Sur une branche, l’oiseau noir.
Sur la racine, le goupil.
Entre deux le tronc, long comme un tronc sait l’être.
On sait la scène, sue car souvent vue et lue.
Que fait le piaf ? que fait le renard ?
Le Piaf ? Que faire sur une branche à moins que l’on ne songe ? Aussi, l’oiseau songe.
Sur une racine ? On trame et on embobine, quand on est bête rousse et subtile.
Ainsi, en bas, l’habile renard babille.
Ce que le goupil babille, le corbeau ne l’entend pas. C’est qu’il y a alentours le bruissement des feuilles dans le vent, le grincement des branches, le piou des z’aut’ zoziaux perchés ci et là, le chuchotis du ruisseau qui serpente là bas, le trotte-menu des musaraignes entre les mottes terreuses et peut-être même dans un lointain lointain, venu par delà des montagnes dentues, l’écho d’un chant ténu qui pourrait être celui de trois pommes qui chanteraient – si les pommes chantaient, bref -, tout l’incessant chant du monde qui lui chante à l’oreille l’empêche d’entendre le petit rusé roux.
Il songe, plongé dans corbeau-sait-quels souvenirs, et le roué sur sa racine en est pour sa peine.
Il s’en doute, le renard, que son baratin est inutile, mais il s’évertue, insiste, refusant d’admettre l’évidence ; sans oreille attentive, sans corbeau à pigeonner, son discours ne sert à rien, inutile, aboli, bibelot d’inanité sonore.
Et pas seulement à cause du bruit du monde qui mange ses paroles. Si tout se taisait alentours, même une seconde, si la voix du roublard arrivait à l’oreille du piaf, bref, l’entendrait-il, le corbeau, le renard, qu’ils ne s’entendraient pas, le renard, le corbeau.
Et pour cause : animal à longue mémoire, de longue date l’oiseau noir sait les blagues et les astuces, les manigances hardies du petit fauve pilleur et flatteur, ses verbeuses entourloupes, les pièges de ses hypallages et les traquenardises de ses amphibolies.
Alors, le renard peut le louer tant qu’il veut, lui, corbeau, sait qu’il ne feront pas affaire. Bref, indifférent il songe, et, engourdit dans son songe, baille sans même y songer.
Baillant, il ouvre un large bec, et patatras, son fromage – ai-je dit qu’il tenait dans son bec un fromage ? Lecteur malin, lectrice avertie, vous vous en doutiez déjà ; voilà : il tient un fromage, et dans son bec, qui plus est – bref, son fromage lui échappe du bec et tout ballant s’abat au pied de l’arbre et rebondit entre les racines et roule dans l’herbe verte de la colline ronde et zigzague entre les roseaux, avant, dans une gerbe d’eau pure, de filer au fil du courant du ruisseau, de passer sous l’ombre de l’arche arrondie d’un pont, et de filer loin, loin, avant de s’arrêter, enfin immobile, sur le lit de galet d’une rive nouvelle, insouciant du malheur de l’oiseau noir comme des regrets du renard, – et pourquoi le fromage, calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur, en ferait-il un fromage ?
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Fable retricotée pour l’agenda ironique de septembre chez Toulopéra (ou presque)
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IIllustration : Kalīla wa Dimna , d’Alī ibn al-Šāh al-Fārisī, traduit par Ibn al-MuqaffaʿʿAbd Allâh Hortus Sanitatis, XIVe siècle ; Gallica/BnF.
Mon petit-fils vient justement d’apprendre par coeur « le corbeau et le renard » mais il est encore un peu jeune pour comprendre les subtilités de ton texte fort bien tourné pour cet agenda pas facile du tout.
Et je ne dis pas ça pour te flatter puisque je sais que tout flatteur… et puis surtout c’est pas le genre de la maison 😉
merci Phoyonanie ; j’adore cette fable, avec ses trois personnages et son décor très simple, elle permet toutes sortes de variations !
EXTRAORDINAIRE, carnets paresseux, je vote pour toi ! 😀😀😀
Merci Jean-Louis ; j’ai eu du mal à démarrer, et puis l’alliance Stéphane/Jean, Mallarmée/la Fontaine s’est imposée ; paresseux, j’ai confié les hypallages et autres ruses au renard, et invité les petites pommes pour une petit tour, hop, le tour était joué.
Ah mais c’était facile, alors ! 🙂
Non, je plaisante, encore une fois bravo ! 👏
Un délice, carnets.
Et pour l’histoire il fut écrit
que chacun y perdit.
Sauf le fromage,
le seul à voir du paysage.
Merci Caroline
chacun perd un peu
sauf le lecteur
et le fromage
c’est bien son tour,
et c’est le jeu
Tout un monde de poésie …
Merci Juliette ; la Fontaine, une fois qu’on oublie ses morales un peu fatigantes, est un bon guide vers la poésie 🙂 🙂
Eh mais…. il y a des mots compliqués en plus… Vite Internet et ses dictionnaires!
oh, les mots compliqués, ils sont juste là pour faire chic (et parce que la régle du jeu les exige) ; on peut très bien se passer de savoir ce qu’ils veulent dire. D’ailleurs, le savent-ils eux même ?
L’affable renard et le corbeau piailleur, Piaf fait entendre sa voix éraillée (« Allez venez, Milord… »), mais le chèvre n’est pas feuille, il roule et grossit au fur et à mesure comme une boule de neige, il est vrai qu’après l’automne c’est l’hiver, en principe dira
Jadot au corbeau et Rousseau au ruisseau… 🙂
Quel plaisir de revenir te lire, carnets paresseux, et d’autant plus pour cette fable détricotée qui me fait penser je ne sais pourquoi à toutes les pies convoiteuses qui se sont mises en campagne… belle soirée !
merci Sabrina ! les pies sont en campagne ? ici, se sont les étourneaux qui font de grands meeting !
Bonjour,
Je crois que vos abonnés sont un peu mal armés pour arriver jusqu’ici. Votre dernière notification est farceurse (en tout cas avec moi): elle renvoie à une case sinon abolie, du moins de départ, celle du 3 septembre …
[…] https://carnetsparesseux.wordpress.com/2021/09/24/etrange-et-beau-un-bruit-agenda-ironique-de-mai-2/ […]
Sympathique version du Corbeau rêveur, du renard roublard et du fromage ien fait qui finit dans l’eau de …La Fontaine 😉
Merci Piigraï ; j’aime bien jouer avec cette fable 🙂
Bon jour Carnetsparesseux,
Diantre, ça démarre très fort avec : »…tronc sait l’être… » qui donne le ton pour la suite entre carnassier et volatile (qui ne l’ai pas toute à fait, le renard, volatil) …
En tout cas, à la lecture à voix haute, c’est sportif, faut tenir le rythme et les tournures. En un mot : Bravo!!!
Max-Louis
fallait bien donner un petit rôle à l’arbre, sinon il est réduit à la figuration et il s’ennuie 🙂
pour la lecture à voix haute, oui, je pense qu’il faut un peu de souffle – mais j’écris presqu’à voix haute 🙂
Etre dans le hêtre n’est pas donné à tous les corps beaux ! tu nous emmènes loin Carnets, un vrai régal, quel que soit le fromage !
On dirait que pour une fois, le fromage s’en sort indemne!
lui aussi a droit à sa minute de réussite !!