Verte la lune


L’instant d’avant elle roulait dans les nuées, sage et ronde, la lune.
Du moins le rêvait-elle !
L’instant d’après la voilà coincée ! Coincée dans un bec jaune perché en haut d’un arbre.
Finie la course à travers nuit.
Voilà qui lui apprendra à taquiner les hautes branches, même en rêve.
La lune s’ébroue ; peine perdue : à l’autre bout du bec, le piaf se cramponne à sa branche, et la branche à l’arbre, l’arbre à ses racines et celles-ci à la terre. Cocasse, pourrait se dire la lune, depuis le temps qu’on se tourne autour, d’être ainsi enfin reliée à son gros satellite. Mais elle ne se le dit pas. Ce qu’elle se dit, tandis qu’elle patiente, la lune, en songeant (que faire en un bec jaune à moins que l’on ne songe ?), c’est que ça serait le moment qu’ils s’amènent, les Cyrano de Bergerac, les Méliès et les Armstrong !

Plus la peine de machine infernale ou d’astuce et de ruse, suffirait de grimper à l’arbre et hop là, de branche en fourche, jusqu’à un facile et triomphal « une petite branche pour moi une grande échelle pour l’humanité ».
Mais ils ne s’amènent pas. Elle a beau soeuranner, la campagne a beau verdoyer dans la pâle lueur lunaire, le chemin ne poudroit pas : rien ni personne ne vient par là. Même le renard blotti au pied de l’arbre renacle à tenter l’embarquement. Trop occupé à raconter lune-ne-sait quelle fadaise pour embobiner le piaf noir, il rate le moment historique. Ou alors il la trouve trop verte ? Ou trop haute la première branche ?

Coincée dans le bec jaune, elle patiente encore : l’oiseau ne fait pas mine de lâcher prise. Que faire de mieux ? Se plaindre ? Non, ce serait un comble d’en faire un fromage !

Mais voilà que l’oiseau noir, lassé des basses grimaces du tout petit renard, ouvre ses ailes noires et s’envole et revoilà la lune au cœur du ciel noir, certes une petite nuit de plume mais une nuit quand même où elle roule à chaque coup d’aile, sage et ronde.

Libérée ? Délivrée ? Non, mais faut pas toujours demander la lune, se dit la lune.

 

 

* * *

Fable démoralisée pour l’agenda ironique de juillet. Il fallait quelques expressions liées à la lune. Pour en savoir plus sur les Voyageurs de la lune, avec un clin d’oeil  à Prévert et Méliès.

Illustration [qui n’a rien à voir, et alors ?] : Kyôka surimono, Katsushika, Hokusai, vers 1850. BnF/Gallica.

 

22 commentaires

  1. Piaf chantait :

    « … Si tu me le demandais
    J’irais décrocher la lune… »

    En voilà une qui aurait pu la décrocher du bec jaune!

  2. Hello

    Tu cites des clins d’œil de Prévert et de Méliès 🙂
    A peine sortie de ma lecture de 1Q84, j’ai vu plusieurs clins d’œil à Murakami : d’abord dans 1q84 il y a une deuxième lune (petite, verte et fripée) et ensuite dans « kafka sur le rivage » l’auteur dit bien que Kafka veut dire corbeau en tchèque.
    Donc ton illustration Illustration de : Kyôka surimono, Katsushika qui n’a rien à voir a tout à voir finalement …:

    D’où ma question : les clins d’oeil à Murakami sont-ils volontaires ?

    Bisesss

    Ps : j’aime beaucoup le verbe « soeuranner »

    • Bonjour Valentyne ; je suis dépité : pas de clin d’oeil à Murakimi (l’ai-je lu ? je ne m’en souviens plus) ni à Kafka le corbeau.
      Comme quoi rien de tel que des lecteurs pour enrichir un texte !

      J’aime bien soeuranner (je lui vois un sens du genre « attendre en vain, mais en étant attentif »). Une prochaine fois, j’essayerais de placer chabotter (faire le malin et entourlouper comme le chat-botter)

  3. Oui un vrai fil rouge que ce corbeau. Il s’éprend f’un astre, il s’accroche à la lune cette fois, bête comme s’il était enfin sorti des fables… Merci chers carnets ineffables

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