Il était une fois quatre parapluies.
– Quatre parapluies ?
Oui, quatre parapluies.
Libre à vous de redoubler chaque phrase par une question, ça prendra juste trois fois plus de temps que nécessaire pour arriver à la morale.
Et si l’envie vous en prend, ergotez aussi qu’il faudrait peut-être mieux dire « ils étaient quatre parapluies » ou même « il était quatre fois un parapluie » !
Pendant ce temps la fable reprend :
Le premier est un grand parapluie, noir d’ébène, luisant comme plume.
C’est maitre corbeau sur son arbre perché qui le tient dans son bec.
Fermé le bec, fermé le parapluie.
On dira pourquoi ensuite.
Le deuxième parapluie, c’est – vous l’aurez deviné – au pied de l’arbre, maitre renard qui lui tient compagnie.
Posé contre les racines, et fermé aussi, le parapluie. Sa couleur ? on s’en fiche un peu.
Alors, le troisième, c’est l’arbre que le brandit à bout de branche ? Non, voyons. L’arbre n’a pas besoin d’un parapluie. Le feuillu de ses rameaux lui fait un suffisant parapluie, vaste, vert et toujours ouvert. Le troisième parapluie, c’est l’arbre lui-même.
C’est même pour cela que les parapluies du renard et du corbeau se tiennent clos : celui de l’arbre suffit bien pour les deux larrons.
L’est où, le quatrième parapluie ? Celui-là, pour le voir il faut lever les yeux bien haut, et plisser les yeux pour parer aux gouttes. Oui, là-haut, entre les nuages, l’ombre sombre qu’on aperçoit, c’est le grand parapluie du ciel ; le ciel, un parapluie ? Et pourquoi pas ? Soyons réaliste : sans ce parapluie-là, c’est tous les jours que toute l’eau d’en haut nous dégoulinerait dessus.
C’est un parapluie tendu de soie bleue, qui va d’un horizon à l’autre, et peut-être même un peu au delà. S’il n’y avait pas les nuages – et avec un peu de chance – on entreverrait ses baleines. C’est, bien sûr, un très vieux parapluie, usé jusqu’à la trame et passablement troué par les comètes et les étoiles filantes (les oiseaux ne montent pas si haut). Autant dire que c’est un parapluie percé, et qui fuit. Quand il fait beau la nuit il laisse passer la lumière et d’ici on croit voir les étoiles. Et quand il pleut là-haut il laisse passer goutte sur goutte au travers de sa toile élimée.
C’est ce qui arrive aujourd’hui, et l’eau d’en-haut tombe en pluie sur le monde d’en dessous, sur l’arbre où le corbeau et son parapluie sont perchés, comme sur les racines où se tiennent le renard et son parapluie. Est-ce si grave ? Si la pluie insistait, si le parapluie des feuilles venait à percer à son tour, corbeau et renard ont leur propres parapluies.
Et le fromage, demande celui qui s’y connait en fable ?
A-t’il un parapluie, le fromage ?
Qui sait ?
Mais alors, le titre aurait pu être « la fable des cinq parapluies » ?
Voilà exactement où cette fable voulait en venir, et qui lui servira de morale :
Qui, s’il pleut sur le piquenique, se soucie du sort du fromage ?
***
illustration : Leonetto Cappiello,Parapluie Revel, Lyon 1922. BnF/Gallica
Moi j’ouvre le parapluie, et ne dit mot, quand au destin du fromage;..
tu as raison. en dernière lecture, le destin du fromage incombe au fromage 🙂
Le parapluie du ciel : belle allégorie tout à fait « pluiesante »…
Il faut donc lancer une « appli.parapluie », qui permettrait au piéton malchanceux (mais géolocalisé), à cause d’une averse non prévue, de se voir la tête immédiatement couverte d’une sphère transparente le mettant à l’abri de cet incident non détecté par Météo France (ou #MetooFrance).
Les fables virtuelles ont un horizon dégagé devant elles ! 🚿🚿☂️☔️🌈🌈
Merci Dominique ; quelque chose comme une par.appli ? riche idée.
Brassens préférerait qu’on prévoit des parapluies avec des coins biplaces 🙂
Avant lecture je me disais, il en manque un sur l’illustration, puis j’ai compris… Comme quoi il faut toujours lire jusqu’au bout avant de se faire un avis. 😉
L’illustration n’est pas contractuelle ! la fable non plus, d’ailleurs 🙂
Un parapluie percé
de nuit laissait passer
la lumière des étoiles
par sa toile élimée
Bleu, bleu
le parapluie de soie
d’un horizon à l’autre
et peut-être au-delà
…
Bon retour à la table,
cher paresseux.
