Qu’offrir à un dragon ?

Que donnerez-vous au dragon en échange de son aide ? »
Les trois petites pommes réfléchissent à peine un instant, et la petite pomme verte dit : «Ben c’est pas la peine de rien lui donner en échange, puisque déjà on chantera pour lui. La petite pomme jaune reprend  – Ben oui, les feuilles, les branches, les racines, les bosquets et même l’herbe verte et la rivière… La petite pomme verte dit à son tour – Et même le roi Pépin et les chevaliers et les belles dames de sa cour, tout le monde aime notre chanson, alors pourquoi le dragon ne l’aimerait pas ? – Et personne, ni le vent ni la rivière ni les collines rondes, ne nous demandent rien de plus que notre chanson, dit encore la petite pomme jaune, alors pourquoi le dragon voudrait autre chose ?
Et la petite pomme rouge conclut : C’est quand même assez évident. Excuse-moi, mais des fois, on n’a pas l’impression que tu es vraiment attentive, petite pomme bleue ».

La petite pomme bleue répond : « Vous avez raison, chères petites pommes, mais vous avez tort aussi. L’herbe et les collines écoutent votre chanson et ne vous demandent rien de plus. Là, vous avez raison. Et là ou vous avez tort, c’est que ce n’est ni les racines ni les bosquets alentours qui vous emmèneront au château du roi. Vous ne leur devez rien .
– Mais puisque la petite pomme bleue a dit que c’est notre chanson qui fera venir le dragon, demande la petite pomme jaune, notre chanson le fera rester aussi, non ? – Tu as raison, mais la petite pomme bleue aussi : on ne va pas pouvoir chanter tout le temps pour le dragon, précise la petite pomme rouge. Une fois à la cour du roi, il faudra aussi chanter pour le roi et la cour…. – Oui, et est-ce qu’une chanson qui plairait au dragon plaira aussi au roi et à ses chevaliers, demande la petite pomme verte ?
– Et une fois libéré de notre chanson, le dragon, reprend la petite pomme jaune… mais la petite pomme verte lui coupe la parole – Vous imaginez les dégâts qu’un dragon peut causer dans un château… – Pire ! on nous accusera de l’avoir amené, conclut la petite pomme rouge ! La petite pomme bleue a raison, il nous faut une monnaie d’échange.
– Mais ça dépend un peu du dragon, non ? demande la petite pomme jaune ; si c’est un dragon d’eau ou un dragon de pierre, il ne voudra pas la même chose, Il faudrait demander à la rivière, aux montagnes qui ferment l’horizon ou même au vent, ce qu’il faudra lui proposer si c’est un dragon d’air ? Où un dragon d’herbe ? »

Les pommes scrutent la rivière, l’herbe, les montagnes et le ciel en quête d’une réponse. Mais les montagnes ont beau dresser leur cimes en un dos écailleux, le vent a beau filer comme un dragon volant, l’eau glouglouter sur les pierres du gué dans un feulement rocailleux et l’herbe a beau essayer de cracher une longue flamme verte et brûlante, les trois pommes ne voient autour d’elles aucun indice de ce qu’il faudrait offrir au dragon. Et puis la petite verte dit :
« Si c’est notre chanson qui le fait venir, ça sera un dragon de pommes, d’accord ?
Les deux autres pommes acquiescent, ébahies par tant de sagacité. La jaune dit : Mais qu’est-ce qu’on a de rare, nous les pommes ? A part qu’on chante ? tandis que la rouge se récrie : On ne va pas lui donner le pommier, quand même ? »
La petite pomme verte dit alors : Quelque chose de rare et de pomme ? On pourrait lui offrir la petite pomme bleue, non ? »
Quoi dit, toutes surprises de leur audace, les trois pommes se taisent, et, tout comme les feuilles qui dansent au bout des ramilles, les racines qui plongent entre l’herbe verte de la colline ronde, l’eau de la rivière et les montagnes qui dorment dans le lointain, attendent la réaction de la petite pomme bleue.
Mais la petite pomme bleue ne dit rien.

Alors, prise de remord, la petite pomme jaune dit :
« Offrir la petite pomme bleue au dragon ? Non, quand même, même bleue c’est une pomme, comme nous. – Tu as raison et tu as tort, répond la petite pomme verte, c’est une pomme comme nous, sauf qu’elle ne chante pas. Et la petite pomme rouge conclut : Sans compter qu’on est jaune, verte et rouge, et qu’elle est bleue. »
S’ensuit un long silence, et puis la petite pomme jaune reprend : « Sa couleur ? On s’en fiche : même bleue, c’est une pomme ! Et la verte ajoute – Oui, tu as raison et j’ai tort : toutes les pomme ne chantent pas, et c’est des pommes quand même. »

Et la rouge, qui aime bien avoir le dernier mot, dit à son tour :
« D’accord, on ne lui donnera pas la petite pomme bleue, au dragon ! à la place, on lui offrira le trésor du roi ! »

encore  encore à suivre (approchera-on un jour de la fin ?)

