Huit jours avant l’inauguration, il y avait un haut, un bas. Pas plus, mais pas moins. Ni sud ni nord : aucuns points cardinaux. Un vrai no man’s land : du noir partout dans un grand trou obscur. Voilà qui paraissait plutôt insatisfaisant. Lui, divin Alpha, Il planait, tanguant là haut, loin du flot. Il dit :
– « Fiat lux ! » (Il parlait latin) puis alluma un lampion qu’il avait mis là. L’illumination Lui plut : ainsi, Il mit du clair hors du noir. Il baptisa clair : jour, puis noir : nuit.
Un soir suivi d’un matin : un jour passa, un lundi (Plus tard, un Primat irlandais dira ça, ma foi).
Il dit :
-« Qu’il y ait un grand truc parmi Nos ziaux, afin qu’il y ait division dans Nos flots ou dans Nos suints ».
Alors, Tout-puissant fit un machin coupant l’flux du Là-haut du flot d’ici bas. Il fit ainsi qu’Il dit. Au baldaquin du haut, Il donna Azur pour nom.
Un soir vint, puis un matin : voici mardi (ou quoi ?)
Puis Il dit :
-« Sous l’azur, il y aura un coin flottant, loin à part d’un îlot d’alluvions ». Alors, du dur apparu. Il nomma Son coin dur, sol. L’amas fluctuant pris nom bassin-à-goujon ou aquarium. L’Alpha cogita :
-« Parfait ! » Il chuchota :
– « Du sol productif sortiront grains, buissons, troncs branchus, fruits donnant du fruit ». Sitôt dit, sitôt fait. Radis au ras du sol ou fruits ronds aux frondaisons tout là haut, floraison à foison, ail, gland, acacia, jasmin, kapok, iris, zinnia : chacun son truc, mais ça poussait. Normal, Il voulait ça.
Soir, matin : ça fait trois jours.
L’Absolu souhaita pour Son plafond un grand lampion, plus un lumignon plus riquiqui, marquant tour à tour jour, nuit, an ou plus. Ainsi, dans l’azur, il y aura du clair sur l’ilot. D’accord ? Il fit un grand abat-jour qui commandait au jour ; pour la nuit, un lumignon plus succinct suffirait. Il fit aussi, au cosmos, moult mini fanaux brillants. Adroit, Il crocha tout là haut, au dais du baldaquin, Son lampion pour accomplir son plaisir. (là, ça fait doublon : voir au jour d’avant).
Soir, nuit, matin, jour : jours ? trois plus un.
à suivre
* * *
En hommage à James Ussher qui a assigné la date du 23 octobre -4004 à la naissance du monde, une transcription de la première semaine de la Genèse lipogrammée en e.
illustration : Les Heures de la Vierge Marie, 15e siècle. BnF/Gallica.
Carnets Paresseux 
Un régal de lecture. Vivement la suite…
Merci Jean-Pierre, et bienvenue ! la suite ? demain matin 🙂
Ah te lire m’a manqué ! Cette Genese est savoureuse à souhait, merci Carnets !
Merci Frog 🙂
J’ajoute que (au début au moins) j’ai essayé d’être le plus fidèle au texte de référence 😉 (avec quelques zigzagues, d’accord)
Bon jour,
Bravo ! l’artisan ici a conçu un travail vivant hors du commun, abouti … mission d’un jour mais brillant !
Max-Louis
Oh ! Ha ! un joli lipogramm’ abouti ! bien joué de la part d’un auteur dont les prénoms sont eux-mêmes un lipogramme 🙂
Alors là, chapeau bas !
Merci Domi ; le lipogramme est un jeu assez rigolo (et un peu prise de chou) 🙂
Je veux bien croire à la prise de chou, mais vous lire m’a donné envie d’essayer. Je connaissais
Erreur de frappe. Je reprends. Je connaissais La disparition de Georges Perec mais j’ignorais le terme de lipogramme. J’adore la démarche oulipienne. C’est ce qui m’a poussé à écrire mon Petit lexique humain d’un siècle sans lendemain. Merci à vous pour vos articles.
Oui, la suite !
La suite ? Demain dès l’aube 🙂
Dis donc, ça marche bien la culture de légumes chez lui… Chuis jalouse!
Et sans engrais ! Mais quand même, jalouse du Grand Jardinier ? comme tu y vas 🙂
Un monde qui pousse, pousse comme ça, sera forcément réussi. On lui souhaite d’être plus beau que le nôtre. Pourtant, le grand ordonnateur semblait doué aussi…
Merci Marie-Christine. Oui, ce petit monde là démarre joliment ; mais je ne pensais pas l’accompagner au dela de la sortie du paradis (après, il y a trop de prophètes et d’ermites dans le désert…). Du coup, savoir comment sera son Apocalypse ? s’il en a une…
Belle prouesse et très drôle ! J’aime beaucoup « le grand abat-jour et le lumignon plus succinct ».
Merci Marinadhistoirs 🙂 les e se fichent partout, il faut parfois faire de grands détours pour les éviter, et ça amène des surprises assez jolies (c’est le principal intérêt du truc à mon avis)
C’est excellent. Vivement la suite ! (tu vas faire tout le bouquin, pas vrai?)
Merci Julien ; juste une tranche de Genèse ; trop lipogrammer tourne vite à l’obsession et à l’insomnie 🙂
Ne m’en parle pas: je ne saurais même pas par où commencer pour écrire une seule phrase !
Imagine un monde où certaines lettres seraient interdites, et tu trouveras vite la langue du pays….
cette fois ci, j’ai commencé par faire un fichier word avec d’un côté le texte officiel, et de l’autre des tentatives de traduction… et puis j’ai bouché les trous.
(mais j’ai calé devant l’idée d’un dictionnaire exhaustif !)
J’admire beaucoup ta détermination et le panache avec lequel tu as transformé ce qui pourrait n’être qu’un exercice de style en un résultat impertinent et haut en couleur