Ce que dit la chanson

« Vous devriez chanter à la cour du roi ! »

« Chanter à la cour du roi, s’exclame la petite pomme jaune ? – Mais on est des pommes, précise la petite pomme verte. – Et la chanson des pommes parle de branche, de mûrir au soleil et de rouler dans l’herbe, et de chanter du matin au soir et du soir au matin, mais pas d’aller à la cour du roi », conclut, d’une traite, la petite pomme rouge.
Ramilles et branchages, feuilles et racines, jusqu’aux montagnes qui ferment le bout de l’horizon soupirent d’aise : comme les trois petites pommes ont bien répondu à cette drôle de petite pomme bleue avec ses drôles d’idées. D’ailleurs, que va répondre cette bavarde ? Contre toute attente, elle répond ceci :
– Vous avez raison, la chanson ne le dit pas : ça prouve bien que vous êtes vraiment faites pour être suspendues à une branche et chanter pour les bosquets, l’herbe de la colline ronde, la poussière du chemin et l’eau qui glougloute dans la rivière, et rien de plus. »
Ça alors, les trois petites pommes ont rivé le clapet de cette insolente petite pomme bleue !
Mais voilà que la petite pomme jaune prend, timidement, la parole : « Tout de même, la cour du roi, ça doit être quelque chose… d’accord, ça n’est pas dans la chanson, mais si on changeait les paroles, pour voir ? – Rien qu’une fois, pour voir, acquiesce la petite pomme verte. – Peuh, ça ne changera rien, répond la petite pomme rouge. – Si ça ne change rien, alors on ne risque rien à essayer », disent les petites pommes jaune et verte. Elles ferment les yeux et chantent :

Trois petites pommes
à la cour du roi
la première est verte
la deuxième est jaune,
la troisième est rouge.

Comme le couplet s’achève, elles ouvrent les yeux et regardent autour d’elles : elles sont toujours accrochées à la branche du pommier planté sur la colline ronde et couverte d’herbe drue, et alentours il y a des bosquets et un chemin et une rivière, et à l’horizon les montagnes, mais pas de hauts murs remparés de créneaux, pas de pages, de chevaliers armés de pied en cap, pas de nobles dames coiffées de hennin, pas d’oriflammes, bref pas de cour du roi. Rien n’a changé.

« Vous voyez que ça ne marche pas, dit la pomme rouge. La pomme jaune lui répond : Non, c’est juste qu’on est allé un peu vite en besogne, il ne faut pas sauter les étapes et, d’abord, préparer le voyage… »

Trois petites pommes
font leur baluchon
un baluchon vert
une besace jaune,
et un sac rouge.

« Un baluchon ? Pour y quoi mettre ? Demande la pomme rouge d’un ton acide. – Un peu de sève de pommier pour la peau, une petite feuille en guise d’ombrelle, une ramille pour s’appuyer, une grande feuille comme nappe à pique-nique, une autre comme couverture pour la nuit, une moyenne comme paravent…énumère la petite pomme jaune. -Si le baluchon ne te convient pas, tu peux prendre le havresac ou la besace, précise, conciliante, la pomme verte. – Des feuilles, des ramilles, de la sève…. encore un peu et vous emporterez tout le pommier, grommelle la pomme rouge – Ne te fâche pas tu es déjà toute rouge ! On discutera plus tard de ce qu’on met ou pas dans le sac ou la besace », disent les petites pommes verte et jaune qui se remettent à chanter :

Trois petites pommes
s’en vont par le monde
parmi l’herbe verte
la poussière jaune,
et sur l’eau qui bouge.

Trois petites pommes
voient un haut château
la herse est ouverte
les murailles jaunes,
les toits sont rouges.

