Non, Hugo Victor ne connait pas Victor Hugo ; aussi incroyable que cela paraisse, c’est vrai.
Oh, disons tout de go que l’inverse est vrai aussi ; Victor Hugo le granthomme ignore tout d’Hugo Victor, son anonyme homonyme, mais ça s’explique par la différence d’époque et de géographie, le plus illustre des bisontins logeant au Panthéon depuis 1885.
Tandis que l’autre Victor Hugo, çuilà qu’il est question ici, crèche présentement dans un garni de la porte de Belleville, ousqu’il est né aux alentours de juillet 1919, fruit du mariage patriotique et hasardeux, scellé à la mairie du 21e arrondissement en novembre de l’an passé entre une cousette du quartier et un rescapé de la Der-des-ders fraichement tombé du train ; d’où son prénom, Victor-la-Victoire.
Rien que cela explique bien que l’illustre ignore l’autre ; et l’autre, même s’il a entendu parler de l’immortel auteur des Misérables, serait-ce qu’à la communale, il n’en a rien lu d’écrit, rien vu de joué au théâtre ou au cinématographe, rien entendu dire à la radio ou au bistrot, et encore moins à l’atelier où il turbine désormais.
Et qu’est-ce qu’il fait, dans cet atelier ?
Dame, il y répare des automobiles, des vélomoteurs, usine des pièces, brique des capots, raccommode des pignons, redresse des ailes, bref, fait son petit boulot onze heures par jour et la perruque en plus.
Apprenti qu’il y est rentré tout minot, le Victor, et maintenant il a son établi rien qu’à lui, petit coin où personne n’oserait lui emprunter un tournevis ou une clef de douze sans y demander d’abord.
Mais lui, ça n’est pas ça qu’il veut : la mécaniquauto, oui c’est moderne et ça rapporte des sous, mais l’huile et l’essence, ça coute, c’est salissant et ça pue.
Et puis si les prix augmentent, ou si les puits se vident ?
Dire qu’il entrevoit la fin des énergies fossiles, faudrait pas pousser jusque-là, ni lui tailler un bleu de pré-écologiste convaincu.
En vrai, ce qui lui plait, c’est le vélo : silence et vitesse raisonnable, le mollet comme seule limite, la vraie liberté elle est là !
Pédalier, braquet, guidon, chaine, selle, cadre, tout, jusqu’à la sonnette, il a tout démonté et remonté, et même s’est bricolé quelques jolis prototypes qu’il essaie le soir dans les côtes du quartier et le dimanche sur les bords du canal de l’Ourcq.
Au point qu’à force d’essayer des trucs, d’améliorer des machins, il a fini par inventer une jante en aluminium ultra légère et hypra solide.
Rien que ça, oui, du durable, du presqu’éternel, qui roulerait deux ou trois cents ans s’il se trouve un cycliste assez endurant pour tenter le coup.
Il a pris grand soin de déposer le brevet, et maintenant, comme un bon petit patron du dimanche, il va lancer une gentille campagne de réclame sur le marché de la rue des Pyrénées.
Son truc, c’est tout bêtement de distribuer des petites affichettes bien imprimées chez le typo d’à côté, avec une belle vignette montrant un fier cycliste, un petit texte vantant la longévité et la légèreté de son invention avec son nom à lui, Hugo Victor, dit la-Victoire, le tout sous un titre en grandes capitales bien grasses, la Lège, jante des siècles.
***
La Licorne voulait qu’on acrostiche avec Victor Hugo ce mois ci. J’en ai profité pour continuer les biographies des homonymes anonymes : après Georges Sand, Georges Perec, Claude Levi-Strauss, Honoré de Balzac et Emmanuel Kant, c’est au tour de Totor.
Illustration : Bicyclette club de Stockholm, 1885. Archive Org
Joliment réussi le langage « Titi » de l’époque. Ça m’en bouche un coin. Par contre, pourquoi le 21e arrondissement ?
Merci ! le 21e arrondissement n’existe pas, on ne pouvait donc pas s’y marier « officiellement ». Avant 1860 on disait (je viens de le découvrir) « se marier à la mairie du 13e » 🙂
voir ici et là aussi
Merci ! Génial, le site des mots et expressions surannés (allez hop, en fav’) Merci !
Il faut lui reconnaitre à lui aussi une part de génie, parce que la lège, jante des siècles, j’avoue ne pas l’avoir vue venir :))) Du coup c’est p’têt’ ben à toi que revient la part de génie;)
Merci Almanito ; pour moi, c’était plus facile, parce que j’avais la jante des siècles en ligne de mire depuis de début !
🙂
« J’ante ici, Victor-la-Victoire ! »… déclama André Malraux, à côté de l’Hôtel des Grands Hommes.
