Inaugurons avec faste un bocal à poisson rouge.
Et pourquoi non ? Le bocal le mérite, qui remonte à la plus haute antiquité ; où se seraient trouvées, sans lui, les eaux vagues et vaines sur lesquelles plane l’esprit de Dieu au commencement de la Genèse ? Et on ne doit pas moins de respect au poisson rouge qui échappe au Déluge de la plus habile manière : sans rien changer à sa façon de vivre, battant simplement des nageoires au milieu des vagues.
Inaugurons donc, et avec faste. C’est plus facile qu’on ne croit.
Il suffit d’une estrade (entendons-nous, un tabouret suffit, un bocal n’est pas le grand aquarium océanographique de Monaco) ; d’une fanfare (un tuba suffira, surtout s’il faut jouer sous l’eau) ; pour le faste, sinon un sous-préfet rutilant (malgré les deux-cent-trente-trois sous-préfectures qui embellissent le paysage administratif de notre beau pays, il est plus délicat qu’on ne pense généralement de dégotter au débotté un sous-préfet disposé à inaugurer), bref, à défaut dudit, un académicien peut faire très bon effet. De plus, l’académicien en grande tenue a un faux air d’hippocampe, la démarche ondoyante du homard bleu et, parfois, l’élocution de l’épinoche, tous points qui ne peuvent que ravir l’occupant du bocal. De plus, son épée effilée fait merveille à l’heure du coupé de ruban. On évitera en revanche la faute de goût d’inviter quelque officier d’académie au prétexte des palmes homonymes que le bonhomme porte avec suffisance. Assez peu natatoires – bien moins même que la vessie du même nom – elles ne rappellent que de très loin l’élégance de la nageoire.
Bien évidemment, il faut aussi prévoir un buffet, servi sur une table. Prendre seulement soin de se procurer un buffet assez léger pour être supporté par la table – opération qui n’est jamais commode. Pour le caractère maritime de cette province, un buffet breton serait d’excellent choix. Simplement, pour ne pas fâcher l’hôte du bocal, on bannira du buffet l’excès d’anchois ainsi que les bocaux de confitures.
Le moment venu, l’estrade porte le bocal ; le tuba joue ; l’académicien articule. Pendant ce temps, le poisson rouge ne dit rien ; ce qui est un évident gain de temps pour gagner le buffet. Là, de son épée d’argent, l’académicien se rend encore utile en tranchant des tartines et certains points obtus de grammaire.
Après quoi on repose le bocal près de la fenêtre, d’où le poisson rouge saluera l’académicien qui regagne, comme le soir tombe, son épée traçant son sillon dans le sable des allées et un bocal de confiture réchappé du buffet dans la poche de son grand habit vert, de l’autre côté du jardin troué par la lumière, son réduit du quai Conti.
C’est ainsi que le poisson est grand.
Étonnant, non ?
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Minute-Cyclopède chez la Jument verte. Les dix autres minutes sont là. Illustration : Henri Matisse, Intérieur, bocal de poisson rouge, 1914. Paris, centre Pompidou. Photo Sharon Mollerus (CC by 2.0)
Bannir aussi, pour le buffet, les toasts aux œufs de lump.
Et ne pas oublier d’enduire l’épée de l’académicien d’huile de foie de morue.
Le tout est de le faire avec faste
🙂
[…] Carnetsparesseux : Inaugurons avec faste un bocal à poisson rouge […]
Nul doute que l’occupant du bocal soit charmé d’un tel faste 😉
j’ai été moi même très impressionnée par l’académicien en grande tenue à un faux air d’hippocampe, la démarche ondoyante du homard bleu et, parfois, l’élocution de l’épinoche, que j’en suis restée muette comme une carpe….
je savais que l’hippocampe en habit vert te plairait 🙂
A noter que pour l’occasion, le hareng sort 😀
🙂
Charles Cros n’aurait pas dit mieux !
Oh, que c’est joli ! Et ce Matisse, un de mes préférés. Merci Carnets !
