C’est épuisant un pingouin

Sur la glace sans chaussure…
– Non, mais non mille fois non !
la glace ell’a pas d’chaussure !
i va nu pied, le petit glaçon !

Oui,
c’est vrai, bien sûr,
reprenons :
Sans chaussure sur la glace
un pingouin va trottant-glissant
de l’aurore jusqu’à la nuit
(boréale l’aurore et polaire la nuit)
patinant avec une grâce
acquise depuis trois cent mille ans
une grâce si tant gracieuse
qu’elle lui vaut bien des envieux.

Trotterait-il différemment
si d’aventure
en queue de pie dans la lumière
il traversait la place Royale,
Picadilly,
ou bon dernier la brousse en feu ?

Non, mais non mille fois non !
l’est ni zèbre ni policeman,
ni loufiat servant café-crème,
ni rien d’autre ni son contraire.

Tout au contraire, le zèbre, lui,
est exactement son contraire :
blanc avec des rayure noires
et noir rayonné de blanc
mais c’est pas d’lui qu’il s’agit ici
ni du bobby de Picadilly.

Non, mais non mille fois non !
Un policeman ? un café crème ?
un zèbre à Picadilly ?
Y patine sec ce p’tit poème
non mais quand même ça dérape dur !

C’est qu’il ziguezague de l’écriture
Comme le pingouin qui s’agite ici
en diagonale sur la banquise
noir et blanc sur son grand miroir.

D’ailleurs, pourquoi sur la banquise ?
C’est qu’c’est épuisant un pingouin :
à force de rêver à rien
à force de tout espérer
de tout savoir sans attendre
de tout manger sans demander
il a épuisé le vert du pôle
épuisée la fraicheur du soleil
épuisées bien des herbes folles
épuisées les bêtes et les fables
épuisée la couleur vermeille
épuisé le Renard polaire
et son compère Corboréal
épuisé tout et son contraire
tant et si bien qu’iya plus personne
pour l’supporter rien qu’un instant !

Non, mais non mille fois non !
il reste pour le supporter
dur comme fer et der des ders
le blanc glacé d’la banquise !

Lors, bizarre comme une radicelle
indifférente à nos bêtises,
curieux comme un tentacule
fiché au beau milieu d’un poème,
dernier des derniers
il file de l’aurore à la nuit
(polaire, celle-là et
boréale, celle-ci).

 

 

 

***

n’oublions pas l’agenda ironique ! illustration : Buffon, Histoire naturelle des oiseaux, des poissons, des insectes et des reptiles, 1808, page 128. NCSU Library.

43 commentaires

  1. « C’est qu’il ziguezague de l’écriture », une belle expression qui résume bien ce thème de l’agenda ironique (et cela dit une bonne partie des textes dodoesques). Merci pour ce petit tour de glisse sur la banquise !

    • Bien observé, c’est vrai que je ziguezague un peu de l’écriture ; mais ça n’est pas pour autant un poème autobiographique 🙂
      (d’ailleurs, un dodo n’est pas un pingouin)

  2. Mais qu’il est chouette ce poème, bien troussé, frétillant (ou glissant), en smoking et pieds nus comme son héros ! Bravo Carnets et merci !

  3. Délicieux. Le Corboréal, je retiens. … un tentacule serait mieux qu’une mais elle/il perdrait une part de sa bizarrerie.

  4. Un pingouin, quoi qu’il en soit, ne perd jamais Le Cap 😀 et l’un de tes commentaires m’incite à te demander une fable sur « le manchot et le pingouin » (ou vice versa !)

  5. Pingouin délicat, il sait que la banquière n’a plus de « pognon » pour lui, et le hulot vole trop loin pour se préoccuper de son sort béant.

    Poème qui fond sous les yeux…

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