Le ciel de l’hérisson

Indifférent, l’hérisson ?
Peut-être.
Rien qu’à le voir on se dit que les ors et les pompes cardinalices, les voyages hasardeux et les chasses au trésor, très peu pour lui, tout comme le journal du jour, le courrier du cœur et les recettes minceurs.

On l’imagine plutôt ras du sol, peu enclin au changement, adepte d’une liberté un peu radine, aux quatre horizons bornés par sa trouille et sa myopie.
Et alors ?
Rouleboulé dans les feuilles, trottant menu entre les longues herbes, on le devine économe, peu habile en société, dodu et timide à la fois, vivant d’une goutte d’eau et de quelques feuilles grignotées.
Et à la première alerte, voilà les piquants dressés entre le monde et lui.
C’est vrai.
Mais que sait-on vraiment de lui ?
Si peu, autant dire rien.
Peut-être que l’hérisson tout rouleboulé, de chacun de ses fameux piquants, vise précisément chaque planète et chaque étoile du ciel, qu’il en mesure les distances et les angles positifs ou négatifs, et cela suivant ses propres équateurs, longitudes, latitudes et parallèles.
Qu’il en calcule, dans sa calme solitude, les angles et les vitesses, les trajectoires, les orbes et les éclipses.
Peut-être même que, dodu et ras du sol, non content de les accompagner, il mène du piquant – d’autres diraient à la baguette – la bonne marche des moindres astéroïdes et règle le sort des planètes et des astres qui tournoient là-haut, commande les pluies d’étoiles filantes et lance les comètes – aussi précisément qu’un escargot parcourt une vaste feuille de salade.
Oh, bien sûr, pas tout seul.
Chaque hérisson ferait de même pour un petit coin de ciel.
Que sans eux et sans leurs piquants braqués vers les cieux, tout ça nous dévalerait de là haut sur le coin du bec, ou bien c’est nous qui tomberions sur le coin du bec du cosmos.
Peut-être.
C’est peut-être vrai ; peut-être pas.
On sait si peu de l’hérisson.
Autant dire rien.
Ce serait pourtant facile de savoir : suffirait de poser une feuille de papier sur le dos d’un hérisson et d’appuyer juste un peu : si les trous des aiguilles dessinaient rien qu’un bout de carte du ciel, la question serait tranchée.
Mais quand bien même, mieux vaut – je crois qu’on aurait tort – ne pas le déranger.
Il a déjà assez à faire, l’hérisson.

***

Pour les Plumes d’Asphodèle chez Emilie, fallait logorallier les mots changement, voyager, étoile, mesurer, équateur, positif,vaste, parallèle, liberté, trésor, cardinal, courrier, conquérir. Et puis pour ne pas déranger l’hérisson, j’ai décidé de transformer l’h aspiré en h muet.
Illustration : un hérisson sur une pierre, 1923, agence Rol.  BnF/Gallica

48 commentaires

  1. Je passais justement par-là, alors j’ai lu. Et j’en suis tout émue pour ce modeste bonhomme.
    J’ai aussi pensé à l’Elégance du hérisson de Muriel Barbery. C’est vrai quoi, les apparences sont parfois cachotières.

  2. Oui joli texte et moi, je crois que c’est vrai, sinon pourquoi il serait là, l’hérisson, hum? Faudrait demander à Eric Chevillard et à son excellent « du hérisson » cependant moins poétique que le tien.

  3. Quelle belle idée d’associer le manège du ciel et des étoiles au hérisson 😉 poétique et farfelue quand même, malheureux, de mettre une feuille de papier sur les piquants et de presser la main dessus ❤ quel plaisir de lire ces mots

    • Merci Patchcath ; oui, je ne conseille pas de poser en vrai un papier sur un hérisson et d’appuyer ; mais il fallait quand même que je donne une façon sérieuse de vérifier mes élucubrations !

