Les trois pommes et le trésor du roi

« Qn lui donnera le trésor du roi », dit la petite pomme rouge.

– Le trésor du roi ? s’exclame la petite pomme jaune, tandis que la verte demande – au dragon ? »

De vrai, alentour, arbres, bosquets, racines, colline, rivière et vent tout le monde est stupéfait d’une telle audace ! Mais après une minute de réflexion, la petite pomme jaune dit : « C’est vrai, les dragons aiment les trésors. Et nous, pommes, quand on chante tout le monde nous écoute. – Alors nous chanterons pour demander son trésor au roi et on le donnera au dragon ! enchaîne la petite pomme verte. Et la petite pomme rouge conclut fièrement – Et tout le monde sera content, le dragon parce qu’il aura de l’or, le roi parce qu’on chantera pour lui et nous, les trois petites pommes, parce que le dragon nous aura conduit à la cour du roi ! »

Mais voilà que la petite pomme bleue demande : « Vous croyez qu’il vous écoutera chanter avec plaisir, le roi, quand vous avez donné son trésor à un dragon ?  Alors les trois petites pommes s’interrogent tour à tour : «  La petite pomme bleue n’a pas tort, dit la rouge. – Et même plus qu’elle croit : est-ce que les belles dames et les chevaliers de la cour nous écouterons chanter avec plaisir, si le roi n’aura plus de trésor ? S’interroge la verte. A son tour, la jaune dit : « Et les pages, les chambellans, les cuisiniers, les palefreniers et les archers du roi, seront-ils contents quand le roi n’aura plus de trésor pour payer leurs gages ? – Croyez-vous même qu’une fois qu’il n’aura plus de trésor, le roi sera encore longtemps roi ? reprend la verte.

La rouge dit à son tour : Vous avez raison et tort, petites pommes mes sœurs ; le vrai, c’est qu’une fois que nous serons auprès du roi, son plus beau trésor ça sera nous, les petites pommes qui chantent : car aucun autre roi ne nous aura à sa cour ! Alors, pour exaucer notre souhait il devrait nous donner au dragon… »

La petite pomme bleue profite du silence qui suit pour dire : « Bien dit, les pommes. Sans compter que s’il convoitait l’or du roi pour son propre compte, le dragon n’aurait pas besoin de vous pour aller le chercher… Non, je ne crois pas que vous devriez faire confiance à un dragon.

– Toi, la petite pomme bleue, tu causes mais c’est tout ce que tu sais faire, dit la petite pomme rouge. Elle se tourne vers les pommes jaune et verte et continue : – Mais alors comment faire ? On ne va pas attendre qu’un passant nous décroche de notre branche, et nous pose dans un panier et qu’il nous emmène jusqu’au château, sans compter qu’il risque de nous manger en route. – Mais rester ici, sous notre branche, avec toujours les mêmes branches, les mêmes feuilles, les mêmes bosquets sur la même colline ronde, à chanter pour le même ruisseau, dit la petite pomme verte, – Maintenant qu’on sait qu’on pourrait aller chanter pour le roi, ça serait vraiment trop ennuyeux, achève la jaune.

– S’il faut se passer de dragon, autant faire le voyage nous-même, dit la rouge. Et la discussion continue entre les trois pommes : – Puisqu’il ne faut compter que sur nous, on pourrait chanter et nous changer en trois voyageurs – Oui, pourquoi attendre ? Le changement, c’est maintenant ! – On aurait des grandes barbes rouges et noires, des redingotes vertes et jaunes pour la pluie, des chapeaux pour le soleil, de longs bâton de marche – Oui, on chanterait et hop on serait des marcheurs – Non, pas des marcheurs, c’est idiot ! Plutôt des pèlerins ou des peintres ambulants – Oui, et on serait courbé sous nos gros sacs à dos plein de fourbi, pinceaux, tubes, toiles, carnets de croquis – On prendrait la diligence ! Et on irait par les chemins jusqu’au château du roi – Et là, finis les collines rondes et les racines et les ruisseaux qui glougloutent  ! Je vois déjà le tableau ! s’enthousiasme la petite pomme jaune. – Oui. Le jour d’après, quand nous aurons gagné, ne sera pas un retour au jour d’avant », conclut la petite pomme rouge qui aime avoir le dernier mot.

– Et quand vous auriez faim, ni vu ni connu, en chemin, vous cueillerez une pomme ? demande alors la petite pomme bleue. Blague à part, vous causez beaucoup pour des pommes chanteuses. D’ailleurs, vous croyez vraiment que le roi va accueillir trois vagabonds qui prétendent être des pommes qui chantent ? Sérieux ? Vous ne passerez pas le poste de guet.

Devant l’air effaré et penaud des trois petites pommes, elle reprend d’une voix plus douce : Écoutez-moi, vous avez tort et vous avez raison. Tort : pas de vagabonds, pas de chien, pas de grande canne de marche ou de fourbi de peintre en promenade. Là où vous avez raison, c’est qu’il ne faut compter que sur vous et, à l’aide de votre chant, vous changer pour le voyage. »

– Mais nous changer en quoi ? demande la verte. – En fleur ? bafouille la jaune. – En flamme ? ose la rouge.

