Un jour, derrière deux esquisses d’ibis et de perroquets cachées derrière un masque de carnaval croché à une patère, un peintre retrouve un petit tableau un peu terne, grimaçant et ficelé de couleurs criardes, joues rouges et rondes, cheveux carotte, nez un peu comme çi et oreilles trop comme ça. Un autoportrait du temps de ses débuts, pas bien beau, mais qui lui rappelle ses rêves de talents, sa quête de beauté, sa soif de gloire et d’immortalité. Aujourd’hui, au milieu de sa carrière, il en a bien rabattu : il se sait ni mauvais ni doué et ne songe plus aux cimaises et aux honneurs. La beauté ne se mange pas en salade, et désormais il travaille pour manger, et voilà tout.
Mais, en souvenir du temps jadis, il accroche le tableautin mal fichu au mur de son atelier. Un soir qu’il a bu quelques verres pour fêter la commande du portrait de la fille d’un notable – elle s’imagine en espagnole froufroutante avec des bracelets de cuivre étincelants, ses parents la préféreront en robe claire, cheveux liés en sages nattes – il se surprend à dépanner un ami dans la panade d’une petite somme qu’il sait bien ne jamais revoir. Revenu dans son atelier, il jette un œil à l’autoportrait qu’il avait oublié et tique ! Qu’est-ce qui a changé ? peut-être le nez, moins souligné ? Allez, c’est les petits verres. Mais quelque jours plus tard, comme il rentre chez lui en grommelant – il a dû donner pour la cagnotte d’un jeune collègue qui veut tenter l’Académie ! – le tableau lui semble de nouveau différent : cette fois, ce sont les yeux, plus clairs.
Qu’est-ce qui peut causer ce changement ? La lumière ? Non, il connait son atelier depuis longtemps, à toutes les heures et sous tous les éclairages, soleil, lune, étoiles, lampe à huile, bougie… la toile qui se détend, la peinture qui vire, le vernis qui fonce ? Non, le portrait a près de trente ans… s’il avait dû bouger, ça serait fait depuis longtemps. Alors quoi ? Un collègue qui vient par blague retaper son petit tableau ? Non, il connaît la façon de chacun d’entre eux. Il réfléchit… c’est arrivé deux fois, et les deux fois il venait d’être généreux ! L’idée a beau être absurde, il veut en avoir le cœur net. Le lendemain il aide sa voisine à monter ses sacs de courses. Le soir, le portrait parait moins pâteux. Deux jours après, il sort les poubelles de l’immeuble : le dessin de la bouche s’améliore ! Il poursuit l’expérience, laisse sa place dans l’autobus, se porte volontaire pour les déménagements et organise même une quête pour le Noël des enfants de peintres nécessiteux…
à suivre !
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Pour l’agenda ironique d’octobre, le Flying Bum voulait qu’on cause beauté, avec un proverbe. Illustration : Guiseppe Devers, peintre. photographie d’Adolphe Dallemagne, atelier Nadar, 1855-1871. Pop Culture/Mémoire.
J’ai cru qu’il s’agissait ici d’un hommage à Pierre Soulages : mais le noir y est, même figuratif, et la figure du peintre, qui sort lui-même du cadre et semble avoir déchiré la toile même sur laquelle il s’est représenté, est un miroir sans tain d’une disparition qui semblait devenue à la fois impossible et imminente.
Quelques « écolos » lanceurs de soupe de tomate ou de purée n’auront pas eu le temps d’attaquer celui qui les domine sans retour de sa superbe, de son art et de sa conscience haute. 🙂
La réalité dépasse ma fiction…comme souvent (toujours)
Très belle histoire, j’attends avec impatience la suite.
Merci John ; la suite arrive d’ici samedi, je pense !
J’aime beaucoup cette histoire ! C’est une sorte de Dorian Gray mais à l’envers : plus il devient vertueux et plus son portrait embellit 🙂 génial !
Merci Marie-Anne ; démasqué ! 😉 c’est bien une tentative de « retourner » Dorian Gray :)… le prochain épisode montrera si la vertu paie… mais si c’est le cas, être vertueux par intérêt, est-ce bien vertueux ?