  4. Bon jour Carnetsparesseux,
    Voilà un texte rondement mené … et l’on découvre, mine de rien, un hérisson qui cachait bien des choses … 🙂
    Max-Louis

  5. C’est une théorie intéressante qui me plait beaucoup. C’est vrai, finalement, on ne sait pas grand chose du hérisson.
    Peut-être même sont-ils des extraterrestres qui communiquent avec l’espace, à l’aide de toutes leurs antennes, afin de rendre compte de leurs observations, de notre pandémie, de notre décadence, auprès des leurs, pour que ceux-ci ne commettent pas les mêmes erreurs chez eux, à l’autre bout du cosmos. On devrait faire plus attention à toutes ces choses-là qui se déroulent sous nos yeux sans que l’on en ait véritablement conscience.

  6. Un hérisson amoureux d’une étoile, et qui la fait danser du bout de ses piques.
    « Mais comment s’y prendre quand on est là-haut ? »
    J’aime votre idée !

  7. Bizarre comme ces petites bêtes attirent les voitures… Heureusement, le pangolin, de loin, leur assure pendant quelque temps encore une certaine tranquillité (joli portrait piquant) ! 🙂

    • C’est vrai que depuis le confinement, le ciel est bien plus stable, les étoiles plus lumineuses, tandis que les hérissons sont donc moins dérangés : voilà qui prouve,s’il était besoin, le rôle céleste du hérisson 🙂

  8. ils ont une petite bouille si sympathique, quand il leur arrive de la montrer!
    (mais font des crottes bien puantes)
    bref, ils me manquent 😉

  9. Tu lui prêtes bien des pouvoirs à ce bel hérisson. Mais, je ne suis pas loin elles valider puisque je me souviens d’une histoire que j’ai écrite pour Clément. Le héros s’appelait Picot, Picot le hérisson. Et c’est écrivant cette histoire que, me documentant, j’ai appris plein de choses sur ce fascinant petit animal, si discret qu’il faut avoir de bons yeux de nuit pour l’observer.
    Nous avons fait une vidéo de Picot qui courait dans la butte devant nos fenêtres, en plein jour, cet imprudent ! Clément était tout content. Bisous Dodo.

      • Oui. Et quand ils sortent le jour il fait vite les protéger, malgré eux, leur mettre un journal ou les diriger vers un buisson. Une simple mouche qui pondrait sur eux les amènerait à une mort certaine et atroce (j’imagine) ils seraient mangés vivant par les vers. 😝🤮
        Comme le lait qu’il ne faut surtout pas leur donner Ils peuvent mourir de diarrhées
        Je me souviens de la soucoupe de lait que nous mettions devant la porte avec les enfants. On croyait bien faire 😱 c’est en écrivant l’histoire pour Clément que j’ai appris tout ça. En tombant sur le blog d’une association de protection des hérissons. Comme quoi !…

  10. Tu es allé haut, à dos de hérisson, dis donc !
    Personnellement, je le vois plutôt comme un tendre petit animal, doux et gentil qui fait sa petite vie sans faire de bruit (ou si peu parce qu’un hérisson dans la haie la nuit on l’entend très bien), et dès qu’on vient déranger son intimité ! Baoum ! Il devient loup-garou et monstre intouchable…
    Mais bon, je ne vais pas m’amuser à entrer, avec toi, dans un débat sur L’hérisson maintenant ! Encore que comment on appelle la femelle déjà ??? 😉 😀 😀

  11. Très joli petit texte qui me fait penser à ma rencontre avec un hérisson tout rouleboulé dans des feuilles et je j’ai dérangé sans le faire exprès et que j’ai remis aussi vite comme je l’ai trouvé. J’ai bien fait sans savoir tout ce qu’il était…

  12. J’aime beaucoup cette méditation sur le hérisson !
    Vous apprends-je un mot si je dis  » volvation  » ?

  13. Ravie de t’avoir inspiré, mon dodo.
    Cet hérisson maître du cosmos a tout pour me séduire…
    •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

  14. Coutumier de la conduite nocturne, j’ai toujours eu de la sympathie pour les hérissons (et les belettes, les renards et tous ces animaux sauvages qu’on croise quand il fait nuit). Ce que tu révèles ici ne fait que confirmer ce que j’avais toujours soupçonné sur leur véritable nature. Merci !

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