La petite pomme verte s’arrête, découragée : toujours pas de château en vue, la chanson ne marche pas ! La pomme jaune dit alors : « C’est parce que tout n’arrive pas juste au moment où on le chante… Je veux dire, tout à l’heure, quand la chanson disait qu’on tombe de l’arbre, ou qu’on roule dans l’herbe, on n’était pas en train de tomber ou de rouler, puisque maintenant on est encore accrochées à la branche. Elle dit ce qui doit arriver, pas quand ça arrivera. – Je vais vous dire, moi, ce qui va arriver, s’emporte la petite pomme rouge : le premier croquant que vous croiserez vous ramassera et vous croquera, ou bien une fermière vous mettra dans son panier, et de fil en aiguille, rouli-roula, vous finirez sur une pâte à tarte, ou en compote, ou encore pire, écrasées pour faire du cidre ou bouillies pour faire du calva ! »
Les deux petites pommes jaune et verte atterrées, ne savent plus quoi répondre. Tout autour du pommier planté en haut de la colline ronde, il n’y a plus un bruit, même pas un bruissement de feuille : le vent lui-même s’est arrêté. Tout le monde, racines, herbes et même les bosquets alentours, se demande ce qui va arriver ensuite.
Et voilà que la petite pomme bleue, qui se taisait, dit : « La petite pomme jaune et la petite pomme verte ont raison, changez les paroles de la chanson, et votre destinée changera. Mais la petite pomme rouge aussi a raison, il vous faut de l’aide. De l’aide pour faire face aux périls du voyage, de l’aide capable de mater un croquant, une fermière ou même un chevalier…
Les trois petites pommes jaune, verte et rouge répondent chacune à leur tour :
– Plus fort qu’un croquant ou qu’une fermière ? – Plus fort même qu’un chevalier ? – Il nous faudrait un dragon… ».

 

 

à suivre

***

3e épisode du conte pour l’agenda ironique  de février. Frog propose qu’on cause dragon et quête de trésor (enfin, c’est plus compliqué que ça, pour en avoir le coeur net, faut aller lire chez Frog). Et il faut trois mots, qui arriveront dans un prochain épisode : baragouin, buffle et méphitique.

illustration : enluminure, Dragon, fleurs et fraises, XVIe siècle,  Bibliothèque municipale de Toulouse/Gallica

44 commentaires

  1. 😉 je ne pensais pas que 4 pommes avaient tant de rêve et de conversation 😉 J’aurai beaucoup de respect pour celles que je couperai et déposerai sur ma prochaine tarte

  2. Le dragon! Le dragon! Le dragon! Euh désolée, j’ai confondu avec Guignol 😉
    Bref, il serait temps qu’il arrive quand même, c’était pas aujourd’hui la date limite? Je me suis gourée?
    Bref, je me languis de connaître la suite… 🙂

  3. Une histoire de longue Hélène 😀 mais rondement amenée…… le dragon est en vue. Et que c’est agréable d’étudier la psychologie de ces mousquetaires des pommiers ! on en redemande, bien sûr…. Comme dit Almanito, ça mériterait une illustration dans un livre pour enfants. Espérons que la chute sera amortie 😉

  4. Oh la la mais ramène donc ta pomme monsieur le dragon, j’ai hâte hâte ! Le roi (Pépin ?) sera t il amateur de pommes chanteuses ? J’en trépigne d’impatience !

    • Pépin le roi ? ça serait trognon !
      mais verra-t-il les pommes ? arriveront-elles jusqu’à lui ? je me le demande….
      normalement, c’est dimanche, pour l’impatience (enfin, pour le prochain épisode.. le dernier ?).

  5. Ce serait bien que Geoffroy leur prête Georges; il est un peu benoît mais pas si sot que cela. Sonne ensuite et suivez les rivières sans tarder: on ne s’improvise pas musiciennes de Brenne et la route du palais est semée de zigzags.

    (J’étais sur l’autoroute quand trois voitures rouge, jaune et verte ont roulé vers le sud. Le paysage ressemblait au vôtre, d’où ce clin d’œil lecteur).

  6. Bon, ce dragon va leur déclarer sa flamme, et un amour brûlant. Je ne le vois pas tiède. J’ai découvert une jolie expression que je ne connaissais pas « chanter la pomme » (Marie était si jolie que tous les garçons venaient lui chanter la pomme.). Le dragon risque donc chanter la pomme et déclarer sa flamme et les pommes cristalliser. J’adore !

    • Sûr que le dragon ne veut pas de mal aux pommes.. (puisque je ne sais pas inviter de méchants dans mes histoires). Disons qu’il les aime à sa façon de dragon. Reste à voir comment ça va s’exprimer 🙂

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