Les six cent mille contes d’avril (jeu de l’oie)

1

Au début, ils sont deux qui se rencontrent.

« Bonjour, dit-l’un. – Comment vas-tu, répond  l’autre, qu’accompagne Pataud le chien ; veux tu savoir mon histoire ? »

2

Dans la forêt, des brigands m’ont arrêté, l’arme à la main.

Et que t’ont-ils volé, demande Casimir qui fait mine, poli, d’écouter l’importun tandis qu’il se remémore son histoire à lui ?

3

Fichtre, rien du tout, qu’ils m’ont volé ! Gare à celui qui me cherche noise, moi qui sait le secret de la botte du chevalier de Riboulaine, je lui trouerai la bedaine, faridon faridondaine, je lui percerai l’bidon, faridondaine faridon ! »

12

« Youpi ! un dernier coup de faux et nous verrons le bout de la récolte ! braille en postillonnant l’homme au chapeau (le champ, les maisons, les chapeaux et les faux lui appartiennent : il s’en vante volontiers).

– Zou, un dernier coup de faux, tu ne crois pas si bien dire », songe celle qui achève toute histoire.

Règle du jeu de l’oie de la ronde des contes d’avril :

1

prendre un ou deux dés

2

les lancer, et se rendre à la case indiquée.

3

Là, regarder l’image, lire, imaginer ce qui se passe entre deux cases.

4

Suivre les instructions indiquées en dessous s’il y en a, et relancer les dés…

5

et recommencer

6

Comment on gagne ? Disons, quand on a trouvé les quatre mots giboulée, zébu, cognassier et riboulaine.

7

On peut aussi faire autant de tours qu’on veut, ou s’arrêter à tout moment.

8

On peut bien sûr lire dans l’ordre, tout simplement.

9

Bref, on fait comme on veut.

10

bien sûr, on peut jouer à un, deux, et plus.

4

Heureux celui qui a un jardin autour de sa maison, il peut faire un tour sans avoir à craindre le vaste monde. Ignorant du monde, il lui suffit d’une tulipe, d’un plant de patate, d’un fruit du cognassier ou d’une grappe de tomate et le voilà heureux, ignorant de quels lointains confins du globe viennent patate, tomate, cognassier et tulipe !

(faut faire un double six pour sortir du jardin de l’ignorance)

11

« Xavier, agad’ comme il glisse le Monsieur s’ébaubit le gamin en hélant son copain, quel dommage que Léonie ne soit pas là pour voir ça ! »

Youhouuuu, en effet, science qu’il a acquise des Algonquins, Monsieur Casimir glisse sur la glace avec grâce (avant qu’hélas elle ne casse, la glace, crac et plouf…quel dommage que Léonie ne soit pas là pour voir ça).

(le temps de sortir Casimir et de le sécher, passe un tour)

5

« J‘ai vu deux fois les deux Amériques, visité les plus grandes capitales, traversé les sept mers et même campé une nuit entière dans les Monts d’Arrée et j’ai jamais vu ça ! Keskélzon, ces bestioles, lézards, tortues, vipères et dieu sait quoi d’autre encore tapies dans l’ombre de la grotte, à bondir sur l’innocent voyageur, z’ont vu le Diab’ ? » Léonie, commodément vêtue pour le voyage des vêtements qu’elle a emprunté à l’auberge, s’inquiète donc : la nature est devenue folle, ou bien quoi ?

10

Vois-tu sous ce vaisseau qui vogue sur les vagues, la large baleine qui roule dans la houle, et comme les marins qui entourent Léonie sur le pont du navire craignent plus les éclairs qui s’allument là-haut dans le ciel tout nué de giboulée que le dos de la baleine qui bientôt  les enverra tous rouler dans l’eau ?

Warum fürchtest du den Fisch ? crie la vigie souabe !

(si tu la vois pas, la baleine, lance le dé et recule d’autant de cases)

6

Maillots, bateau et bords de rivière, souvenirs du temps joli où l’on s’baignait avecque les copains sans rien craindre ni attendre. Nus jusqu’à la ceinture et en dessous (juste un caleçon), riant comme des niais, on ne doutait de rien, vraiment on ne se doutait de rien, songe Xavier.

