Terre à terre, l’escargot

Il est terre à terre, l’escargot.
Et qu’est-ce qu’il fait de son temps, posé à ras le sol ?
Est-ce qu’il regarde le paysage, les monts et les merveilles d’alentour, la course folle des astres et des gens ? Il admire le panorama ?
La vue, le friselis des herbes dans le vent, le vol des oiseaux, la courses des nuages, ou celle des souriceaux qui trottinent ?
Non.
Aussi, c’est qu’il est terriblement myope.

Alors, écoute-t-il la rumeur du monde ?
Les nouvelles qui bruissent, les cris, les chants ?
Les rires des gens, le grand barri de l’éléphant ?
Il n’y a guère plus de chance, l’escargot est farouchement sourd.
Et puis pour tout dire, course folle, rumeur, vol, bond, cri, rire, panorama, barri, nuage, tout ça ne l’intéresse pas.
Pas plus que la pluie, le vent, les bourrasques et les couchers de soleils, pas plus que toutes les fantaisies bariolées de notre vaste monde foutraque et bruyant.

Alors que fait-il ?
C’est bien simple, il est là.
Et pourquoi  non ?

De temps en temps, lentement, si lentement que ça ne se remarque presque pas, il fait quelque pas (toujours du même pied, mais si lentement, si dignement qu’on ne s’en aperçoit seulement pas). Il va, grignote une laitue ou ce qu’il trouve à son goût (goût d’escargot, gros appétit pour la salade ; seulement, il évite soigneusement l’ail, allez savoir pourquoi), fait ci, va là, en bref vaque à ses affaires ; affaire d’escargot, bien sûr.

Quand il a assez vagué, il s’arrête net (mais si lentement que ça ne se remarque pas) et fait retraite dans sa coquille ; là, son unique pied collé au sol, ce drôle de petit caillou cornu vibre au remuement de l’humus ; et plus profond encore.
Seulement attentif au grondement sourd des plaques granitiques et au craquement des basaltes, seulement occupé des laves qui crépitent, il compte et recompte le lent battement du cœur de la terre, roule, déroule et r’enroule à son gré les silences empesés de la roche, les lointains feulements des magmas souterrains et les longs ronrons des mondes enfouis.
Comment ?
Tout simplement comme on colle l’oreille à la bouche d’une conque pour entendre la mer.

D’autres fois, blotti entre les stries nervurées de sa caverne portative, il dort.
Dormant, il rêve, roulé dans les volutes du temps.
A travers les empreintes gravées dans ses spires patientes, il reprend inlassablement le vieux chant de la terre, mémoire et souvenirs du monde d’avant le temps.
Il n’était peut-être même pas là, mais s’en souvient, lui, empli des minuscules et patients échos du lent bruit fossile du commencement de l’univers.

Mais bien évidemment, il fait cela très lentement, alors ça ne se remarque pas.
Tout ce qu’on voit, c’est qu’il est terre à terre, l’escargot.

 

***

l’agenda ironique [re]passe mars chez Jobougon ; il y a fallait une maison, une retraite, des souvenirs. Pour lire les autres textes et voter pour l’un ou l’autre, c’est là.

Illustration : Déguisement Aristocrate, estampe, 1790, BnF, Gallica. Pour tout savoir sur le rayonnement fossile du cosmos ;  sur l’escargot, le vrai ; et aussi sur l’autre (vrai aussi), celui de Francis Ponge.

 

 

37 commentaires

  1. Joli texte, souvent l’escargot nous en fait baver !
    (il lui arrive même parfois de faire de la vidéo !)…

    Et merci d’avoir rappelé l’obstiné Francis Ponge.

    Cela m’a fait penser à un texte de Daniel Arasse, dans son précis d’acuité « On n’y voit rien », qu’il avait consacré à ce mollusque se baladant sur certains tableaux classiques – il faudrait chercher si Dali n’en a pas semé, lui aussi, quelques-uns laissant leurs traces parmi ses montres molles !

