Ici on ne le mange pas comme par chez vous.
Attention, je ne dis pas que le nôtre est meilleur.
Juste qu’on ne le mange pas pareil. Je ne parle pas de façon de table, de fourchette ou de napperon, de comment on coupe les parts ni d’à quelle heure et en quelle compagnie. Mais il vaut peut-être mieux que je commence par le commencement.
Le commencement, c’est trois œufs de poule. Faut aussi trois cuillerées de farine de blé et trois cuillères de sucre en poudre.
Quoi ? trois, le chiffre sacré, et trois fois de suite ? Si vous voulez, mais à mon avis vous paumez votre temps. Bref, je vous laisse recompter, et pendant ce temps j’allume le four. 210°, ça ne vous inspire pas de nouveaux calculs ? Trois fois septante ? Je blague, rien de méchant.
En attendant, je continue : la farine va dans une terrine, puis une pincée de sel, et là on casse les œufs, l’un après l’autre. Enfin, si vous voulez essayer les trois d’un coup, à votre bonne chance ! On fait couler jaune et blanc dans la farine, et on remue tout ça en versant un peu de lait un peu de sucre, on délaye et on recommence jusqu’à la fin du lait (disons trois quarts de litre).
Vous dites que vous faites pareil ?
Ça ne m’étonne pas.
Il n’y a pas trois façons de faire.
Ensuite, on ajoute les cerises. Disons une livre et demie. On les pose au fond d’un plat rond bon pour le four. Après quoi on nappe avec la pâte de tout à l’heure, on enfourne une bonne demie heure et le tour est joué. Juste, une fois défourné on peut resucrer si on en a le goût.
Comment, c’est tout ?
C’est aussi comme ça que vous faites le clafoutis ?
Je m’en doute, J’ai voyagé, moi aussi, je sais le monde.
Mais c’est là que je vous attendais.
Parce qu’ici, on gloutonne pas ça en dessert, avec une tisane ou un petit kirsch pour faire passer. Ici, quand le clafoutis est bien préparé, chaque cerise est pile à la place d’une étoile ou d’une planète. Oui, dites que la pâte, c’est le cosmos, les éthers infinis ? Moquez-vous tant que vous voulez, vous n’empêcherez pas que c’est ce qu’on croit.
Et alors ?
Alors on a le ciel dans son assiette, littéralement. Oh, bien sûr, Copernic n’y retrouverait pas la Grande Ourse ni Cassiopée, et bien malin qui dénicherait Mercure, Vénus, le Verseau ou un vague Capricorne au creux de l’assiette. Oh, je ne dis pas, il y en aura toujours, au village, pour jouer à deviner l’avenir et à rejouer le passé rien qu’en pitrougnant leur part de dessert. Si vous voulez mon avis, feraient mieux de le manger, plutôt que d’en attendre fortune, argent et richesse.
Il n’en reste pas moins qu’ici, quand on mange son clafoutis, on avale sa part de ciel, et avec, donc, notre destin et notre avenir. On reprend la main, quoi.
Et quoi ? Si les étoiles gouvernent notre vie, pourquoi les cerises feraient pas pareil dans l’autre sens ? Les astres ils le tirent d’où leur mouvement ? Si on y songe trois minutes, c’est pas plus bête que vos histoires de Castor et Pollux – sans parler de ce soi-disant Sagittaire qui s’agiterait là-haut pour vos beaux yeux – qui planeraient tous à cent mille lieues là au-dessus en se préoccupant de vos petites affaires !
Non ? Ça vous paraît idiot ?
Je n’ai pas dit que ça l’était pas.
Ni que ça marchait, d’ailleurs.
Juste qu’ici, on ne le mange pas comme chez vous.
***
Chaque dimanche, les recettes littéraires associent cuisine et écriture. Aujourd’hui, le clafoutis demandé par Almanito. La recette est celle de Jules Claretie page 125 du Brillat-Savarin, La cuisine française : l’art du bien manger, édition revue, augmentée et annotée par Edmond Richardin, BnF, Gallica. Illustration : Jules Chadel, Moineau et cerises. BnF, Gallica.
