Cette fois, c’est décidé, j’écris ! L’ami qui m’a déposé dans cette maisonnette perdue en pleine campagne avec un carton de nourriture doit passer me rechercher dans dix jours. Il fallait quitter la ville : je connais trop les pièges des bibliothèques, emplies de livres qui me narguent, et des cafés où l’on espère glaner des « pépites brutes de vraie langue de tous les jours », excuse fallacieuse qui amène à prendre en sténo les conversations ineptes des pauvres types des tables voisines. Quant à écrire chez moi, plus jamais ! qui ne sait le temps perdu dans les zigzagues des internets…
Dehors il pleut et je hais la campagne : pas de distraction, pas d’atermoiement possible. Je suis seul avec une chaise et une table en bois, une ramette de 500 feuilles blanches et mon stylo noir. Alors, écrire ; mais quoi ? Un roman maritime ? Après tout, ça n’a pas rebuté Stevenson… Mais sitôt que j’ai rêvé les grandes lignes – il y aurait un marin au passé mystérieux, un naufrage, un trésor caché, une carte…. la lassitude me prend. Vite, autre chose ! Une fresque historique ? Un essai dépouillé et subtil ? Non, toujours non…
Et puis je me dis qu’écrire, quelque soit le sujet choisi, c’est toujours un peu parler d’écriture. Alors l’idée (avec un i majuscule, presqu’un h !), lumineuse, limpide, me vient ; je vais laisser la plume à mon stylo. Après tout, quoi que je raconte, c’est lui qui devra écrire, ligne à ligne : qui mieux que lui mérite d’être, pour une fois, le sujet ? Oui, bien sûr, le papier a son rôle, qui n’est pas négligeable. Mais qui écrit vraiment ? ça n’est tout de même pas la feuille qui trace les lettres !
Donc, le raconter. Dire notre rencontre chez le buraliste. Comment je l’ai trouvé – ou bien est-ce lui qui m’a choisi ? Nos premiers pas, liste de courses, gribouillis… les moments de lassitude, aussi, de machouillage de capuchon… les abandons au profit du clavier et de l’écran, ou d’un bête crayon-mine qui n’avait d’autre qualité que d’être là. Et puis toujours les retrouvailles triomphantes devant les grilles de mots croisés ! Oui il faudra être honnête, dire tout cela.
J’écris de longues minutes , emporté par l’inspiration, où, plus exactement, la main agrippée au stylo qui se démène et allonge ses lignes de page en page… tous les mots que je crois écrire viennent de lui ; pas une rature, pas un repentir, il connait son sujet, et grâce à lui je deviens écrivain.
En haut d’une page, la ligne noire et nette s’estompe. Alors, plein de sollicitude, je réchauffe mon stylo entre mes paumes. Je l’encourage en silence, je l’exhorte à mi-voix, je le maudis aussi : il ne peut pas m’abandonner maintenant, paumé au Diable-Vauvert entre une caisse de conserves et quatre-cent-quatre-vingt-dix-sept pages nues ! Je tente toutes les ruses : appuyer moins fort sur la feuille, multiplier les pauses, souffler sur la pointe. En vain : les lignes suivantes se noient de grisaille. Puis, exsangue, il griffe le papier une dernière fois et ne laisse plus qu’une entaille blanche en travers de la feuille, un filigrane de cinq lettres que je déchiffre malaisément : a d i e u.
***
Illustration : Jean d’Ylen, Idéal Waterman, 1793-1794. BnF/Gallica.
Chez La Licorne, ce mois ci, fallait dire au revoir à un objet chéri avec les cinq mots suivants : minute, blanc, silence, type, fois.
que tout cela est bien écrit ; on y croit ! avec le sourire
merci ! et le sourire est indispensable 🙂
L’angoisse de la page blanche résolue par l’euphorie (passagère) du stylo..
Toujours un plaisir de vous lire.
Merci Jean-Pierre.
il faudra un jour écrire l’angoisse de la page blanche (est-elle vraiment angoissée, d’ailleurs, cette page blanche ?)
Bon jour,
J’avais retenu du dernier texte (en aparté) : » l’idée me trolotte d’un horoscope ou des éphémérides … » … rien à voir, donc …
En tout cas un texte qui porte à croire que à l’adieu y est pour quelque chose et qu’il reste neuf jours pour pondre un chef-d’oeuvre … le stylo aura-t-il assez d’encre ? 🙂
Max-Louis
pas d’inquiétude, l’horoscope reviendra (entre quelques tranches d’autres choses)
🙂
en lisant le titre, j’ai eu peur que tu nous annonces l’arrêt de ton blog 😉
j’avoue que le titre est un peu trompeur… mais ça n’est pas près d’arriver 🙂
change de stylo ! il fait de la résistance 😉
il en a peut-être marre de recopier mes billevesées ?
et puis la résistance, de nos jours, c’est une vertu à cultiver 🙂
🙂
tu vas pas te faire emm……. par un tube d’encre, noméo !!! s’il ne veut pas recopier, il va le faire chez quelqu’un d’autre 😀 résiste toi aussi et insiste 😀
🙂
Le stylo a toujours du style (notamment le vôtre)… Il peut aussi servir de stylet et envoyer quelques piques aussi bien placées que celles qui utilisent non pas leur mains mais des stilettos dans des situations imprévues.
