-haut sur la montagne

Il y a six mois que le petit peintre a quitté Paris. Trop de rapins jaloux et de montparnassiens affairés, de refusés aigris, de galeristes cauteleux, trop de bistrots et de caboulots, d’écoles, de chapelles, d’ateliers et de modèles, pour se concentrer sur l’œuvre à faire. Il a d’abord tâté des bords de Seine et de Fontainebleau – où les peintres du dimanche poussent comme les champignons – , fait le pèlerinage de Barbizon -comme tout le monde -, puis, écœuré par cette cohue, a poussé plus loin. À lui la Provence : là, le vent, la mer, le soleil sont francs et vrais ! Mais le carnaval de Nice, ses mondanités florales et ses fausses comtesses de casino l’ont vite dégouté des paysages. C’est qu’il voulait trouver sa palette bien à lui, son territoire, comme Pissarro et ses brumes atlantiques, sa couleur, comme Vincent ses jaunes infrangibles.

Alors, bouclant une nouvelle fois sa boite à couleurs, le chevalet calé sur l’épaule, il s’était retiré vers l’intérieur du pays, les collines vertes et les garrigues, jusqu’à apercevoir la haute silhouette violette des Alpes. C’est là, dans l’odeur entêtante du thym qu’il a découvert son monde : la montagne ! À longues enjambées, à force d’étapes escarpées, il a gagné les premiers contreforts, puis les flancs noirs de sapins sévères, et, peu à peu, les parois nues et grises au-delà des estives. Il s’est lié avec des bergers et des chasseurs, et, un beau jour, après une escalade vertigineuse, il a planté son chevalet au sommet d’un pic : et là, il est resté le temps qu’il fallait, passant les nuits dans un refuge étroit, et les jours à peindre à plein horizon des mondes et des teintes que personne n’avait seulement imaginés avant lui.

Heureux et maigre comme loup, musette et boite à couleurs vides, mais l’épaule chargée de toiles glorieuses, il est redescendu. Le voilà aujourd’hui, dans cette galerie remplie de bourgeois sévères, de gloussantes grisettes et de collègues ricanants, où un mur de chapeau-claques – les biens nommés – et la brume fuligineuse des cigares qui fument dans la demi pénombre à peine trouée par les lueurs des quinquets au gaz masquent les toiles – ses toiles – qui pendues aux cimaises font tapisserie, soumises à l’enchère de gros banqueteurs qui digèrent lentement. Et tandis que le galeriste le pousse sans cesse de groupe en groupe pour lui présenter d’intéressants nouveaux amis au sourire faux et à l’œil dubitatif, il se dit que toutes ces souffrances, le froid qui mord, la faim qui gronde, les jambes engluées de neige, le doute qui ronge et le vent qui râpe, l’estomac retourné par le vertige, les doigts durcis par les gelées, les yeux brûlés par le soleil sur la glace, il ne les a finalement endurées que pour revenir à son point de départ, parmi ces ânes : la montagne ? Feinte victoire.

 

 

***

Un tableau célèbre (celui-ci) et son auteur se sont cachés dans cette historiette, saurez-vous les retrouver ? Pour le besoins de la cause, j’ai emmené mon petit peintre un peu plus haut que l’original.

Illustration : Chamonix, la mer de glace,1922. Agence Rol, BnF/Gallica.

42 commentaires

  1. trop facile, Émile (copain de Paul). Pour l’anecdote, ma grand-mère Augusta était institutrice dans une petite école de village au pied de la Sainte Victoire.

  2. Bon jour,
    Pour ma part, même avec les indices sous les yeux, je ne vois rien … cependant, je suis sensible au texte par son relief aérien, ses couleurs soumises aux traits exposés sur les meilleurs versants et puis cette maîtrise des mots qui font formes dans la respiration de la narration comme un genre de pointillisme qui nous révèle en filigrane la charpente solide qui s’impose par l’architecture de l’ensemble …
    Max-Louis

    • Merci Max-Louis ; les indice sont tout à la fin du texte… mais ils ne sont pas très importants : ils servent plus de prétexte et d’occasion pour écrire une petite histoire

  3. maigre comme un loup , faut voir lequel 😉, y’en a des balaises qui traversent quelquefois notre hameau Alpin ( enfin d’autres les ont vus , mais pas moi, un jour viendra ) j’en ai seulement entendu chanter un il y a 2 ans et ce fut un bonheur …

    • Merci Juliette ! « Maigre comme un loup », c’est une expression toute faite ; je leur souhaite d’être gras comme des petits cochons (peu de danger qu’on se risque à faire du pâté de loup) ; il parait qu’ils sont aussi en Auvergne et Limousin mais discrets : on ne les voit pas 😦

  4. Et voilà que je découvre l’entêtance possible d’un parfum. Moi qui n’savais que m’enivrer, je pourrai m’entêter maintenant.
    À part ça, qu’ai-je à dire? Beau texte, cher dodo.

  5. J’arrive un peu tard….. mais j’aurais été mortifiée de ne pas le trouver, d’autant que je m’applique à photographier la Sainte Victoire régulièrement en m’imaginant que mon appareil photo se substitue à son pinceau 😀

      • oui oui j’ai bien vu 😀 rectification sur mon com ! j’aurais été mortifiéE….
        Tu veux autre chose que Montagne Saint-Victoire comme titre ?

        • je vais de ce pas ajouter le euh ! « Montagne Sainte-Victoire », c’est parfait pour moi (je ne sais pas si les quatre-vingt tableaux ont autant de titres différents !)
          Au fait, tu as peut-être photographié 80 fois la sainte Victoire ; tu nous feras un petit panorama sur ton blog ?

          • Paradoxalement, bien qu’habitant à proximité avec toutes les facilités de la photographier, je trouve qu’il est difficile de la « mettre en valeur » à sa juste mesure. J’élimine donc la plupart des photos que je prends…. Mais c’est une piste à suivre………. par exemple la Sainte Victoire des 4 saisons (une histoire de longue hélène) 😀 merci pour l’idée !!!

  6. Merci pour cette ascension picturalement provençale.
    En amoureuse de l’océan, je regrette que bien des peintres l’ait délaissé pour des questions de lumière, de même que Cézanne; une consolation, même à son époque, Nice et la Côte d’Azur, manifestement étaient déjà « bling bling »; pour y avoir vécu dix ans, j’ai eu très envie de retrouver ma Gironde natale, et ses paysages, ciels brumeux et ennuagés…

  7. c’est avec retard mais admiration que je lis ce récit qui entraine vers le haut ! Non, je m’insurge, le peintre n’est pas revenu au point mort. Il est décalé à jamais. La montage feinte victoire, joli ! Et avec « Cézanne peint » en arrière-fond, évidemment, comme l’a suggéré Dominique. Bravo Dodo !

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