« Franchement, chanter sous votre branche, ça vous suffit ? Vous êtes vraiment les reines des pommes ! »
Les trois petites pommes sont tellement ébahies par ce que vient de leur dire la petite pomme bleue qu’elles restent coites. Elles ne sont pas les seules : tout autour du pommier planté en haut de la colline ronde, il n’y a plus un bruit, sauf le bruissement des feuilles agitées par le vent – et encore, le vent essaie de se faire léger léger et les feuilles de remuer le moins possible – tellement les racines, les herbes et même les bosquets alentours sont stupéfaits par les paroles de la petite pomme bleue et veulent entendre la réponse des trois petites pommes. Et voilà que la petite pomme jaune dit : « Ben oui : on est des pommes… » ; la petite pomme verte enchaîne: « et des pommes qui chantent… » ; et la petite pomme rouge conclut: « alors, oui, on peut dire que ça nous suffit, de chanter sous notre branche. »
Comme c’est bien répondu ! Ramilles et branches soupirent de soulagement. Qu’est-ce qu’elle croyait, cette petite pomme bleue sortie d’on se sait où, avec ses questions impertinentes ? Que les trois pommes – la jaune, la verte, et la rouge – ne sauraient pas lui répondre ? Mais la petite pomme bleue ne désarme pas, et demande :
« Je sais bien que vous chantez ; mais ensuite ?
– Ensuite, on mûrit au soleil », dit la petite pomme jaune. La petite pomme verte ajoute « et ainsi on devient une belle grosse pomme – rouge, verte ou jaune » avant que la petite pomme rouge ne dise à son tour : « Bref, comme c’est dit dans la chanson. Tu n’as pas bien écouté, petite pomme bleue, ou bien comme que tu es trop petite, tu n’as pas entendu tous les couplets… Alors on va la rechanter, rien que pour toi ! »
Quelles braves petites pommes rouge, verte, et jaune se dit la rivière qui en glougloute d’aise sur les pierres du gué, tandis que les trois pommes se remettent à chanter :
« Trois petites pommes
mûrissent au soleil
la première est verte
la première est jaune,
la première est rouge
Trois petites pommes
grossissent sous la branche
la première est verte… »
Mais voilà que la petite pomme bleue interrompt la chanson ! C’est trop fort !
« Non, mais vous vous écoutez pour de bon ? Et ça vous va vraiment ?
– Ben, oui, on est des pommes, alors, mûrir, grossir, ça nous va… », dit la jaune. « Et avant que tu demandes, tomber de la branche, ça nous va aussi », enchaine la petite pomme verte. « Parce qu’on est des pommes », conclut la petite pomme rouge en essayant de garder un ton aimable. Mais même les nuages dans le ciel et les montagnes au loin sentent qu’elle est un peu énervée : sa voix grince un peu et son teint est plus vermillon que d’habitude. La petite pomme bleue répond :
« On va le savoir que vous êtes des pommes. Mais après, une fois tombées de la branche, vous y avez pensé ?
– Hé bien, comme le dit la chanson, on roulera dans l’herbe, l’herbe rouge, l’herbe verte, l’herbe jaune », répondent les trois petites pommes.
Et tout le monde, branches, racines, bosquets, herbe et colline, de se dire silencieusement « Voilà, comme le dit la chanson. Et ce n’est pas une petite pomme bleue qui va tout remettre en cause avec ses questions insolentes ». Et pourtant, la petite pomme bleue ne se le tient pas pour dit :
« Mais après après, alors ? Quand vous aurez fini de rouler en bas de la colline, qu’est-ce qui se passera ? Paumées dans l’herbe haute, vous chanterez pour les musaraignes et les taupes, à la merci du sabot de la première chèvre qui passera ?
– Oh, c’est méchant de nous dire cela !
– Non, je ne suis pas méchante, c’est juste que je ne sais pas mentir. Et je ne me moquais pas de vous en disant que vous étiez les reines des pommes : vous chantez si bien que vous méritez mieux que de rester plantées là !!»