Waterman est une très bonne marque : ce stylo aide à nager dans l’encre sans faire la brasse coulée. Son « eau » (comme l’on dit d’une pierre précieuse) est d’un noir qui soulage.
Ne jetez pas les 497 feuilles blanches qui restent en attente de votre inspiration devant s’écouler pour les maculer : l' »adieu » de votre compagnon est une blague puisque l’adieu n’existe pas (même si certains l’ont rencontré) ! 🙂
disons le une bonne fois, le Waterman n’est là que grâce à l’illustration de Jean d’Ylen ; personnellement, j’utilise plutôt les stylos bic cristal.
quant à dieu,il existait n’y a pas si longtemps, puis qu’il m’a dicté une Genèse il y a quelques semaines.
Il ne te reste plus qu’à écrire avec des bouts d’allumettes grillées, car un Carnets, même paresseux se doit d’écrire, aucune autre issue n’est inenvisageable 🙂
je pensais plutôt aller acheter une dizaine de stylos-bille 🙂
Je crois que tu as réussi une performance : je n’aurais jamais pensé m’attendrir sur le sort d’un stylo épuisé!
tu es trop sensible ! 🙂
prépare-toi, une prochaine fois je raconterais les angoisses d’une page blanche !
mdr carnetsparesseux😂
tu vas piocher dans tes souvenirs ou tu vas en inventer des pages de toutes les couleurs et,moi j’en rougirai de bonheur…tu écris le matin ? De bonne heure?;):)
je vais demander à mes pages blanches, elles doivent mieux connaitre la question que moi 🙂
😊 ton stylo a jeté l’ancre in extremis !
‘Xactement !
C’est toujours une blague ?
Parce que les mauvaises surprises, en ces temps bizarres et hésitants, vos lectrices et lecteurs en sont peu friands.
toujours une blague, même s’il est un peu plus dur d’écrire (je trouve) ce printemps ci.
bienvenue et merci, Delamain
Cher carnets… c’est tout ce que j’ai à dire.
Alors, je le répète, si tu permets.
Cher carnets.
Et c’est sans te dire adieu.
🙂
Bluffant ton chant du cygne du crayon…
•.¸¸.•*`*•.¸¸☆
Mais c’est pas un crayon, c’est un stylo !
J’ai une tendresse particulière pour les stylos, même si je passe un temps fou à les chercher.
En tout cas, ça donne belle matière à ton récit emplis d’images, j’ai trouvé le tout très visuel jusqu’à la chute digne d’une fin de film dramatique 🙂
merci Laurence ; en vrai j’ai tout un tas de stylos, feutres, crayons, plus ou moins en état de marche 🙂
Je me suis reconnue à 100% dans ce texte formidable moi qui ne sais écrire qu’au stylo plume et je sais qu’un chef-d’oeuvre sommeille en toi ! Puisse Waterman le réveiller…😊
Merci Asphodèle ! le stylo est ici pure fiction : j’écris de plus en plus directement au clavier… mais bon, raconter une panne d’ordinateur, bof !)
Ah ! les velléités d’un stylo… Comme toujours, votre écriture est brillante. Remerciez de ma part votre stylo…
Merci Domi (je transmets au stylo) 🙂
[…] il y a eu ce titre intriguant chez Carnets paresseux. Il m’a bien fait peur ! ADIEU L’ECRITURE. Quelle horreur ! ouf, c’était pour le […]
Quand le stylo tarit…je passe au « style otarie » : j’applaudis des deux mains (ou des deux nageoires)…Bravo ! Encore une fois, l’essai est transformé…haut la main.
Pour être moderne, il faudra peut-être aussi , un jour, parler de ces machines à clavier qui rendent l’âme, mystérieusement, alors qu’on est en plein travail !
Phew! j’ai eu une petite peur en lisant le titre! Ah, ça va mieux. Alors… j’en connais un peu plus sur le métier de zigzagueur. Et puis l’idée avec un H! Tout à fait. Et puis le mot de la fin! Génial.
Oui, le titre a été choisi volontairement pour faire peur ! L’ Hidée s’est imposée d’elle même 🙂
Mais enfin, il fallait préparer une trousse avec moult stylos… sourire
C’est sûr ! Mais alors, paradoxalement, il n’y aurait pas eu d’histoire (en tout cas pas celle là).
J’ai beaucoup aimé votre texte. il y a une revue dans laquelle on peut proposer des textes, c’est un jeune éditeur qu’il faut encourager, son magazine est « L’eau-forte » chez Edisolum et il organise des thématiques. Enfin voilà, comme ça, en passant…
Merci ! Je suis allé voir cet éditeur (enfin, ce qu’on peut en trouver « en ligne ») ; j’aime beaucoup l’idée des livres « fait-main »,en très petite série…. et leur maquette me plait énormément. Leur thématique sur Carême et carnaval m’aurait bien plu… (trop tard) ; mais je n’ai pas trouvé où (ou si) ils annonçaient leur prochain thème (ni comment leur proposer des textes)… à suivre donc.
et Merci
Non, c’était de la pure fiction ?Avec pour personnage principal un stylo. Comment je me suis fait avoir ! Bravo.
J’en redemande.
Belle journée. A bientôt.
Merci Solène ; le titre était un peu provocateur… 🙂
génial. Un seul mot : Bravo !
Merci Marine !
et désolé pour le retard, mais le commentaire était au fond des « indésirables » 😦
Et le crayon , gris, mine, de ou à papier alors ? Très bon texte !