Quatre Saisons

Il se fait attendre, le jeune maestro qui doit diriger l’orchestre ce soir.
Alors, pour tromper le temps, dans le bourdonnement des violons qui s’accordent, les stridences des clarinettes qui cherchent leur la et le claquement des boites qu’on ferme et pousse en coulisse, la clique parle cuisine.

La contrebasse a dit ce qu’il faut dire de la pâte (une pâte à pain toute simple, faite de moitié moins d’eau tiède que de farine de blé, deux cuillères d’huile d’olive, de levure de blé, et de sel, bien sûr). Bien sûr tout le monde est tombé d’accord sur les trois heures immuables où la pâte pousse, lève, gonfle. Plus largement discutées, le choix et la cuisson des tomates. Les altos qui en tenaient pour la pissaladière ont été relégué au fond de la fosse ; on ne les laissera regagner leur rang qu’au moment de jouer, et tant pis pour eux si le fracas des chaises remuées lorsque le jeune chef invité saluera devant le rideau leur vaut l’amende.

On a laissé les cuivres et les vents passer en revue le fretin essentiel des herbes de Provence, origan, basilic, ail, thym : à quoi bon parler, tout le monde en est d’accord.
De même, les archets et les anches se sont entendus sur les innombrables garnitures imaginables : jambon, olive, oignon, champignon, lardon, poisson émietté ou tranchés… en l’espèce règne la liberté, point de borne, chacun fait ce qu’il lui plait.

Un autre qui fait ce qu’il lui plait, c’est le jeune invité qui n’est toujours pas arrivé… l’heure de courtoisie est déjà dépassée de dix ou quinze minutes (soit plus qu’il n’en faut pour la cuisson !). On entend maintenant le sourd brouhaha de la salle qui se remplit, ponctué du grincement des fauteuils dépliés.

Jouer sans chef ? Le public ne le voudra pas. La perspective d’un fiasco obscurcit la fosse. Chacun se renfrogne, regarde qui sa partition, qui le dos du voisin de devant ; tel fait mine d’éprouver son archet, tel autre de vérifier son bec ; côté jardin, la harpiste recompte ses cordes, tandis qu’abrité derrière ses triangles, le percussionniste dépoussière le grand chapeau chinois.

Cors et flûtes continuent à parler cuisine, mais le ton se ressent de l’ambiance épaissie : sur l’important chapitre des fromages, le piccolo défend le provolone et le gorgonzola persillé ; le hautbois en tient mordicus pour le parmesan, râpé à la sortie du four ; le basson se fait rabrouer, qui propose la ricotta. Et pourquoi pas le gruyère passe-partout ? ou encore une bûche de chèvre et du roquefort, tant qu’on y est ?
Un cor anglais (forcément !) lève la tête et ose évoquer le cheddar !

Et puis tous se taisent, soudain conscients qu’au-delà du lourd rideau rouge, le silence s’est fait, seulement entrecoupé des toussotement nerveux et des rires étouffés du public qui s’impatiente. Dans la fosse, des regards anxieux s’entrecroisent… Va-t-il falloir annuler la soirée ? Rembourser la recette ?

Seule la trompette reste concentrée sur sa rêverie culinaire. Il lui semble qu’ils ont oublié un ingrédient, et de poids… un fromage, mais lequel ? Elle a bien son goût aux papilles, mais son nom ? Impossible de s’en rappeler !
Et puis de l’entrée des artistes vient ce cri qui délivre la rêveuse (et l’orchestre dans le même élan)  : «Vous voilà ?! Pas trop tôt !» suivi d’une course dans le couloir et d’un appel triomphant  :
«Mozart est là !!»

 

 

***

Le retour des recettes littéraires ; aujourd’hui, pizza (vous l’aurez reconnu !) et musique (je sais, les Quatre saisons ne sont pas de Mozart, mais il me fallait un titre pizza-compatible) et homophonie finale.

illustration : Sidney Célar et son orchestre. Agence Rol, 1926. BnF/Gallica

39 commentaires

  1. Garniture façon Marguerite – moi, pas la pizza 😉 :
    Coulis de tomate ; thon à l’huile d’olive ; ail ; persil ; câpres ; marjolaine ; olives noires de Nice ; filets d’anchois… La pizza et les pâtes, je ne connais rien de meilleur 🙂

  2. Savoureux, évidemment, relevé juste ce qu’il faut, je me suis régalée ! Mon commentaire en revanche est des plus fades, mais tu ne m’en voudras pas. 🙂

  3. Hummm! Di bufala, naturellement, avec des artichauts et des olives!
    Excellent et la chute ha je ne m’y attendais pas, j’attendais bêtement Vivaldi :))

      • Ici, on appellerait cela une tarte au rocroi … et c’est bon, dans tous les sens du terme. Attention tout de même : l’odeur du fromage est très forte et très prégnante ! Quand j’étais jeune, on mangeait surtout le rocroi cuit. Il s’est considérablement adouci aujourd’hui et on peut le manger frais. Mais l’odeur est toujours très forte.
        Bon courage, les Carnets Paresseux, et merci et un doux bout de semaine à vous.

  4. Et la clef à mi-mollette de déclarer : « n’en faisons pas un fromage ! »
    Cet homme de Savoie enchantera la flûte tradition.
    Une tartine de saison râpée, c’est croustillant comme du gratin.
    Quelle maestria, Amadeus carnet du Dodo ! Admiration !
    😉 😀

  5. chemin « faisan » il a dû déguster sa choucroute favorite ! forcément, ça ralentit le rythme….
    quand on pense qu’il n’a jamais goûté à la tomate, c’est ballot !

    • je me demande si je n’écris pas toujours à propos de fromage….
      Merci pour la trompette, c’est corrigé ! C’est qu’elle a d’abord été un trompette 😉 quand il.elle a changé de genre, j’ai pensé à accordé la suite mais pas le mot d’avant !

  6. Mamma mia ! Tu titilles mes origines ritales…
    Mozart est là … tsss ! Il fallait la faire, tu l’as faite… 😉
    Mais elle est si bien amenée !
    •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

  7. J’aime bien l’idée de ces instruments de l’orchestre qui s’agitent pour une recette de pâte à pain( bonne recette soi dit en passant) avec une chute qui est savoureuse dite à haute voix! 🙂

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