Viatge anar e tornar – un récit de l’an passé

 

Quand je pense à l’an qui vient de passer, je me souviens d’un livre. Pas un livre lu l’an passé, mais un livre lu il y a très longtemps, à l’âge où l’ennui faisait lire tout et n’importe quoi, et dont le souvenir, bizarrement, m’est revenu cette année. Bien sûr, je ne me rappelle ni du titre du livre, ni du nom de l’auteur. L’histoire ? Le narrateur est enfermé chez lui, une année de peste ou de choléra. Bien au chaud, avec des livres et un garde-manger bien garni, derrière de hauts murs et une porte close. Rien à craindre, sauf à sortir le moins possible. Calfeutré de grammaires et de précis d’orthographe, il étudie, lit et écrit aussi.

Il traduit L’Iliade et l’Odyssée en Occitan (sous le titre prometteur de Viatge anar e tornarUn voyage aller-et-retour, ce qui collerait aussi bien pour Bilbo le Hobbit et, habile mise en abyme, pour ce livre aussi) ; met au propre, de mémoire, une typologie du chant des merles du Haut-Poitou… Car c’est le genre de héros un peu fastidieux qui ne sait pas s’ennuyer paisiblement. Donc, en plus du reste, il écrit le récit de cette année pas comme les autres. Récit qui est le sujet du livre, donc. Ce n’est pas juste un journal de son enfermement : chaque jour, en regard de ce qu’il fait vraiment – lire, compter les hexamètres pour se dégourdir les iambes, découper les spondyles, éplucher des carottes [belle brouettée d’ennui pour le lecteur !] – il note ce qu’il ne faisait jamais d’habitude (trop sérieux, pas de temps à perdre à ces billevesées) mais dont l’enfermement le prive désormais : les visites à rendre, les sorties pour aller danser, les balades en forêts, les opéras à applaudir, les amis à voir, les villes étrangères à découvrir…

Et voilà qu’à peine au chapitre quatre (le livre doit en compter douze, autant que de mois dans l’année – jolie trouvaille !), il s’interroge sur tous ces jours passés à autre chose que ce qu’il avait prévu, ou plutôt à tous ces moments imprévus qui ne sont pas advenus. Et de conclure : voilà une année qui ne fera pas ses trois cent soixante cinq jours bien remplis. Il note que s’il arrive tous les jours qu’il y ait des obligations qu’il faut reporter, jamais il n’y en a tant à la fois : au pire elles débordent sur le lendemain, la semaine suivante. Mais là ?

Si je me souviens bien, arrivé vers le mitan du livre, l’idée de ce temps inutile qui s’accumule en vain obsède notre héros. Et voilà qu’il se persuade, conforté par les élucubrations d’un vieux bouquin repêché au fond de sa bibliothèque, que ce temps inemployé n’est pas perdu, mais mis à part ; et donc disponible pour le malin qui saura dénicher sa cachette. Et après quelques recherches dont il ne nous épargne pas les arcanes, il estime qu’il est, lui, ce petit malin ! Car il a découvert où ce temps perdu est mis au rebut  : dans un coin de campagne paumé, où personne ne va jamais, loin des villes trépidantes et bien à l’abri des convoitises, et que lui se fait fort de découvrir !

Au huitième chapitre, lui, si peu aventureux, quitte sa demeure coite et paisible – ou bien rêve-t-il qu’il quitte sa demeure ? l’auteur laisse planer le doute – pour aller récupérer ce trésor de temps perdu. Passons sur les péripéties du voyage, entre épidémie qui rode et tracas de grand chemin : il arrive enfin dans la grande solitude où l’attend le magot ! Il le charge dans un coffre ad-hoc et s’en retourne, avec, rien que pour lui, l’incroyable richesse de ces instants perdus pour tous dans cette année particulière et que lui seul pourra employer à sa guise ! Le voilà maître du temps, il pourra mener ses travaux à bien, visiter des bibliothèques et apprendre mille langues rares, bref, faire ce qu’il veut quand il veut !