Là, il est un peu tard, je reviendrai déguster cela demain matin. Vers trois heures, me diras-tu ? Parce que c’est le moment où la Grande Ourse câline sa petite ?
Bon, je verrai.
Il n’y a pas de grande ourse dans le clafoutis (on dirait un peu un message de Radio-Londres !)
Alors, as-tu lu ?
🙂
Avoir le ciel dans son assiette… Quelle jolie image, et c’est mieux que d’avoir peur qu’il nous tombe sur la tête!
Merci Manuraanana ; en effet, il parait qu’il faut éviter de prendre le ciel sur la tête ; mais ça n’empêche pas de le manger !
Je n’en ai pas fait depuis une éternité… Si j’en refais en suivant scrupuleusement la recette, tu crois que les invités auront des étoiles plein les yeux?
Il n’y a qu’une seule façon de le savoir : faire un clafoutis et regarder les yeux des invités !
😉
Oh clafoutis aux cerises 🍒 ! Mon préféré ! Je suis d’accord, un dessert céleste et mieux encore, bien terrestre. Merci Carnets !
Merci Frog !
🙂
Le clafoutis de chez toi, quand tu en parles, on croirait l’avoir dans l’assiette, et comme ça fait des siècles (3) que je n’en ai mangé, je savoure ma part de ciel 🙂
Merci Carnet, j’en reprendrais bien une part…
« sur la terre comme au ciel, que ton clafoutis soit fait ! »
en vrai j’ai eu du mal à la tricoter, cette recette de clafoutis, et puis après pas mal de grommellement, elle est venue comme ça 🙂
Ha la pâtisserie dit-on demande beaucoup de précision, c’est pour cela que je t’en ai laissé la confection et c’était fameux! Encore une p’tite part, tiens, le ciel est infini n’est ce pas…
Bon jour
Il y a des goûts divins, de paradis, d’un autre monde … bref, on voyage dans une autre dimension .. le goût est sensation d’un tout cosmologique … De fait, votre recette remet dans le contexte vrai de l’humain et de son appartenance à ce cosmos … ce que nous avons perdu dans notre société par des aliments dont les teneurs industriels nous ramène à un niveau purement digestif …
Une recette au-delà de la recette, c’est la magie du goût qui est ici représenté … à mon goût 🙂
Max-Louis
Merci Max-Louis !
Sucré, le délire.
sucré ? juste trois cuillères à soupe (plus le sucre des cerises…)
🙂
Lire ça au petit matin et avoir soudain une envie folle de manger du clafoutis.
Désolé !
moi, je me suis écœuré du clafoutis à force d’en comparer des recettes pour écrire cette histoire 🙂
Tant pis, ça en fera plus pour nous 🙂
C’est vrai, ça ! Mais faut quand même dénoyauter, sinon gare à ce qui se passe en avalant puis en digérant !
un clafoutis d’étoiles bien appétissant ! va falloir que je me réconcilie avec les cerises………. ou alors que tu inventes d’autres galaxies 😉
Je suis sûr que ça marche avec des pommes…. 🙂
mais on peut aussi inventer d’autres galaxies !
Je ne fais pas souvent de clafoutis…mais là, ça fait envie…!
On disait « avoir des étoiles plein les yeux », maintenant, on dira : « avoir des étoiles plein…la bouche » !
Merci pour ce moment délicieux…
Merci La Licorne !
« des étoiles plein la bouche », et trois quarts de litre de voie lactée 🙂
Sans oublier le trou « noir-mand »… 😉
J’ai cru lire, pendant une fraction de seconde : « Le clafoutis de Céleste » ! On est donc toujours dans le sillage de Proust (pour mémoire : Céleste Albaret était la gouvernante de ce cher Marcel). Mais non, on est dans un autre rayonnement de sillage, à travers une recette de Jules Claretie.
En tout cas, très appétissant, ce clafoutis étoilé !
😉
J’avoue que le clafoutis de Céleste, ça m’évoque plutôt Babar que Proust ; on a les sillages qu’on peut 🙂
sinon, Madeleine et Léonie se sont mises d’accords sur une recette ?
Babar ! Mais c’est bien-sûr !
Sinon, Mad et Léo sont surbookées mais ne vous oublient pas !