Que vont répondre les trois petites pommes ? La petite pomme jaune ne dit rien. Elle se tourne vers la petite pomme verte, qui reste silencieuse et regarde la petite pomme rouge. Celle-ci demande alors, mi ironique mi intriguée : « D’après toi, si on est les reines des pommes, qu’est-ce qu’on devrait faire ? »
Et la petite pomme bleue de dire : « Vous devriez chanter à la cour du roi ! »
à suivre
***
2e épisode du conte pour l’agenda ironique de février. Frog propose qu’on cause dragon et quête de trésor (enfin, c’est plus compliqué que ça, pour en avoir le coeur net, faut aller lire chez Frog). Et il faut trois mots, qui arriveront dans un prochain épisode : baragouin, buffle et méphitique.
illustration : enluminure, Dragon, fleurs et fraises, XVIe siècle, Bibliothèque municipale de Toulouse/Gallica
Est-ce que la petite pomme rouge se dit, n’ayant pas lu Charles Perrault mais pas née de la dernière pluie du jour: « Chanter toutes les trois à la cour du roi, les souhaits ridicules que voilà ! »?
🙂
Patience, quoi qu’on imagine, il faut attendre maintenant quelques jours avant de savoir ce que la petite pomme rouge a sur le bout de la langue 🙂
La suite ! La suite !
Merci John ! La suite, il faut que je la trouve 🙂
Comme c’est mignon ! ça me donne une petite envie de compote tout ça …
des pommes au four, c’est bien aussi 🙂
Oh, oui, c’est délicieux ça !
Chanter à la cour du roi !
Attention petites pommes, n’oubliez pas que toute petite pomme flatteuse (fût-elle bleue) vit aux dépens des petites pommes qui l’écoutent !
Vivement la suite, Carnets Paresseux, et bonne journée à toi.
et pourquoi pas un opéra de pommes, hein ? les petites pommes en tournée à Bayreuth ?
🙂
C’est vrai quoi, où est l’intérêt de vivre « pommées » dans l’herbe haute? 😉
oh, peut-être que la compagnie des taupes et des musaraignes a ses charmes !
Mais cette pomme bleue a la queue qui s’allonge à mesure de ruse !
Très beau conte. Me plaît surtout le paysage qui se trouble et s’apaise autour de leur dialogue.
Merci Joséphine ; attention aux évidences trop flagrantes… même un dragon peut en cacher un autre 🙂
j’aime bien aussi jouer avec ce paysage animé, qui détourne et ramène l’attention sur les pommes !
Oui et puis le paysage c’est nous lecteurs pendus aux lèvres des pommes !
Oh, je n’y avais pas pensé (piètre auteur que je suis…)
Ce n’est peut-être que moi qui m’identifie au paysage plus qu’à l’une ou l’autre pomme ! Demandons aux autres.
Un sondage, excellente idée ! au passage, faut le vouloir pour s’identifier à une des pommes (elles sont un peu bêbêtes, quand même) !! 🙂
Ou est-ce de nouveau une évidence trop flagrante ?
du coup, je me demande : une évidence peut elle être « trop » flagrante ?
disons plus honnêtement que l’auteur, pris entre les personnages qui camouflent leurs intentions et les lecteurs qui comprennent ce qu’il veulent, sera le premier des bernés 🙂
Quel talent de conteur tu as ! C’est toujours un vrai plaisir de te lire.
Merci Lydia 🙂
Il est ravissant ton conte, mais je ne peux m’empêcher de penser au roman de Chester Himes : « La reine des pommes ».. Certes dans ton conte c’est au pluriel… Enfin voilà…
j’y ai pensé aussi Mo !
cette ravissante histoire va se terminer en noir polar 😁
ça serait tentant, mais…. ça va peut-être se finir autrement 🙂
L’allusion est voulue ; mais attention, il y a peu de chance que l’histoire s’achève à Harlem !!
La chanteuse Pomme, sacrée lors d’une récente émission de télévision, devrait apprécier ce conte tout fruité – même si elle a connu quelques pépins avant d’accéder à la gloire… 🙂
honte sur moi, je n’avais pas entendu parler de la chanteuse quand j’ai commencé le conte…
J’ai des angoisses, si la pomme rouge tombe chez le Roi père de Blanche-Neige, elle est foutue………..
Sûr qu’il y a un risque…. et si elle tombe dans le chaudron de la Reine belle-mère, c’est Blanche-Neige qui va prendre cher !! 🙂 🙂
😀
Tout ça va se finir en compote…
Non, moi vivant, aucune pomme ne sera compotée dans ce conte ! Ce n’est pas (que) de la sensiblerie, je tiens trop à « mes » personnages : sans les pommes, qu’est-ce que j’aurais à raconter ?
Bien vu !!!