Comment finit l’histoire ? Hé bien, je ne sais plus très bien. Je crois que l’auteur, empêtré dans cette intrigue trop grande pour son héros, s’en tire en lui faisant faire un voyage de retour long et péripétieux – prudent, il ne voyage que de nuit, et si ma mémoire est bonne il y a force Fourchtra et Crévingueu, essieux cassés, chevaux emballés, naufrages en haute mer, haltes dans des auberges malaccueillantes, fuites sous la pluie battantes et pistolades avec des bandits et des honnêtes gens (dans le noir, comment les distinguer ?). Un voyage si long qu’il y consomme tout son temps surnuméraire (en onze chapitres qui s’entassent entre le dixième et le douzième), et le fait arriver chez lui pile au onzième coup de minuit, le soir du nouvel an, sans une minute d’avance dans sa besace. Fin morale s’il en est.

 

***

L’agenda ironique de décembre, hébergé par le Flying Bum nous proposait d’achever l’année en la revisitant et en employant obligatoirement un régionalisme, (mot), une expression ou locution régionale et un juron régional. Homère en Occitan ? Bien sûr que ça existe déjà, à la Bibliothèque du Grand Narbonne, et là aussi.

Illustration : Camille Roqueplan, la diligence surprise par l’orage, 1837. Gallica/BnF

28 commentaires

  1. Ouf, il était temps, Carnets Paresseux !
    Mais la qualité de ton texte justifie la longue attente, jusqu’au dernier jour de l’année !
    Bonne journée, à éplucher les spondyles et découper les carottes 🙂.

    • Merci ! J’ai bien failli le publier l’an prochain, il ne voulait pas se mettre en forme de texte 😦
      pour la petite histoire, je croyais que le spondyle était une forme de versification grecque…jusqu’à ce que g**gle me détrompe 🙂

  2. On mangeait déjà des huîtres à cette époque ? J’en apprends de belles ! Un texte savoureux donc !
    Je te souhaite une belle fin d’année faute du reste !

  3. Si vous saviez comme je retrouve avec ravissement les fouchtra et autres de cette chère Occitanie, terre d’accueil s’il en est. Je ne savais pas qu’y étaient associés grammaires et précis d’orthographe, merci pour ce moment.
    🙂

  4. Le « pitch » est parfait, il ne reste plus qu’à écrire cette aventure picaresque et pittoresque.

    Mais l’abyme n’est pas abîmé, et pour le vôtre, oui, ici, je le place en numéro 1 pour le concours (merci pour le chèque envoyé d’avance et bien reçu malgré les cahots de la Poste et leurs voitures à cheval plus écologiques).

    Bonne année 2021 !

    Dominique

    • Merci Dominique, je suis content que cette histoire de maitre des horloges vous ait plu ; paresseux, je préfère imaginer un livre que l’écrire complètement (et puis, un peu lâche, l’attribué à un auteur anonyme, pour que les mécontents ne s’en prennent pas à moi 🙂 )

  5. Mais c’est que tu donnerais presque envie de lire ce fameux bouquin si seulement tu te souvenais du titre et du nom de l’auteur…
    Bonne année à toi,
    Mo

  6. que dire qu’ils/elles (tous nos amis blogonautes) n’ont pas dit ! comme dit mo on aimerait bien le lire…. Le chapitre 11 doit être touffu et riche en accélérations 😉 Bon bout d’an Carnets à l’an qué ven (peut-être demain finalement :-D)

    • oh, j’aimerai bien le lire aussi, mais peut-être pas l’écrire… 12 chapitres plus 11 surnuméraires, ça en fait des mots à ranger dans l’ordre… 🙂

      qué l’an qué ven sé ben !

  7. Parfait, j’y ai vraiment cru à ce livre oublié dans un coin de ta mémoire mais j’ai tiqué, trop de précision dans les détails, comment peut-il en avoir oublié le titre. Bref j’ai été bien eue ;o)

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