L’automne remonte à la plus haute antiquité. C’est l’évidence. Il suffit pour s’en convaincre de lire les Annales de l’Ancien Testament retracées depuis l’origine du monde publié en 1650 par James Ussher, archevêque d’Armagh et Primat d’Irlande, qui, après de forts calculs, a su assigner une date et une heure au premier jour de la Création : le 22 octobre à huit heures du soir.
Peut-on en dire autant du gratin dauphinois ? Il y a fort à parier que la première pomme de terre et la première gousse d’ail durent apparaître le deuxième jour de la Genèse, au même titre que « l’herbe, la plante qui porte sa semence ». La première noix de muscade et le premier grain de poivre ? Le même jour, avec « sur la terre, l’arbre à fruit ». Le lait a attendu trois jours de mieux et l’arrivée de la vache parmi les « bêtes sauvages selon leur espèce, les bestiaux selon leur espèce, et toutes les bestioles de la terre selon leur espèce ». A ce stade, on peut affirmer que non seulement le gratin dauphinois remonte à la plus haute antiquité, mais encore qu’il est automnal : suivant le calendrier du Primat d’Irlande, ses ingrédients datent précisément des 24 et 27 octobre.
En revanche, le calendrier est plus flou pour la première crème liquide et la première noix de beurre. Il faut a minima attendre Abel, le premier éleveur – et encore, la Bible ne dit ni quand ni s’il apprivoisa la vache… un gratin dauphinois à la crème de brebis est-il encore, ou déjà, un gratin dauphinois ?
Connaître les ingrédients d’un plat est une chose, les réunir une autre affaire. Cela parait aisé aujourd’hui, mais en pratique si Venise importe de la muscade des Moluques dès le Moyen Âge, il faut attendre que la pomme de terre traverse l’Atlantique pour envisager le gratin dauphinois. L’Atlantique, et les Alpes, puisqu’elle est d’abord signalée en Italie en 1565, puis en Suisse en 1589, avant de gagner le Dauphiné, probablement au siècle suivant. C’est peu dire qu’on ne l’a pas attendu pour passer à table : en 1510 Claude Bigothier poétise un gratin de rave servi par Conon, paysan bressois, au dauphin Louis.
Gratin et dauphinois apparaissent accolés pour la première fois le 12 juillet 1788 sur le menu du repas offert par le duc de Clermont-Tonnerre aux officiers municipaux de la ville de Gap à la suite de la Journée des Tuiles. Quel plus beau baptême rêver ? Mais un nom et des ingrédients ne suffisent pas toujours à faire recette. Au début du XIXe siècle, Jean-Anthelme Brillat-Savarin préfère, parait-il, la rave à la pomme de terre ! La lutte est épique, d’autant que d’autres concurrents sont en lice, navet, courge, épinard, tranche de pain (que sais-je d’autre ?). Il se chuchote qu’outre-channel, la reine Victoria l’apprécie avec de fines couches de choux fleur et de la chapelure ! La tour Eiffel pointe à peine sa flèche d’acier vers les cieux, que Madame Francisque Sarcey le nappe encore de fromage, et, pionnière, préconise l’ail frotté. Henri Second, Maurice Champavier, estimables poètes régionalistes, s’en mêlent et riment à la gloire de leur plat d’élection. Enfin, le nouveau siècle n’a que trois ans lorsqu’Auguste Escoffier parait et impose la recette épurée aux papilles les plus exigeantes de la meilleure société – osera-t-on dire : du gratin ?
De quoi s’agit-il ? Rien de sorcier. Il suffit d’éplucher les pommes de terre. Les laver. En faire de fines lamelles. Surtout ne les rincez pas ! Éplucher la gousse d’ail avant d’en frotter le plat (l’intérieur) que vous beurrerez ensuite (idem). Étaler une première couche de pommes de terre. Saler. Poivrer. Muscader. Recommencer jusqu’à extinction des réserves de lamelles de patates. En cas d’excédent, s’arrêter au bord supérieur du plat. On verse alors la crème et le lait, avant d’enfourner deux à trois heures à cent cinquante degrés.
Alors, antédiluvien, renaissant, révolutionnaire ou républicain, le premier gratin dauphinois ? L’automne inclinant à la mansuétude, lectrices et lecteurs trancheront à leur guise ; quant à l’auteur, il estime que si l’histoire est une très belle science et la quête des origines un loisir distrayant et un peu vain, le premier gratin dauphinois, le seul qui compte pour de vrai, c’est sans aucun doute le prochain devant lequel on s’attablera.
***
Mijoté pour l’agenda ironique de septembre, chez Mijo, funambule sur le fil de l’écriture. Les autres textes sont récapitulés ici, attendant lecture et votation. Illustration : École supérieure de cuisine, le cours du professeur Pozerski, dix décembre milneufcenvintcinq. Agence Rol, Gallica/BnF
C’est malin ! j’ai clôturé mon vote !
Bon, ce gratin antédiluvien mais quoi qu’il en soit appétissant est certainement plus onctueux qu’un gratin d’eau finnois !
bonne fin de semaine J.