– Mais je vous le dis depuis le début : En dragon, voyons ! »

 

encore à suivre encore (mais on approche doucement de la fin)

***

10e épisode. Pour l’agenda ironique d’avril, chez des Arts et des Mots, fallait causer encore et toujours, un tableau parmi les trois proposés (vous trouverez bien lequel j’ai choisi), et une citation. Paresseux, j’en ai glissé deux, et de qualité.

Illustration : enluminure, Dragon, fleurs et fraises, XVIe siècle,  Bibliothèque municipale de Toulouse/Gallica

47 commentaires

  1. Il me vient une idée stupide: et si les petites pommes se contentaient de ce qu’elles ont? C’est pas si mal les collines, la rivière qui glougloute et tout ça. Ha oui me diras-tu, mais dans ce cas il n’y aurait pas d’histoire 😉

  2. Une série dans la tradition des contes philosophiques et des métahistoires à tiroirs.
    Tu vas faire tous les agendas de l’année avec ces pommes. Tout est dans la pomme. La pomme est dans tout.
    J’attends depuis le début qu’elles se changent en dragons.

    • Merci joséphine ; même si c’est tentant, je crois que les pommes ne vont pas faire le tour de l’année ; c’est facile de dire maintenant que tu le savais depuis le début, qu’elles se changeraient en dragon ! Cela dit, c’est dit, mais pas encore fait… y arriveront-elles ?

  3. Même si vous n’avez pas le monopole du cœur (oui, je sais, c’est facile), vous semblez ravir celui de vos héroïnes: il faut dire qu’elles vous doivent une fière chandelle, les détacher et réattacher à leur branche au gré de leurs envies, quelle dextérité ! M’étonne pas qu’elles en aient plein la bouche, des cadeaux de conteur. « Un été, un automne, quelques jours. L’histoire ne fait pas ces comptes-là. » pourraient-elles ajouter devant leur assemblée presque républicaine. Elles semblent tellement vous avoir compris.
    🙂

  4. Après nous avoir dit que « le changement , c’est maintenant », seras-tu le premier à le dire et à le faire vraiment ?
    Suspense… 😉

    • Évidemment (mais je ne reprends pas à mon compte les autres calembredaines des politiciens… ) plus précisément, on va dire « le changement, c’est le prochain épisode » !

  5. Encore une fois excellent, tu nous tiens en haleine avec tes petites pommes raisonneuses.
    Mais méfie-toi, l’Agenda Ironique du joli mois de mai arrive, et si tu ne conclues pas d’ici là, il te faudra repartir pour un nouveau tour ! 😉
    En attendant, ce n’est pas encore pour cette fois qu’on aura la vérité sur le dragon. 🐉

  6. Une des trois pommes s’interrogea « in petto » : « Mais, ils nous prennent peut-être pour des poires ? »… Elle n’osa pas faire part de cette question à ses deux commensales. Tout aurait pu valser par-dessus tête, qui sait ?… 🙂

    • C’est sûr que les pommes sont bien confiantes (à l’égal d’autres catégories socio-professionnelles) 🙂 ; un peu de prise de conscience ne leur ferait pas de mal… mais de là à tout envoyer valser ?

  7. Bon jour Carnetsparesseux,
    Je retiens : « … il ne faut compter que sur vous … », en fait, depuis le début, tout est là, dans ces quelques mots … 🙂
    Max-Louis

  8. Oui, c’est très réussi. La pomme bleue n’est pas vraiment entendue finalement. je me demande bien ce qu’elle mijote. Quant aux citations, elles sont vraiment de saison. Votre récit aura rythmé mes vacances. Et c’est bientôt la fin. Vous avez un vrai talent pour le suspense. Merci pour ces bons moments de lecture. Et à quand donc la prochaine ?

  9. Ah, je ne m’attendais pas du tout à la fin… Qui n’est pas encore la vraie fin, oui, je sais… mais je l’attends avec impatience.

  10. Dans quelques siècles, je le prédis, des âmes éclairées vont tomber sur ce conte et s’en servir pour fonder tout un précis de morale politique. La plus salutaire des vertus de ces pommes reste à mes yeux un goût consommé de l’introspection et de la remise en cause, ce qui est toujours salutaire.

    • Julien, je suis très touché par ta remarque ; je ne sais pas du tout d’où ces pommes tiennent leur goût pour les discussions sans fin (ici on dit la « parlote ») 🙂
      pour donner une chance à des âmes éclairées de trouver ce conte dans quelques siècles, c’est facile : il suffit de le copier sur quelques matériaux relativement inaltérables (marbre, métal….) et d’enfouir ces copies un peu partout. Ou alors, de le confier à la mémoire collective et donc de le lire dans les écoles 🙂 !

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