Je vais suivre les prochains épisodes avec intérêt en tout cas 🙂 Ça m’intrigue !
La morale est claire, être vertueux par intéret, ce n’est pas être vertueux (ce n’est pas moi qui le dis, c’est Jankélévitch !)
En tout cas, j’attends la suite avec intéret. 😉
Aïe ! entre Vladimir Jankélévitch et Oscar Wilde, mon peintre va se faire rectifier le portrait ! 🙂
Oui, mais un portrait est une sorte de miroir, et que se passe-t-il de l’autre côté du miroir ? La fin peut révéler des surprises…
C’est vrai ! Que pense le portrait de ses changements ? et du fait que la bouille du peintre, elle, n’évolue pas à la mesure des changements du tableau ? Mystère… et révélations dans le prochain épisode !
Je pensais à l’autoportrait du peintre à travers un miroir d’Octavio Ocampo mais je vois que tu es parti sur Dorian Gray, la suite est prometteuse 🙂
oui, je suis parti sur un portrait en miroir inversé de Dorian G. ; ça faisait quelques temps que j’en avais envie, l’occasion à fait le larron (j’avais déjà joué avec lui il y a longtemps) ! Et il faut que je découvre Octavio Ocampo…
Sympa ton photomaton et bien fréquenté 😉
tourmenté par le bien et le mal? ce serait un van Gogh qui aurait vécu et se serait résigné à faire de la peinture qui « plaît »? on attend la suite, oh oui 🙂
Tourmenté, c’est un bien grand mot ! disons que si faire le bien peut arranger sa peinture, il veut bien faire un effort 🙂
J’avais pensé à Dorian Gray aussi. N’ayant rien d’autre à ajouter, j’arrête là mon commentaire… 😉
Merci Mo !
[…] Carnets Paresseux nous livre Le portrait du peintre, première partie.https://carnetsparesseux.wordpress.com/2022/10/27/le-portrait-du-peintre/ […]
Ça commence bien.
Et j’ai le sourire accroché.
Merci Caroline 🙂
Ah suspense !
J’aime lorsque l’insolite et le fantastique s’invitent dans un tableau.
Merci d’avance.
Merci Marie-Christine ; ce tableau qui se redessine au rythme de la bonté de son peintre m’amuse beaucoup 🙂
Il me tarde de découvrir dans quelles circonstances la route du peintre va croiser celle des trois petites pommes, car après tout, le talent attire le talent.
Ah, voilà un cross-over auquel je n’avais pas songé ! puisque tu l’attends, je vais voir si une rencontre est possible.
J’espère que le dragon ne soufflera pas sur ce tableau avant la fin de l’histoire…
Pour moi c’est un peu Nanie Mac Fee qui devient de moins en moins moche (je sais ça fait moins littéraire que Dorian Gray mais je m’en moque 😉).
Bonne journée.
Hum, je ne sais pas si je vais inviter Afnor dans cette histoire…. il est un peu trop carré-dans-sa-tête pour apprécier le fantastique 🙂
Intrigant !! Le peintre va bientôt devenir un Saint !
à moins qu’il ne trébuche en route… sur les petits pavés de l’envie et de l’orgueil qui parsèment le chemin du paradis.
Moi aussi, j’aime cette réinterprétation de Dorian Gray et sa morale réconfortante.
Merci Danielle ! …voir si la morale n’évolue pas en même temps que la peinture 🙂
A suivre donc ! De mieux en mieux🙂
Je mets trois petits coeurs rouges à cette histoire qui sent bon la térébenthine.
Merci Victohugotte ! la suite arrive demain 🙂
Bon jour Carnetsparesseux,
Ton texte me fait penser : à la beauté du geste, de ton personnage… 🙂
Bonne soirée à toi.
Max-Louis
Merci Max-Louis
bonne journée
Ah ça tu as l’art de la chute !
m’en vais lire la suite, tien ! 🙂
Ah, je suis très en retard, mais l’avantage c’est que je n’aurai pas besoin d’attendre pour lire la suite de ce début très intrigant !