Merci Frog !
Ondoyant, le rythme nautique de cette prose à la Rouget (de Lille ou d’ailleurs), sinuant au gré de l’arête à Franklin. Un vrai quatuor pour tuba poissons et une bouillabaisse de saveurs académiciennes. Miam ! On m’en remet un p’tit peu sioux plait ?
Merci Anne ; en remettre un petit peu ? avec plaisir ; je vais voir de ce pas si l’académicien n’a pas razzié tous les bocaux de confiture…
Je dépose ici en clin d’oeil le nom que mes têtes blondes donnaient -enfants- à leur poisson rouge : « Roger de Lille ». J’ai ri de l’élocution de l’épinoche, je sens que cela va me faire la journée 🙂
Je n’ai qu’une notion très floue de ce que peut être l’élocution de l’épinoche… mais l’image fait image !
Roger de Lille, (celui qui a composé la Marseillaise (bouillabaisse) ?) il fera ma fin d’après-midi et ma soirée :))
Oui, celui-là même 🙂
ET il faut revêtir un habit de sirène pour assister à cette inauguration?
S’il est porté avec faste, ça peut aller 🙂
Je porte les écailles avec beaucoup de distinction 😉
J’aime beaucoup l’académicien-hippocampe multifonction, seul véritable rival du couteau suisse. Je ne pourrais plus en voir un désormais sans y penser :))
:))
je ne sais pas trop ce que c’est passé quand j’ai écrit cette chronique, mais l’académicien-multifonctions est passé de silhouette floue à héros de premier plan sans même que j’ai le temps de réagir ! J’admire naturellement les académiciens, mais je n ‘imaginais pas qu’ils étaient si utiles. Malheureusement on n’en croise pas trop souvent hors des abords du quai Conti.
Après un bon repas , à l’ heure de la sieste, il n’ est pas rare de les voir flotter entre deux eaux le long du quai ci-dessus nommé …
Est-ainsi que les poissons rouges vivent ?
Et les vives alors, elles vivent comment ? !
A mes yeux, c’est l’élégance de la nageoire qui remporte la palme.
C’est beau comme un soleil qui arrêterait sa course pour être témoin de l’inauguration. .
Merci Jo !
bien sûr, tout est dans la nageoire ! et voilà que je m’aperçois que j’ai oublié le soleil !! il devait être témoin de l’inauguration 😦
Faste? Et on ne donne même pas la légion d’honneur aux poissons rouges?…
si : ils ont tous le ruban rouge (enfin, l’écaille) 🙂
On leur accroche entre deux écailles avec un hameçon . Aïe ! 😉
Bon jour,
J’adore … c’est une évidence et plus particulièrement les deux dernières phrases qui porte toute une symbolique entre qui est petit et qui est grand.
Merci pour ce moment de lecture d’une belle eau 🙂
Max-Louis
Merci Max-Louis ; les deux dernières phrases sont l’une empruntée à Vialatte (et un poil adaptée), l’autre à Desproges. Mais oui, ensembles, elles font contraste. Etonnant, non ? 🙂
Que de jolies trouvailles : l’académicien hippocampe et son épée à grammaire comme à tartines, le buffet peu commode posé sur la table, le tableau de Matisse!!
Merci beaucoup 😊
Merci ! L’académicien multitâches et son épée à grammaire reviendront sûrement !
Super!😊
Mon commentaire est passé à la trappe, ou dans les fourches caudines d’une nageoire caudale qui me l’aura balancé d’un coup de flip vengeur.
Total respect, cher dodo, l’âme de Desproges est en toi. 😉
¸¸.•*¨*• 🦋
ça doit plutôt être un coup-bas de l’académicien masqué 🙂
Si ça se trouve ! 🙂
🙂
Superbe !
Je te décerne les nageoires de l’académicien (euh…les palmes académiques, voulais-je dire ! 😉
Merci La Licorne ! je préférerais le bicorne, c’est plus élégant !