Le vent rappe son poil épais et siffle entre ses larges bois, gronde en iodlant entre les troncs des sapins qui dansent leur longue houle sur le flanc des collines et des plateaux jusqu’au bord des montagnes.
Sous ses lourds sabots, l’herbe verte couvre le dos des collines d’un tapis épais percé de fleurettes minuscules. En contrebas, le lac glacial reflète le ciel trop bleu.
Tout est comme tout doit être.
Alors d’où lui viennent ces images, cette résonance d’un autre monde qu’il n’a jamais connu ? Cette cour close, ces bâtiments couverts de rouge posé sous un ciel bas dans une plaine sans rêve ? Ces trois poules indifférentes et picoreuses, les cinq canards ragotant à bec-veux-tu dans la vase qui borde la mare, ce dindon ridicule devant les tournesols anémiés ?
Il bat des paupières et l’image disparaît, puis revient comme un hoquet : huit poussins qui pioutent dans la poussière, une cuisine sombre où devant la table couverte d’une toile cirée à carreaux, une fermière chiffonne un journal (trois plumes et deux fanes de carottes en tombent) puis le jette dans la gueule rouge du fourneau.
Comment sait-il qu’il s’agit d’une fermière ? d’un fourneau ? d’une toile cirée ? Comment connait-il le noms des deux chiens, Pataud et Olibrius, qu’on appelle aussi radar ? Et comment sait-il qu’ils portent ces noms, lui qui n’en a même pas un à lui ? Et d’où sait-il que le mot radar est un palindrome ? Il le sait, voilà tout, et il s’étonne de ne pas s’en étonner plus que ça.
Elle serait bien surprise, la petite foule des poules, des canards, du dindon, et même des chiens Pataud et Olibrius (les poussin, eux, ne seraient pas surpris : n’attendent rien, rien ne les étonne), elle serait bien surprise la ferme, si on lui disait qu’elle peuple le rêve d’un orignal ! Comment sait-il seulement à quoi on ressemble, nous les poules, nous les canards, lui le dindon et même comment est fait le tracteur ? hé quoi, c’est qu’on n’est pas dans la Saskatchewan ! Heureusement, ils n’en savent rien.
Là bas, entre les lacs et les montagnes, un corbeau tourne dans le ciel immense. L’orignal s’ébroue, tourne le flanc au vent qui siffle. Un long frisson court de sa bosse peulue jusqu’à ses sabots cornus et se perd dans l’herbe verte qui couvre le dos des collines.
Tout est comme tout devrait être.
***
Pour les Plumes d’Asphodèle sur l’écho, fallait logorallier les mots montagne, mode, ragot, radar, corbeau, iodler, boomerang, hoquet, résonance, journal, gronder, profond & glacial. Je ne savais pas quoi faire du boomerang, alors je l’ai collé dans le titre ; occasion d’un nouvel écho du matin à la ferme.
Illustration : T. Laly, un élan. [1875]. BnF/Gallica
😀 comment se débarrasser d’un mot !!!
tu parles du boomerang ou de l’orignal ?
j’ai beau faire, les deux reviennent toujours, comme un bout de scotch à la patte d’un poussin !
si tu as bien suivi ton histoire l’orignal, à la fin, il se barre 😀 reste le boomerang ! normal ça revient toujours ces trucs….
Au fait, on a fait un émule Carnets, Glomérule en lisant l’AI sur le mois des fous nous a pondu son histoire !!! ❤
je ne savais pas quoi faire de radar mais je ne l’ai pas collé dans le titre 😉
chouette texte!
Merci Adrienne ! Radar m’a causé du souci aussi 🙂
Le « i » de l’original avait été renvoyé comme un boomerang dans la figure de l’animal cornu mais habillé pour l’hiver.
« La ferme ! » avait soudain décrété le président de la République autonome agricole : les « irresponsables » qui osaient émettre la moindre critique concernant sa « gouvernance », étaient envoyés dare-dare – une fois repérés par le radar régalien – dans un cul de basse-fosse (à purin).
