Les rênes des rennes

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Un peu ébahie, qu’elle est, la petite ! Ce n’est pas tous les jours qu’on lui propose de remplacer le père Noël, ou même de remplacer sa remplaçante ! Elle fait quand même mine de réfléchir pour se laisser prier et, après un petit silence, dit du bout des lèvres :
« D’accord, Mère-grand.
– Bien, alors tu n’as pas une minute à perdre. Glisse-toi dans mon grand manteau rouge, boutonne-le bien, rabats la capuche, mets tes moufles, mouflette, et file ! Le traineau est derrière la maison. Il est dans le pré, prêt. »
Derrière la fenêtre, sa grande oreille collée contre le bois du volet, le loup sourit : dans le pré prêt ? Elle le fait exprès ?

Obéissante, la gamine se boutonne jusqu’au col, passe ses gants et rabat la capuche rouge ourlée de blanc. Puis elle sort, tire la chevillette, ramasse la bobinette dans la neige et contourne la maison jusqu’au pré où se trouve un grand traineau chargé de cadeaux devant lequel sont attelés deux rennes dont les bois sont ornés de clochettes dorées. Elle se hisse sur le siège haut perché, attrape les rênes : « Hue ! »
Mais pas une clochette ne tinte : les rennes ne bougent pas d’un bois ! La fillette a beau faire claquer sa langue et taper du pied, rien n’y fait ! Ils ne veulent pas lui obéir. La fillette n’ose pas crier trop fort, de peur que Mère-grand s’aperçoive qu’elle n’arrive même pas à faire démarrer le traineau. Mais voilà le loup qui passe la barrière. Pour le coup, les rennes prennent peur et bougent : ils se cabrent, arrachent leur harnais et s’enfuient dans un grand tintinnabulement de clochettes et à travers la neige : en quelques secondes, leurs bois disparaissent dans la forêt tandis que le ding-dong doucement s’éteint dans la nuit.

« Loup, c’est malin, tu m’as fait lâcher les rênes des rennes, crie la fillette.
Les rênes des rennes ? pense le loup avant de prendre un air penaud pour dire :
– Oh, je suis désolé, je ne voulais pas les effrayer, ces trouillards. Je voulais juste voir si tu avais besoin d’aide.
– Besoin d’aide ? Ce qui m’aurait aidée, c’est que tu ne m’aides pas !
– Je peux les rattraper, si tu veux.
– C’est ça ! Alors tu n’as pas fini de les voir courir, ils ont trop peur de toi !

 

à suivre !

***

4e épisode du feuilleton de Noël.

Illustration : New York public library, digital collections.

 

31 commentaires

    • Sans trop spoiler la suite (et quoi qu’en pense le gouvernement), je pense que nous aurons un Noël cette année. Quant au traineau électrique, il faudrait d’abord installer les prises de courant dans la forêt…

  1. Bon jour,
    « Les rênes des rennes… » j’adore, parce que en ce moment, par un effet étrange cela me fait penser à « La reine des neiges » … 🙂
    Mère-grand va-t-elle intervenir ? Le Père Noël aura-t-il ses cadeaux ? Le loup va-t-il dévorer le Père Noël ? … diantre, je me pose mille et une questions … 🙂
    Max-Louis

  2. chouette ! du nouveau dans les contes de noël s’écria Bobinette ! on est en retard de 3 guerres, mais cela ne fait rien, on se rattrapera, avant même que ces rennes ne soient rattrapés.

  3. La prochaine fois, la (petite) reine déneige le chemin avant de faire avancer les rennes en direction de Rennes : ils ne connaissent pas encore le surf sur une planche en bois… 🙂

      • C’est que ton début donne l’impression d’être dans une histoire déjà installée, pour le coup je me suis sentie un peu perdue avant de comprendre pourquoi 🙂

        • je comprends 🙂
          j’aimerai bien écrire un feuilleton dont les épisodes pourraient être lus dans n’importe quel ordre, ce qui donnerait un paquet d’histoires aléatoires… mais pfuuuu ! disons que pour l’instant, y rêvasser me suffit 🙂

  4. Les épisodes sont courts, j’ai tout lu avec une impatience grandissante. C’est que tu as l’art de mener ton petit monde et le lecteur avec ! On est dans un conte comme je les aime (pas cruel, du moins pas encore) et l’humour à fleur de mots et/ou de situations me ravit.
    Merci Carnets ce fut un grand plaisir de lecture.
    A suivre bien évidemment. 🙂

    • Merci Laurence ; oui, j’ai fait exprès (exprès près, dirait le loup) de faire des épisodes plus courts que d’habitude : une petite tranche de reverie qui ne prend que quelques minutes au lecteur à glisser n’importe quand dans la journée, et qui lui donne envie de revenir voir la suite le lendemain. Et oui aussi, je préfère les histoires sans cruauté ni vrai méchant (il y en a assez ailleurs).

    • Oui, la gamine est trop jeune pour passer son permis traineau, mais il n’y a personne d’autre de disponible pour assurer les livraisons (mine de rien, ce conte aborde la question sensible de la désertification des zones rurales…. 🙂 )

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