Le rêve d’Honoré

Bien sûr qu’il connait Balzac. Comment pourrait-il ignorer l’illustre écrivain, lui dont le propre père a cru bon d’afficher son admiration pour son presqu’homonyme grandthomme en baptisant son fils aîné ? S’il faut expliquer ce triple-son, le père s’appelait Honoré Balzac, et, non content d’affubler son fils de ses propres nom et prénom, il a trouvé subtil d’y intercaler le chiffre deux. Le mioche s’appelle donc Honoré II Balzac. Est-ce que le paternel escomptait une dynastie, des petits-enfants numérotés III, IV, V, et ce qu’en avait pensé sa mère, une fille aux yeux d’or, ancienne muse du département vendéen, désormais (toutes illusions perdues) épouse d’un médecin de campagne, Honoré II ne le saura jamais : lors d’une excursion à Notre-Dame-de-Mont, en plein pays chouan, un drame au bord de la mer prive le tout jeune garçon de ses deux parents.

Après cette triste et ténébreuse affaire, l’enfant maudit est éloigné des flots cruels et envoyé dans les Alpes, aux bons soins d’une cousine (bête comme paille, il faut le reconnaitre, mais d’une insigne gentillesse avec ce petit ange aussi modeste que mignon). Il grandit là, entre la cuisine et l’atelier où son cousin ponce à longueur de jour des planches de sapin.

Finis les terres plates et les marais dormants : dehors, la montagne veille, pierre dure et rugueuse. C’est peu dire que les jours sont calmes : d’octobre à mars, la neige coupe les routes, ferme les cols, isole la vallée perchée où se blottit le hameau. Même pendant le si court été, les plus proches voisins sont à des lieues ; descendre à la ville ? toute une expédition ! En haut du col de la Grande-Bretèche, luit parfois une lueur à la fenêtre du refuge du Chat-qui-Pelote. Et voilà tout.

Que faire, alors ? Les premiers temps, ordre de la cousine, le jeune Balzac lisait quelques pages des œuvres complètes de l’autre, paternel héritage relié en peau de chagrin qui alourdit l’étagère de sa chambrette. Mais Gaudissart, Grandet, Goriot ne l’enthousiasment pas. Alors la cousine n’insiste pas. Elle est autoritaire, mais aussi, comme elle dit, humaine. Et puis c’est bien simple, Honoré est mordu par les aventures aéronautiques de Fifi, feuilletonnées par Arnoud Galopin et Henri de la Vaulx et vendues 10 centimes le fascicule par le colporteur. Dès lors, le mioche rêve d’aéroplane, de vol, de plus-lourd-que-l’air. C’est de son temps, il est né au détour du siècle, et nous sommes en 1913. L’avion, c’est sa recherche de l’absolu. Il délaisse bientôt les niaiseries cocardières et bien pensantes du feuilleton de Galopin et s’abonne au bulletin officiel de l’Aéroclub de France, l’Aérophile, que le facteur met un point d’honneur à faire parvenir jusqu’au hameau. Ainsi, il sait tout des frères Voisins, des planeurs d’Otto Lilienthal, des tentatives de Clément Ader et d’Orville Wright. Il a dans sa chambre une litho du 14bis de Santos-Dumont et aussi un plein dossier de coupures de presse sur Farman et Blériot.

Mais attention, aucun de ces exploits ne l’intéresse en soi. Il ne veut pas être le premier à passer un looping comme Pégoult (qui est peut-être d’ailleurs le second, derrière le russe Nesterov), ni, comme Aubrun à Villa Celina, le premier à accomplir un vol de nuit.

Ce qu’il attend, lui, c’est une aviation sortie des gambades de l’enfance et enfin utile, traçant des lignes droites entre les îles et les montagnes, franchissant les cols, réduisant les distances et rapprochant les hommes. Il conçoit tout un programme de desserte aéronautique des zones rurales, avec des aéroports dans toutes les campagnes et des avions pouvant aller partout. Libérer l’homme de la marche trop lente, de la neige qui isole, des cailloux qui roulent et des pentes abruptes, désenclaver le moindre hameau perdu, c’est cela que l’avion doit accomplir ! Ce que d’autres se contenteraient de rêver, Honoré II le couche par écrit dans un cahier d’écolier qu’il compte envoyer à l’Aéroclub de France, et dont la couverture porte, fièrement tracé d’une écriture enfantine mais ferme, le titre éloquent : l’hélice dans la vallée.

 

***

Bientôt la rentrée (littéraire) ; l’occasion de découvrir quelques anonymes homonymes malchanceux. Illustration : M. de la Vaulx à côté de son aéroplane, septembre 1907, Agence Rol, BnF/Gallica. Quelques titres d’Honoré de Balzac se sont glissés ça et là. Pour les curieux, les aventures aéronautiques de Fifi en feuilleton et réarrangés en livre scolaire ;  l’Aérophile ; les débuts de l’aviation.

 

 

31 commentaires

  1. Nom d’un schtroumf, commencer sa journée de la sorte, avec rythme et entrain, volant par dessus les nids du poule du quotidien ou la boue des dernières infos radio ! Débuter, vous dis-je, sur le tempo des mots du Dodo, et profiter de son humour parachuté dans les chaumières telle la clarté du petit matin ! Voilà le cadeau de la journée : je prends mon envol et rejoins le firmament avec Honoré II Balzac. Il est célibataire ?

  2. Ce cher Honoré II avait tout misé sur un autre souvenir d’enfance : quand il s’adonnait en secret au modélisme.

    On comprend mieux alors pourquoi l’utilisation du balsa lui donna la solution-miracle . Grâce à ce matériau, ses avions étaient plus ultra-légers que l’air, écologiques avant la lettre, et propulsés uniquement par des vents solidaires et provinciaux.

    Honoré II fut ainsi surnommé « le Balsa du siècle ». Hélas, sa recherche de l’Absolut (une vodka qui aurait remplacé son café quotidien à hautes doses) capota lamentablement car trop en avance par rapport au marketing suédois.

  3. Zut je l’avais dans le désordre : j’avais un Honoré de Bas-le-sac, saltimbanque de son état, maitre en sa spécialité. Le titre de son ouvrage ? Je vous le donne en 1000 avec un indice : il n’est pas cracheur de feu !
    Un 2ème indice ? Il ne tire pas tout au clair, mais on préfère !
    Un 3ème ? Bon pffff autant dire tout de suite le titre : « le lisse dans l’avalé ».
    Honoré ayant confondu un jour un poignard avec une scie à pain il a du se reconvertir après sa déchirure de la trachée. Un témoignage poignant sur la condition de saltimbanque.

    Puis il devint plongeur de tête et eut de nouveau un accident, qu’il raconta derechef dans
    « Je dévisse dans la salée » ( son style avait déjà beaucoup perdu ) parce qu’il avait glissé d’une grue avant de plonger dans le port de Dunkerque, heu non, sur le port, enfin sur le quai du port.

    Honoré eut plus de chance avec les femmes, puisque ne les aimant pas il parvint à les fuir toute sa vie, avec succès.

  4. La cousine bête et le cousin ponce, il fallait y penser 🙂 Et « comme elle dit, humaine » m’a bien fait rire ! Bravo pour vos trouvailles réjouissantes 🙂

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