Pan ! dit le marteau. Est-ce qu’il est enthousiaste, impatient de jouer son rôle, désireux de servir ? Ou bien il s’ennuie, s’inquiète d’être inutile, oublié sur l’établi, de s’empoussiérer, bref, de choir au rang d’inoutil ? En tout cas, Pan ! il s’encourage tout seul comme au matin d’un premier jour. Et sitôt l’écho du dernierPan éteint, il récidive : et Pan et Pan ! Et, entre les pans, il se répète « J’attends de savoir », comme un bon ouvrier qui est prêt avant l’heure. Prêt à construire l’arche de Noé, où même planter des clous au firmament pour enficeler les étoiles au ciel !
Mais le clou n’est pas d’accord : d’abord, pourquoi Pan ? pourquoi toujours Pan ! et pas Plouf ? Vraiment, pas la peine d’espérer ce qu’il faut attendre, voilà ce qu’il se dit, le clou. D’abord, il n’est pas tout seul : il y a toujours d’autres clous dans les compartiments du tiroir à clous, et bien plus encore : dans les creux, vis – cruciforme ou à rondelle étroite -, et jamais loin, deux-trois boulons un peu huileux. Et puis l’inaction, le clou s’en fiche. Vieux clou, un peu tordu, piqué de rouille, il se rappelle d’une ficelle longue longue longue, et d’un hareng saur, saur, saur ; surtout, il se rappelle le fumet de la poiscaille qui poissait la ficelle et embaumait haut haut haut ! Faut pas s’étonner si maintenant, il préfère la poussière et la rouille, pas tenté pour deux sous par le remue ménage du vaste monde.
Par terre, le tableau : juste une toile tendue qui attend encore son cadre doré. Les couleurs disposées sur la toile figurent un établi, avec, au beau milieu du plan de travail, un marteau – plus exactement la forme peinte d’un marteau, manche brun et tête noire avec un trait argenté qui serait un reflet ; et un casier entrouvert dans lequel on distingue l’image d’un clou qui brille dans l’ombre. Au pied de l’établi, une touche dorée imite la forme d’un cadre. Sans doute le peintre a-t’ il glissé dans son œuvre une vanité discrète, une morale sage et un peu mièvre, comme un rébus invisible sauf à celui qui sait – ce qui est, se dit le tableau, un peu inutile : celui qui sait n’a pas besoin d’une leçon de peinture, et l’ignorant préférerait, à tout prendre, un avis plus explicite. Lui, le tableau, il s’en fiche un peu des morales cachées : ça ne le regarde pas, il attend juste le premier jour de l’exposition. Sauf que… eskeul‘ peintre osera le proposer, lui, pour l’exposition ? Et même si oui, est-ce que le galeriste l’acceptera ? Et si le galeriste accepte, est-ce qu’il sera acheté, lui, et est-ce qu’alors il arrivera chez un riche collectionneur, ou aux cimaises d’un grand musée ? où ou ? où pas ?
Tout cela, il se le demande, le tableau, en se répétant une ritournelle apprise du peintre « la port’était lourd’, ça faisait dézheurs » – quoi faisant il se demande aussi que son peintre est bien idiot de répéter une phrase pareille, aussi redondante que la morale de tout à l’heure : c’est bien évident que la porte est lourde, puisque en bon français la lourde est une porte.
* * *
Pan ! pour l’agenda ironique d’octobre, une histoire de premier jour obtenue par reglonflage d’haïku. (l’écrevisse s’est caché dans le tableau, saurez-vous la retrouver ?)
Illustration : Johannes von Cuba, Hortus Sanitatis, XVe siècle ; Gallica/BnF.
Quand le marteau jouera de la flûte, son « Pan » sera peut-être plus mélodieux ! 🙂
C’est sûr ! et ce jour là, peut-être que le clou dansera en jouant des flûtes !
avec un fakir sautillant sur lui !
Ouf ça y est j’ai trouvé l’écrevisse ! Ca m’a fait un souci !!!
bien planquée, hein ?
j’adore la chute sur la lourde 😀
Merci Gibu ! à force de me répéter le vers de Norge, cette évidence est apparue 🙂 il n’y avait plus qu’à en faire une chute (surtout que e n’avais pas encore de fin pour l’histoire)
Voilà une histoire légère qui se termine sur une fin un peu lourde pourtant. Ce pan qui n’en finit pas de faire la roue, est-ce bien raisonnable 😉
Et si, à un moment, on se disait « ceci n’est pas un marteau »?
Étrange histoire, moi aussi j’ai trouvé l’écre-vis au fond du tiroir!
« ceci n’est pas un marteau » : encore un belge ?? en plus de Norge ? ça n’est plus un tableau, c’set un plat-pays 🙂
Très bon ton recyclement de haïkaï, et bravo pour l’écrevisse cruciforme !
Bonne journée, Jérôme.
Merci Jean-Louis ; cet haïkaï est plein de ressource, comme un tiroir de clous 🙂
Une mise en abyme, en quelque sorte?
‘Xactement, une mise en abyme : ça me permettrait de décrire la scène et le tableau d’un seul coup 🙂
Où il se confirme que les techniques de pointe ne valent pas un clou
Joli ! on dira aussi que les pointes s’émoussent, alors que la mousse ne s’épointe jamais 🙂
C’est l’histoire d’un amour impossible et un brin sado-maso entre un marteau et un clou.
C’est une interprétation possible : enfin, tant que c’est pas entre le marteau et l’écrevisse, ça va 🙂
Je ne voudrais pas « enfoncer le clou » mais placer un crustacé dans cette histoire , fallait le fer !
Il m’a fallu « dix manches » entiers pour le trouver…
Quant à la vie de cet outil indispensable, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression de connaître…
En ces temps difficiles, on l’est tous un peu, non ? (marteau)
Bon, j’arrête, parce que, ma vie, tout le monde s’en « tape » … ;-)))
Bises du lundi.
l’écrevisse se planque dans les crevasses du texte
Ah, ah, j’aime beaucoup. 🙂
C’est drôle, truffé de trouvailles et d’une belle mise en abyme.
Bref y a rien d’inoutil dans cette histoire, tout est excellent 🙂
Merci Laurence ; je me suis bien amusé avec ces outils pas inoutils 🙂
Pour un texte qui parait humoristique, je l’ai finalement trouvé follement mélancolique. Ce n’est pas rien pour une histoire d’objets.
du coup je l’ai relu, et oui, tu as raison, mes objets sont mélancoliques…
[…] Le marteau, le clou, le tableau (et l’écrevisse) […]
Excellent !
Merci Solène 🙂
(je me suis bien amusé en l’écrivant !)
Cela se sent. Et c’est le plus beau que l’on puisse faire à nos lecteurs. Qui ne s’y trompent pas