Voilà un résumé idéal ; merci Caroline
C’est délirant et charmant… Tu es sûr de n’avoir rien fumé de bizarre, caché sous un parapluie? 😉
Merci Mo ; je suis certain de n’avoir rien fumé, mais Frog, elle, se demande ce qu’elle a bu…
🙂
Ou encore les Maîtres fabuleux en visite Outre-Manche ! Le fromage a été confisqué à la frontière (foreign muck). Il faut dire à ces deux visiteurs que le parapluie ne suffira pas et qu’il auront besoin de bottes de caoutchouc. The Fable of the six Wellington boots. 🙂
Me relis et me demande ce que j’ai bu…
tu as du boire la petite fiole qui dit « ne me bois pas » 🙂
je note aussi les Six Wellington boots : le corbeau et le renard en visite chez Alice ?
Le fromage ?! je l’ai mangé, avec le pain frais que j’avais apporté pour le déjeuner, et comme tu papotais, papotais et tant il pleuvait, pleuvait que je m’en suis retournée, tant tout dégoulinait, sous mon grand parapluie que j’ai du ouvrir à mon tour… Et toi, en avais-tu un, de parapluie ? doré ? 😉
Et puis, juste pour toi:
Le mouton et le corbeau
Un jeune mouton
Tout blanc, tout blanc,
Et un vieux corbeau
Tout noir, tout noir
Devisaient sagement
Dans un pré accueillant.
« Je rêve d’avoir des ailes
Comme toi, dit le mouton.
Je pourrais à volonté
Me rouler dans le ciel
Sans crainte, ni surprise. »
« Moi, dit le corbeau, je hais
Le ciel pour trois raisons.
D’abord il est vide et trop haut,
Ensuite parce que, le plus souvent,
Il est couvert d’épais nuages
Et, enfin, parce qu’aucun oiseau
Ne peut s’y tenir debout.
Veux –tu savoir de quoi je rêve ?
D’un tendre fromage de chèvre. »
Et, sans un mot d’adieu, s’envola
Vers le vaste pays de l’oubli,
Un pays d’air, de vent, de neige, de pluie
Mais aussi de soleil, à ses meilleurs moments.
Abandonnant le mouton, tout interdit,
A son champ délimité, aux couleurs
De paresse et de mélancolie.
Edmond Jabès
Hé, mais c’est très beau ; et j’ajoute Edmond Jabès dans ma pile à découvrir !
s’il est doré, c’est un parachute 🙂
Que c’est joli, cette image du parapluie du ciel…
Merci Domi !
😊
D’accord avec Domi : j’adore le parapluie du ciel…
Jolie fable…
Presque aussi belle que celle de Fersen
(qui lui aussi a son « bestiaire ») :
évidemment, si tu invites Fersen, je replie mon parapluie 🙂
A l’époque, j’avais lu « les mémoires d’un parapluie », de François-René de Ségur, et il était question de le recouvrir d’un écran protecteur ( contre les brûlures du soleil ) tant la pluie passait à travers les trous, finissant par ne plus remplir sa fonction de rafraîchissement. Est-il pensable de retourner l’ensemble ? Comme ça, au lieu de pleuvoir au dessus, la pluie pleuvra d’en bas.
La grande toile bleue tendue, quelle bonne idée ! En plus, la couleur tient, elle ne passe pas, les anciens, ils avaient la connaissance de la qualité, il n’y a pas à dire !!!
J’adore tes idées carnet !
un parapluie retourné, est-ce un arrosoir ? hé oui la teinture du ciel c’est du leu grand teint…. enfin, en attendant qu’on trouve un moyen de l’empouacrer de suie…..
Merci Jobougon !
le cinquième parapluie empêcherait le fromage de couler ! quant aux baleines dans le ciel, faudrait pas qu’elles se mettent à chuter ! je ne regarerai jamais plus mes parapluies du même oeil 😉
Et si le 5e parapluie, c’était l’amour (l’amour du fromage, bien entendu) ? ça ferait un beau titre de film, non ?
« cheese love affair » 😀
Avec Hugh Grant ??
ben oui, tant qu’à faire !!! et sandra Bullock ou Julia Roberts pour copléter ! tu vas cartonner en tant que metteur en scène 🙂
regarDerai
Non, mais savoir garer son parapluie c’est important aussi 🙂
😮 j’ai le cerveau au ralenti, pas encore fini d’hiberner 😉
Une fable inépuisable … sous ta plume.
Moi aussi je trouve très jolie cette vision du ciel
comme un immense parapluie
(pluie de rayons du soleil qui nous feraient bien mal,
s’il n’était pas, discrètement, là.
D’une logique implacable, savoureux (je parle du récit mais le fromage doit l’être aussi) et poétique.
le parapluie, un bon truc pour passer entre les gouttelettes! 😉
merci Almanito
oui, le parapluie est bien pratique ! peut-être gagnerait-on aujourd’hui à l’échanger contre un masque (mais y’en a pas).