Encore que…
Il y a quelques années, je racontais une histoire intitulée « La soupe et la petite fille » et la petite fille se faisait manger par la soupe… Finalement une compote peut devenir un personnage, non ?
Tu as raison, oui, une compote peut devenir un personnage à part entière !,
mais elle tiendra difficilement sur une branche
(et je ne suis pas certain de vouloir l’entendre chanter !!)
😄😄
C’est quand même dingue qu’il y ait toujours une petite pomme de discorde pour venir troubler l’harmonie et semer le doute, elle serait complotiste, la petite pomme bleue que ça ne m’étonnerait pas!
complotiste, je ne sais pas,
compotiste, ça se pourrait plus 🙂
Cette seconde partie est tout aussi alléchante que la première.
j’appréhende un peu la suite tout de même
une suite qui ne ferait pas de quartier … chez ses trois pommes si faites pour le bonheur.
Merci Aunryz
même si je me demande un peu
ce qui va leur arriver
aucune pomme ne sera maltraitée.
et si elle manquait simplement d’oxygène, la tite bleue ? cyanosée, faut lui ouvrir le col pour qu’elle respire….. je dis ça, je dis rien…… 😉
Elle s’est coincée la pomme d’Adam, tu crois ?
Dieu seul le sait ! (et le serpent)
mais alors, la colline ronde où est plantée le pommier… ça serait le Paradis ??? dans quoi me suis-je embarqué ??
c’est sûr que t’as pas fait dans la dentelle là 😀
mais ne tombe pas dans les pommes, hing !
Vraiment trognon tout ça 🙂
🙂
je suis à court de jeu de mot sur le thème pomme maintenant !
fais une sortie en mode Beethoven, c’est classe 😀
Pom pom pom pom (bis)
Après le très grand succès remporté par le premier volet de la saga auprès de moi-même, puis de mes enfants, celui-ci ne déçoit pas, et rajoute même une tension dramatique proche du thriller. Vite, la suite !
Merci Julien ; la suite va se faire attendre jusqu’à dimanche, j’en ai peur (il faut que les petites pommes se mettent d’accord sur la stratégie a adopter face à la pomme bleue !) 🙂
Oh, c’est bien naturel. Avant de savourer la pomme, il faut lui laisser le temps de pousser !
Elle est petite la bleue, mais elle a l’air d’en connaître du beau monde. Mazette, la cour du roi !
Je suis impatiente de lire la suite… 😉
Les pommes savent tout, c’est bien connu 🙂
(ou alors, elle brode et elle invente !)
Je retiens mon souffle… Quel est donc l’agenda caché de cette pomme de couleur douteuse… Vivement la suite !
a-t-elle seulement un agenda caché (et ironique), cette pomme bleue ? peut-être qu’elle ne ment pas quand elle dit qu’elle ne sait pas mentir 🙂
la suite… arrivera autour de dimanche (mais le feuilleton s’achèvera-t-il à temps pour l’agenda de février , je n’en sais rien)
Bon jour Carnetsparesseux,
Elles vont finir dans une corbeille royale ? 🙂 Peut-être finiront-elles … immortelles … 🙂
Max-Louis
oui, à ce stade là, j’ai envie de lire le conte à la petite fille que je suis loin d’avoir encore ( vivement que je vois mes petits neveux) et d’avoir des illustrations comme les beaux livres de l’Ecole des loisirs que j’adorais lire à mes enfants!
C’est très philosophique. Et la philosophie aime questionner les évidences. Non, elles ne sont pas bêtes du tout. A travers Zadig Voltaire se posait la question de savoir s’il fallait cultiver son jardin, d’autres pensaient qu’il suffisait juste de connaître sa place et que nous pourrions être ainsi dans le meilleur des mondes possibles.La pomme bleue, elle met le bazar. Justement, elle ne veut pas être la reine des pommes ! Elle veut autre chose, un ailleurs, un rêve. Elle ne veut pas rester à sa place de pomme. D’ailleurs le bleu, c’est l’immensité, les nuées, l’horizon merveilleux de la mer (je ne sais pas si vous l’avez fait exprès.)
Oh, merci ! La petite pomme est bleue pour une raison que je dirais à la fin de l’histoire, mais hélas ça n’est pas une raison aussi belle que l’immensité de la mer ! Et elle poursuit son but, pas forcément si altruiste que ça (mais oui, ce faisant elle pousse les autres pommes a chercher leur place)…mais je suis ravi que cette histoire vous plaise autant !