Et ainsi Malraux réconcilie-t-il les deux Hugos, l’illustre et le cycliste !
Et l’oubli du R en chemin,
c’est Hugo ou c’est Victor?
C’est-y l’vélo ultra léger
qui fait qu’on en oublie le gras?
Bonne fin de mardi, cher Carnets.
pas d’erreur,
ya un R
qui a un air
d’allégé !
(plus léger que l’R ?
c’est une montgolfière !)
La lège, jante des siècles, oui, elle est vraiment misérable, Ah, Notre-Dame, ayez pitié !
Elle travaille à la française des jeux ta Notre-Dame ?
« Notre-Dame, deux paris »,
oh, pardon, de Paris !
Tiens, quelqu’un de ma famille… un cousin éloigné? Un chouette voyage dans le temps et dans un garage. Je sens ça d’ici. Et puis la réussite de l’entrepreneur qui voit ses efforts récompensés ! Ca m’enchante. Et finalement, quelle belles silhouettes, ces voltigeurs du vélo ! Surtout le petit en haut à gauche…
Hé mais oui, ça doit être le cousin de Paris 😉
Oui, sauf que je suis parigotte aussi, moi, de naissance. Donc pas éloigné.
Mais alors tu es peut-être parente avec la Jante des Siècles !? (si on peut dire)
🙂
Ca se pourrait, on des Jantés chez moi!
Le comble pour des cyclistes ?
Faire une « pyramide » pour rendre hommage à une cathédrale ! 😉
Et en plus , avec le « pied dans le guidon » ! :-)))
Bon, trêve de plaisanterie, j’ai beaucoup aimé ce texte, qui commence bien, qui finit bien, et qui nous « roule » entre les deux…
Bravo !
Je n’avais pas pensé à la pyramide, faut dire que j’ai trouvé l’image après le texte ! Le comble,c’est qu’elle date de l’année du décès du grantomme !
Et oui, sans doute en réaction involontaire à l’époque (la notre), l’histoire commence, continue et fini bien !
Ah, je crois que je n’ai pas été très claire… :-))
Je voulais dire, en fait, que le début et la fin étaient bien écrits, que tu les avais « soignés »…et pas que « ça ne finissait pas trop mal »…
Trop drôle cette expression « se marier à la mairie du XXI eme » je ne connaissais pas ! Un truc à ressortir dans les diners en ville !
🙂
J’aime ta série biographique, j’y crois à chaque fois et me laisse surprendre par la chute ! 😂
Merci Frog ! pour moi, la surprise est moins grande, parce que j’ai une petite idée de la chute avant de commencer ;mais je m’amuse beaucoup en cours de route 🙂
Excellente chute (à partir de maintenant je viendrais ici avec un casque 🙂
Bisesss
Oui, à vélo l’essentiel est d’éviter la chute, alors que dans une histoire courte, l’essentiel est de bien chuter 🙂
Est ce qu’Hugo Victor va faire le Tour de France ? Avec une jante aussi révolutionnaire, il devrait battre les meilleurs, Charles Pelissier, Antonin Magne et même Roger Lapébie !
Sûr !! Victor Hugo est même (à ma connaissance, je n’ai pas vérifié) le seul coureur du Tour a dormir au Panthéon 🙂
Faut que j’relises tout ! Toutes les biographies, c’est trop drôle, trop alléchant que j’me pourlèche les babines et la bobinette cherra. J’adore cette créativité, ce style qui fait du Dodo un super Dodo, un inoxydable, un inévitable, un indécrottable, un indémodable, bref, un immortel !
Merci Anne pour ton enthousiasme ! le vrai, c’est qu’une fois dégottée l’improbable chute, je m’amuse en route ; et c’est pas dit que, si j’en ramasse suffisamment, je compile pas un jour tous ces anonymes dans un tout petit livre de seize pages broché main et vendu à la sauvette 🙂
J’achète, je crowne foundinge, je verse, je parraine, je mécénise.
on en n’est pas encore là.. manquent une brouettée de textes 🙂
Pas vu venir
Cette homophonie goûteuse.
elle était cachée tout au bout de l’histoire 🙂
Délicieusement vintage!
🙂
J’adore la vieille photo qui va très bien avec ton texte!
Merci ! je l’ai trouvé après coup, mais elle m’a tapée dans l’oeil !
Toujours un régal de lecture tes homonymes anonymes. C’est à se demander si tu ne les as pas rencontrer en vrai, tant tout est incroyablement vivant !
Merci Laurence 🙂
hypra marrant. et toujours si bien écrit, que c’en est un régal.
Trouvée la clef de douze même s’il semble interdit d’y toucher !
Déjà lue en me promenant mais j’aime bien repasser aussi.