🙂
Léonie :
Salut l’Paresseux.
Si vous arrivez à reproduire la tarte au citron de Pierre Hermé, je ne dirais plus JAMAIS de mal de vous. C’est bien compris ? Je le jure sur la tête de Madeleine.
(c’était très moyen votre clafoutis alors je compte sur vous, OK ?)
chère Madame Léonie,
croyez bien que je suis sensible à votre aimable attention.
je vais faire de mon mieux,
et mercredi, tarte au citron ça s’ra donc.
Léonie :
Môôôsieur Carnets,
Ce n’est pas une simple tarte au citron que je vous demande de réaliser. Il s’agit de la recette de PIERRE HERMÉ, la seule qui vaille. La meilleure du monde, quoi !
Au travail !
🙂
Merci M’me Léonie, z’êtes bien honnête de m’prévenir !
alors je prends jusqu’à dimanche pour me faire la main
🙂
Requête accordée, M’sieur !
🙂
« Nous allions au verger cueillir des bigarreaux.
Avec ses beaux bras blancs en marbre de Paros
Elle montait dans l’arbre et courbait une branche ;
Les feuilles frissonnaient au vent ; sa gorge blanche,
O Virgile, ondoyait dans l’ombre et le soleil ;
Ses petits doigts allaient chercher le fruit vermeil,
Semblable au feu qu’on voit dans le buisson qui flambe.
Je montais derrière elle ; elle montrait sa jambe,
Et disait : « Taisez-vous ! » à mes regards ardents ;
Et chantait. Par moments, entre ses belles dents,
Pareille, aux chansons près, à Diane farouche,
Penchée, elle m’offrait la cerise à sa bouche ;
Et ma bouche riait, et venait s’y poser,
Et laissait la cerise et prenait le baiser. »
Il semblerait pourtant que Victor Hugo a connu le septième ciel… n’en déplaise à Jules Claretie
En lisant ce poème, je me suis demandé si Francis Cabrel ne s’en était pas inspiré !
C »est clair, Hugo est le Cabrel du 19e siècle :))
On notera d’abord, Victor Hugo néglige le clafoutis, voire qu’il l’abolit en mangeant les cerises dans l’arbre.
Et puis faire rimer bigarreaux et Paros… quand même 😦
avec bigorneau, à la limite… 🙂
Z’ont tous les toupets ces écrivains ! Hein ?
Hugo, un toupet ? en plus du reste, il portait aussi une perruque ??
« Il n’en reste pas moins qu’ici, quand on mange son clafoutis, on avale sa part de ciel »
❤❤❤❤
Merci Carnets. Te lire chaque dimanche est un dessert particulièrement savoureux.
Merci Narines&Crayons.
je ne propose pas que des recettes de dessert ; tiens, pour la semaine prochaine, ça sera une entrée .
Là, tu me touches en plein coeur !
Tu sais combien les étoiles me parlent depuis toujours…
Et puis voir mon prénom associé à une gourmandise clafoutesque, c’est délicieux !
Céleste
¸¸.•*¨*• ☆
Merci !!
Une livre et demie de cerises , ça fait bien 3X500 grammes ? Passque mon épicier pèse en grammes et je voudrais pas me tromper dans les proportions….
Bisessss
Oui, c’est bien des livres d’un demi kilo ; attention, ne pas les demander chez ton libraire !
Pas de risque : je viens de me faire interdire de librairie comme certains se font interdire de casino …. 🙂
Je me rabats sur les cerises….
A quand un écrit sur le gratin dauphinois, sujet ô combien brûlant pour ses aficionados quant à la bonne façon de le cuisiner ? 😀
C’est noté… mais vu le nombre de façons de faire, je vais me fâcher avec beaucoup de monde !
🙂
Haha, c’est sûr ! 🙂
J’arrive de chez Alma. Déjà inconditionnelle du clafouti aux cerises j’en découvre ici une recette juste parfaite ! Merci de tout coeur pour cette poésie en bouche !!!
Bienvenue et merci !
J’essaie de proposer une recette chaque week-end (tant que l’inspiration tient !)
Le clafoutis aux cerises est le meilleur et avec des lettres c’est un délice, une mise en bouche avant application de la recette.