Les animaux de la ferme, regroupés sous la férule d’un dangereux anarchiste nommé Orwell – un nom pas français – s’égaillaient, la nuit, hors du territoire où ils étaient confinés depuis quelques semaines en raison d’une maladie dite « du pangolin ».
Bientôt, le coq de basse-cour se retrouva lui-même sans une seule poule sur laquelle assouvir son désir de puissance : son dessein… orignal apparut alors dans sa pure nudité. 🙂
‘Xcellente ferme revisitée ! Attendons lundi soir pour en savoir plus sur les noirs desseins de l’oeuf d’opaque 🙂
Il est quand même sympa cet orignal de donner des nouvelles, regarder si tout est comme il se doit et repartir sans jamais rien déranger, si ce n’est dans la tête de quelqu’un ❤
Comment ça quelqu’un a une tête dérangée ??
🙂
Se réincarner en Orignal, c’est peu banal… bien sûr…
merci Oncle Dan ; je n’avais pas pensé à la réincarnation, mais c’est une option !
Bon jour Carnetsparesseux,
Diantre, tout à fait original (e) cette personnification 🙂 Toutefois, je note ces mots : » …dindon ridicule … », je soulève une objection à la hauteur de ma bipédie à deux pattes et défenseur des droits du Dindon en Culotte Agile (DCA) ancêtre sur l’arbre généalogique des volatiles columbiformes … suivez mon regard … celui du … Dodo présentement … Je tenais à formuler cet état dans la mesure en aire de basse-cour et haute cour perchée sur la devanture de l’observatoire Dindonesque … 🙂
Max-Louis
Merci Max-Louis ; je tiens à préciser que le « dindon ridicule » est une vision de l’orignal ; l’auteur ne saurait donc en être tenu pour responsable. Ceci dit, deux points encore : la solidarité n’est pas si forte dans le monde aviaire que le dodo n’ait pas le droit de trouver le dindon ridicule ; et de deux, le dindon est, sauf erreur, le seul animal originaire du Nouveau Monde parmi les pensionnaires de la ferme. L’orignal doit donc avoir une certaine idée de l’allure de la bestiole !
Excellent !! Plusieurs mots m’ont donné le tournis a savoir ou les emplyer plus soudain le radar desneurones s’est mis en route !!
oui,il y a des mots qui ne savent pas trouver leur place tout seul !!
je ne sais pas ce que tu fumes mais continue. J’ai retrouvé ici tous les petits animaux que j’aime. Finalement, le monde tel qu’il devrait être : simple, gentil, boniface (non ce n’est pas le prénom d’un troisième chien). Ah si seulement !.. Comme la vie reprendrait de belles couleurs ! Bisous Mr Dodo
Merci Mariejo ! je ne fume rien du tout, et l’orignal non plus 🙂 et je note le prénom du troisième chien pour les prochaines plumes
😂😂 bon dimanche.
oups, mon clavier avait mangé les M de merci et de ton prénom 😦
c’est corrigé !
Je croyais que tu avais fait exprès et j’avais trouvé ça rigolo. Mince alors ! 😂
L’explication est toute simple : l’orignal est télépathe et empathe!
explication toute simple, si simple que je n’y avais pas songé ; une objection tout de même: à la ferme, c’est pas l’orignal mais le coq qui est en pâte
Le retour de l’orignal ! Sans le « i » cette fois, pourtant il irait bien avec ton texte !
Merci Lydia 🙂
Attention ! Il ne faut pas prendre un orignal pour une buse ! 😀 😀
Mais avec de l’écho, un poussin ne pioupiout-il point ?
ça dépend, si l’orignal a été ministre de la santé….
quant aux poussins, écho ou hoquet, ceux là ne pioutioutioutent jamais.
pour l’instant (on verra vendredi prochain)
😂😂😂
Il y a des fermes et un orignal qu’on aime retrouver. C’est un conte qui nous devient familier et ça me plait 🙂
La Saskatchewan a le dos large. Au masculin, en tout cas. ;o)
oups !
je corrige, promis !!
🙂
faut dire que les petits animaux de la ferme ont un sens de la géographie qui s’arrête au bord de la mare 🙂