***

9e épisode.

illustration : enluminure, Dragon, fleurs et fraises, XVIe siècle,  Bibliothèque municipale de Toulouse/Gallica

43 commentaires

    • ben, tous les rois ont un trésor, non ? on appelle ça le trésor royal, gardé par la garde royale et enfermé dans un coffre sous le donjon…. enfin, dans les contes, et ça me suffit 🙂
      Sinon, désolé pour la tension, je pensais finir plus vite mais ces pommes sont de terribles discutailleuses qui ergotent sur tout et tout !
      Enfin, transformer les lecteurs en dragons, je n’y avais pas pensé…mais si tu te mets à cracher du feu, ben ça sera à toi d’emmener les pommes à la cour du roi !!

      • Côa, Carnets Paresseux, tu réussis à transformer tes lecteurs en dragon !
        Tu me fais penser à Michel LEBRUN, écrivain et spécialiste en littérature policière et fondateur de l’OuLiPoPo (Ouvroir de Littérature Policière Potentielle [une branche de l’OuLiPo, nous en devisions il n’y a guère]), duquel il se dit qu’il aurait écrit LE roman policier ultime, où l’assassin est… ???? le lecteur lui-même (fort heureusement, je n’ai jamais lu ce livre 😉).

        • Oh, il faut que je déniche ce livre… pour l’offrir 🙂 enfin, tant que la victime n’est pas l’auteur lui-même, ça va ! (edit : ce Michel Lebrun, ou Leclerc, ou Lenoir a quand même une cinquantaine de titres à son tableau de chasse… va me falloir des indices pour trouver le bon !)
          quant à transformer mes lecteurs en dragon, c’est à l’insu de mon plein gré, et je plaide la bonne foi.
          et puis voler dans les airs, détruire des châteaux et transporter des pommes chanteuses, il y a des lecteurs qui n’ont pas à se plaindre !

  1. Où l’on apprend que les petites pommes ne sont pas racistes, ce qui est une bonne chose même si nous n’en doutions pas, mais tout de même, elle est bien mystérieuse, cette petite pomme bleue…

  2. Surtout pas de bougie alors; elle risquerait de lui brûler les ailes (ce qui donnerait une fâcheuse tournure à votre histoire) !

    • C’est vrai, qui sait ? Pourquoi pas le roi ? ah non, devant qui chanteront-elles si elles offrent le roi au dragon ?
      (cela dit, dragon et trésor sont deux mots qui vont très bien ensemble 🙂

      • C’est bien vrai, et j’aime beaucoup qu’ici les deux soient mis en relation par des pommes ! Je doute que cela ait jamais été fait avant !

        • en effet, c’est une curieuse arrivée des pommes dans l’heroïc-fantasy 🙂
          sauf à considérer la Génèse et Hercule au Jardin des Hespérides comme de l’héroïc-fantasy…

    • je me demande bien comment elles y ont pensé, car moi je n’y pensais pas…. mais bon, le coup est passé près mais la petite pomme bleue est toujours dans l’arbre 🙂

    • Merci Anna ; vous avez raison, et oui, je crois que la différence est très répandue ; c’est peut-être pour ça qu’elle fiche un peu la trouille…ici, pour vous, différence entre les dragons ? entre les pommes ? ou entre les herbes vertes ?

  3. Vous vous moquez un peu, mais oui entre les pommes, et les dragons, ça dépend de la longueur de la flamme, quant aux herbes, elles ne sont pas vertes pour tout le monde. J’aime bien ce système d’histoires à épisodes.

  4. Les petites pommes rouges vertes ou jaunes sont des bleues en matière de dragons …
    Chacun sait, du moins tous ceux qui n’ont pas perdu leur âme d’enfant, que les dragons raffolent des piments rouges (basques de préférence). C’est bon pour leur teint et cela ravive leur flamme. Il faudra leur faire passer le message, cher Carnet !

    • C’est noté, les pommes chercheront le pot de piment d’Espelette dans les cuisines du château du roi… sitôt que le dragon les aura emmené 🙂
      merci, Marie-Christine

  5. Eh bien quels rebondissements une nouvelle fois dans cette aventure hautement colorée ! J’ai cru à la fin de la pomme bleue… quel choc ! 🙂

    Merci Carnets, je savoure toujours autant le plaisir de goûter tes mots.

    PS : J’ai rêvé d’un arbre bleu pour ma pomme préférée 🙂

    • Merci Laurence ; la petite pomme bleue n’est pas passé loin des ennuis, on dirait ! mais la solidarité pommesque existe… et la petite bleue n’a pas dit son dernier mot.
      Et oui, on dirait presque une histoire à peindre…. 🙂

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