Joli, le gratin d’eau finnois (et sûrement très (trop ?) digeste ! mais les patates seront un peu perdues dans le fjord 🙂
Et les oignons, Carnets ?
des oignons dans le gratin dauphinois ?? hééérrééésiiiiiiiiiie !!!!!! 🙂 🙂
Educatif et délicieux ! Moi je les mettais toujours une heure ! pas étonnant qu’elles ne soient pas cuites, les patates ! Merci Carnets!
merci Victorhugotte ; une heure, c’est un peu court, mais en ces temps de disette énergétique il va falloir réviser nos recettes 🙂
Celle là, elle est gratinée…
merci Valéry 🙂
J’adore.
Et pour la paeĺla, t’as des infos?
Merci John ; je note la paëlla dans la pile des recettes à chroniquer 🙂
Alors je découvre qu’ici vous mettez de l’ail dans le gratin dauphinois? Un détail qui n’a pas voyagé jusqu’au Pacifique. Je suis épatée de ta recherche qui nous fera apprécier ce plat automnal à sa juste valeur gustative 🙂 Je te rajoute dare dare sur la liste des votes ouh….les « agendaïstes » vont patauger dans la purée:)
Oh, l’aïl est un ajout tardif ; le gratin avait du atteindre le Pacifique avant que Madame Francisque Sarcey s’en mêle ! pas de danger que les agendadaïstes pataugent dans la purée ; ils et elles en ont vus d’autres, et si on prend des patates un peu ferme, le risque de purée s’éloigne encore 🙂
Merci de ta clémence 🙂
[…] Chronique de l’automne et du gratin Please follow and like us: […]
Il était somme toute logique que vos pommes deviennent gratinées… La terre, elle, ne ment pas, disait le Maréchal (encore une Histoire que certains nient). 😉
Merci Dominique ; les petites pommes veulent rejoindre la cour du roi, pas le gratin 🙂 Quant à la terre, si elle ne ment pas, d’autres s’en chargent, hélas….
🙂
[…] Chronique de l’automne et du gratin […]
Oh je suis peinée que Madame de Sévigné n’eut accolé ces deux mots à son époque, elle qui a du en manger et l’apprécier et dire qu’elle a tant écrit de recettes délicieuses… Merci de tes histoires toujours un peu folles 😉
Ah, j’ai fait l’impasse sur Madame de Sévigné 😦
merci Patchcath 🙂
Une histoire bien gratinée sous un feuilletage d’informations historiques qui ne le sont pas moins…
Y a quoi au dessert? 😋
le dessert ? reprends déjà du gratin, vous z’allez pas m’laisser ça ! 🙂 : )
Excellent, les effluves se rendent à mes narines refroidies par les vents d’automne québécois.
Merci Flying ! faut un sacré bon vent d’est pour que la cuisine du Dauphiné arrive jusqu’à tes narines 🙂
J’ai appris plein de choses !
moi aussi !
🙂
C’est malin, ça me donne faim…. Va falloir que je récolte mes dernières pommes de terre…
Désolé 🙂 c’est encore la saison des pommes de terre ? automnale, la patate ?
Tadaaammm l’heure des résultats a sonné.
La lauréate gourmande est Victor Hugotte du Blog GRAIN DE SABLE avec : « Entretien avec un Onion Braisé: le chef le plus prometteur de l’année » 5 voix
Se serrent les coudes sur la deuxième marche du podium Carnets Paresseux et Tout l’opéra ou presque avec respectivement chacun 3 voix
Sur la troisième dent de la fourchette se coincent Gibulène, le petit escargot et l’Atelier de Christine avec chacune 1 voix.
En ce qui concerne le passage du flambeau pour l’AI OCTOBRE, Carnets Paresseux a été plébiscité 4 voix.
Toutefois Luc St Pierre et Bernadette (Photonanie) se sont portés volontaires. Je laisse ces trois là s’organiser pour la suite.
Merci à toutes et tous pour votre participation active à ce premier AI organisé par mes soins. Je vous promets de m’améliorer la prochaine fois pour une présentation des votes plus pertinente 🙂
Bon mois d’octobre à toute la team des agendadaïstes.
Mijo, je viens juste de repêcher ton message dans les « indésirables » 😦
j’ai essayé de commenter chez toi, mais sans succès…
bravo pour ce beau mois de septembre !! 🙂
Hello chez moi les coms n’apparaissent pas de suite. Je dois les approuver avant:) C’est peut-être cela qui t’a gêné?
oups, je viens de me rendre compte qu’Escoffier propose en 1928 un gratin dauphinoise (sic) pas du tout épuré (de patate) : avec des oeufs battus (!) et du fromage rapé (!!) : une omelette pomme de terre fromage, quoi ! 🙂
ah je te lis en retard mais je déguste! trois heures au four, ça fait rêver 🙂
avec trois heures de cuisson ,mieux vaut être en retard qu’en avance ! et il n’y a pas d’heure pour déguster un gratin (enfin, quand il est cuit)
ça fait rêver d’une époque où on ne se souciait guère du coût du gaz et de l’électricité 😉
et où il fallait descendre chercher le charbon à la cave 🙂
L’auteur n’a visiblement jamais goûté à mon gratin dauphinois, tour à tour brûlé, trop aqueux ou pas assez cuit.
j’ai hâte de goûter ! un gratin dauphinois n’est jamais raté 🙂