L’ombre mange les quais de Bièvre
les plongeant dans un suaire de suie.
Tout au fond de la rue aux Fèvres
le jour s’en va, voici la nuit.
Famélique, un bien trop long lièvre
songe à un pot de bouillon cuit
– il y a loin de la soupe aux lèvres
surtout si la timbale fuit.
Le ciel là-haut est rose mièvre
pour peu de temps : voilà la pluie
où sombrera le pont de Sèvres
le jour s’en va, voici la nuit.
* * *
Bien persuadé que les explications sont inutiles – voire néfastes – aux trucs écrits, d’ordinaire je les fuis – exception cette fois-ci : il n’y a plus de quai de Bièvre – pour ceux qui savent, c’est à Paris – depuis que la Bièvre est enfouie, profondément, sous la voirie ; il y eu une rue aux Fèves, sur la Cité, près de la Vieille-Draperie ; mais la rime étant appauvrie, j’ai préféré une rue aux Fèvres – tant pis pour la topographie.
J’ai appris depuis qu’Eugène Sue logeait là la truanderie de ses Mystères de Paris – à l’enseigne du Lapin-Blanc, ancêtre peut-être de ce bien trop long lièvre famélique que je ne croyais venu que pour la rime.
Voilà, que dire d’autre ? Le pont de Sèvres, tout un chacun sait ou il git ; et sur la Bièvre, Joris-Karl Huysmans a tout dit. Pour le reste, voir – et surtout lire – Jacques Yonnet. J’ajouterai juste que la première phrase – mystère un peu mièvre – m’est venue en rêve une nuit ; depuis pas moyen que j’l’oublie : alors pour m’en débarassi, le reste j’ai ajouti et puis voilà, je vous le confie.
On l’a échappé belle ! si tu n’avais pas rêvé nous n’aurions pas eu droit à cet exercice de style et de prononciation parfaitement réussi ………… il faut toujours exorciser ses rêves ! la Bièvre a disparu, reste son restaurant……. et l’enseigne « Quart de Poil » pour les initiés…….. poil de lièvre peut-être ???? qui sait !
C’est vrai qu’il est très agréable à dire ce poème.
Et merci pour les précisions. Une phrase entendue dans un rêve qui reste en tête, c’est une chose… Ecrire le reste du poème en est une autre !
Bravo cher poète !
Ben, pour écrire la suite, les rimes assez contraignantes (il n’y a pas des masses de mots en -ièvre et en -èvre) m’ont plutôt aidé en balisant le trajet.
sont resté sur le carreau : fièvre, chèvre, Penthièvre, balèvre (un peu trop technique) et le quai des Orfèvres (trop policier)
Merci ! Généralement, si j’écris des trucs sublimes (forcément) dans mes rêves, au réveil, soit ça s’évapore soit ça se révèle piteux 🙂 (comme quand môme, je trouvais des solutions improbables des problèmes de math en dormant…).
Et merci aussi pour le Quart-de-Poil, que je ne connaissais pas.
moi non plus…….. j’aime bien étayer mes réponses sur un minimum de recherche, et c’est passionnant ce que l’on peut découvrir comme petits détails qui viennent compléter notre culture, même s’ils ne sont pas indispensables…… 😉
Les mots coulent tout seuls, paisibles et nonchalants. Vivent les rêves!
Merci Jacou
Ça se déguste.
Bon appétit !
Il y a même du Lafontaine ! Et j’ai eu un choc car Bièvre est une commune de chez nous où il n’y a pas de pont, patapon. Et c’est drôle et prenant, comme d’habitude. Un chouia peur de me répéter ? Bis repetita etc.
La Fontaine ? parce que le lièvre songe ?Je n’y avais pas songé, moi.
Désolé si j’ai raté la Bièvre wallonne…. C’est qu’entre Brel et Verhaeren, le terrain est bien occupé
🙂
Bièvre c’est le vieux nom du castor et aussi de sa couleur. Il y en a un peu partout où il y avait de l’eau calme au moyen âge.
Tout juste. Ainsi, le biever anglais et le biber allemand, c’est juste un Castor.
un air médiéval dans cette balade, et le commentaire savouri pour qui le lit à l’envi, merci, joli défi
Sûr que je me suis bien amusi avec le commenti 😉
Sous le pont de Sèvres, coule le lièvre, et nos amours faut-il qu’il m’en souvienne…
Euh, non, je me mélange un peu les pinceaux, là.
Pardon Guillaume!
;))
Cela fait un joli tableau quand tu te mélanges les pinceaux : un lièvre à la dérive, un pont en porcelaine, des amours oubliés et l’ombre de Guillaume qui se demande ce qu’il devrait pardonner…
il n’y a plus de quai de Bièvre
pour ceux qui savent, c’est à Paris
depuis que la Bièvre est enfouie
profondément, sous la voirie
il y eu une rue aux Fèves
sur la Cité, près de la Vieille-Draperie
mais la rime étant appauvrie
j’ai préféré une rue aux Fèvres
tant pis pour la topographie
🙂 bien lu Caroline ! en effet, j’ai calqué le commentaire sur le rythme du poème – au moins pour le permier paragraphe, après ça devenait coton…
Bel endroit pour poser un lapin … de jour comme de nuit; avec ou sans pluie 🙂
🙂
Très drôles tes explications:D
Le poème est très joli, mais les explications versifiées m’ont été très utiles (en plus de me faire rire! Je te félicite pour l’invention du nom de la rue, pour l’enrichir 🙂 J’aime vraiment les prises de libertés poétiques, elles donnent du souffle !
Merci Emilie. Les explications (après coup) sont venues facilement : j’avais déjà choisi la rue aux Fèvres quand j’ai découvert qu’il y avait eu une rue aux Fèves quasiment dans le coin (presque bingo !).
pour le coup, c’est la Ville de Paris qui prend des libertés avec la poésie
🙂
J’aime beaucoup en particulier : « – il y a loin de la soupe aux lèvres
surtout si la timbale fuit. »
Merci Valentyne ; rien de tel que la poésie réaliste ! Ces deux strophes m’ont demandé des heures d’observation (et des taches de soupe plein la chemise)
🙂
J’aime beaucoup les sonorités de votre poème et son rythme.
Exercice très réussi, je trouve !
Et la dernière strophe est particulièrement jolie 🙂