9

Thérèse, acagnardée dans le meilleur fauteuil du grand salon, tricote de la pointe de l’aiguille, en s’appliquant, la mappemonde des lieux ousqu’elle s’est rendue, en vrai comme en imagination. Une fois (pour de bon ou est-ce en rêve ?), elle a même vu un bel ours polaire blanc comme lait, et une autre fois, la drôle de bobine d’une grosse bête noire et cornue qu’on dit zébu.

8

« Quoi qu’il neige ou qu’il vente, laboure ton champs sillon après sillon, grommelait le vieux paysan.

-Rigole toujours, tu riras moins demain quand j’aurai bouffé ton foin », peste le cheval entre son mors. Son rêve à lui, c’était de visiter le monde, pas de tirer des lignes entre quatre haies et l’écurie.

pour la peine, passe trois tours, le temps de finir les sillons)

7

Onésime paresse au bord de l’eau (harassé de marcher entre pluie et soleil), et paressant, il voit une dame ailée perchée sur une giboulée, qui lui crie :

« Paresseux, presses-toi où tu vas perdre le fil et jamais tu ne finiras ton tour du monde à temps – et que dira Thérèse ?! »

Pour l’agenda ironique d’avril, fallait choisir des vignettes du Spécimen des caractères d’affiches, vignettes et fleurons des fonderies et stéréotypie de François-Nicolas Gromort et raconter ce qu’elles disaient, sans oublier quatre mots imposés – giboulée, zébu, cognassier et riboulaine. Paresseux, j’ai décidé de laisser le lecteur choisir l’ordre des images et imaginer les épisodes manquants. Pour le plaisir, j’y ai ajouté une petite contrainte alphabétique empruntée à la Licorne.

Illustrations : Nicolas-François Gromort, Spécimen des caractères d’affiches, vignettes et fleurons des fonderies et stéréotypie, 1837. Gallica/BnF.

 

34 commentaires

  1. Dire que gamine je détestais ce jeu et qu’aujourd’hui j’ai adoré! Oui mais on n’avait pas une délicieuse histoire à la clef à chaque case, voilà 🙂
    Belle idée, très originale, merci Carnets 🙂

      • Particulier ce verbe « acagnarder » que je connaissais peu.
        Vous proposez ainsi un usage du fauteuil que n’aurait pas renié Huysmans.
        Beau jeu de phrases auquel on s’adonne volontiers.

  2. Alors là, je suis admirative !
    La Mère Loye a dû passer par là…et te prêter à la fois ses contes et son jeu !
    Sinon, je ne vois pas…
    (comment tu as pu pondre un jeu tout « noeuf »)

  3. Ce jeu implique que le confinement soit prolongé nettement au-delà de la date du 11 mai, vraiment « irresponsable », annoncée récemment par le Premier ministre !

    Alors quoi, on n’aurait plus le temps de jouer chez soi, de s’amuser en chambre close, de nourrir sa propre ménagerie mentale, et de tirer des plans sur la comète avec une simple arbalète ?

    Non, laissez-nous planer et nous pourrons dire : « La Vignette, nous voici ! » 🙂

  4. Et plusieurs sourires plus tard, après une vogue sous les vagues nue jusqu’à la ceinture, j’en sortis pour saluer mes amis du Saint-Laurent. Il faut c’qu’il faut dans la dondaine pour rallier les troupes humaines. Et là, par le plus étrange des hasards, je rencontrai Élise, qui sermonnait encore Eugène. La faux, la faux. C’est la faux qu’il te faut. Tu pourras y couper ta paille et réparer ton seau.

  5. Oh, c’est extraordinaire ! J’adore ! Je suis fasciné depuis longtemps par les frontières entre le jeu et la littérature, qui me paraissent assez fertiles. Sur ce front, on crée pas mal de jeux aux prétentions littéraires, mais assez peu de littérature à la portée ludique, hélas. Ton jeu de l’oie fait pétiller mon imaginaire.

    • Merci Julien ; vu ce que je bêta-lis, ton imaginaire pétille déjà très bien !
      pour la petite histoire, j’ai « décidé » de l’ordre des vignettes en lançant les dés, et puis j’ai écris des petites bribes d’histoires pour chaque ; en cours de route, je me suis dit qu’il serait malin que les personnages reviennent sur plusieurs vignettes.
      Maintenant, je réfléchis à une suite sous forme de feuilleton impliquant le lecteur… bonne ou mauvaise idée ? on verra !

  6. Heu,
    j’crois qu’il faut voter chez Pataud…
    Enfin, c’est c’que j’ai compris à la cinquième lecture 😀.

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