    La devise shakespearienne de l’escargot : « Laitue ou laitue pas, that is the question i » 🙂

  2. Une si petite bête pour un texte si grand ! C’est comme une respiration,, une méditation même ! Cher Paresseux, êtes-vous son cousin ? marchant sans bouger du clavier et pourtant pensant tout en déplaçant des montagnes ?

  3. Salut carnetsparesseux !!
    J’adore ton article. Bravo !! Tout comme la limace l’escargot doit se régaler avec les champignons. C’est pourquoi je conseille de laisser ci et là des planches se décomposer dans nos jardins potager afin que des champignons se forment. Pendant ce temps nos amis les gastéropodes laissent tranquille nos légumes comme par exemples les salades. J’explique cela dans cette publication https://spotjardinmonsite.com/2017/09/13/la-vie-secrete-des-limaces/

    • Merci Jean-Claude ; je suis heureux de découvrir qu’il existe une façon d’écarter l’escargot ou la limace sans les noyer dans la bière !
      Et un de ces jours, je me pencherais sur le point de vue de la salade…. il n’y a pas de raison qu’elle n’ait rien à dire !

      • Et oui si tu supprimes les limaces il y en aura toujours autant dans le jardin potager car elle se reproduisent à la vitesse grand V et en plus tu n’auras pas d’hérissons et de carabes qui sont de très gros mangeurs de limaces. Il faut assurer le couvert à ces petites bébêtes

  4. Mais oui, c’est bien sûr ! Impossible d’échapper à l’originalité du style et de l’art, du bon du grand, du qui sait conter, dire, écrire, avancer sans faillir, sans défaillir.
    Je n’aurai jamais assez de mots pour le dire, alors bravo !
    C’est une retraite en spirale aussi majestueuse que la voie lactée.
    L’œuf de l’escargot sera toujours et à jamais un plat de roi. Poché, frit, dur ou encore mollet, c’est un must. Silence, c’est une reproduction lente de l’écho du big-bang à l’aube du cosmos.
    merci carnetsparesseux, l’attente est gustative au possible.

  5. Un sage cet escargot dont nous avons perdu la philosophie originelle, si loin de la nature que nous sommes et toujours si pressés de courir…

    • Oui, mais « la sagesse de l’escargot est pour l’escargot, et la sagesse du volcan, pour le volcan ; rien ne leur servira d’échanger « (proverbe traditionnel que je viens d’inventer)

  6. Les « minuscules et patients échos du lent bruit fossile du commencement de l’univers » me parviennent avec nonchalance et douceur.

    L’éloge de la lenteur vous va si bien, Carnets.
    😉

    • Lent, moi ? Et même, si lent que ça se ne remarque pas !
      Sachant qu’il y avait une demande et une attente particulière, j’ai demandé à l’escargot de soigner la prise de son 🙂

  7. Et comme il a l’estomac dans les talons, il nous met en appétit.
    Chouette portrait mon cher dodo !
    Il n’y manque rien, pas même la petite touche métaphysique …😉
    J’adore
    ¸¸.•*¨*• ☆

  8. Bon jour,
    « …. emplit des minuscules et patients échos du lent bruit fossile du commencement de l’univers » … c’est aussi un éloge à la lenteur … celle qui fait peur aussi …
    En tous cas un texte dont j’ai été le passager de ce moment unique.
    Merci pour ce partage 🙂
    Max-Louis

    • Merci Max-Louis ; je ne savais pas vers quoi ce texte irait (normal, avec un escargot pour guide !), mais à un moment, le rôle de l’escargot est devenu évident – sans doute à cause de sa coquille en forme de cornet acoustique et de son pied ventouse collé au sol.
      j’en suis surpris moi même !

  9. Des pensées si élevées (ou profondes) chez un gastéropode?
    Heureusement que tu étais là pour les recueillir… Sinon, nous ne les aurions jamais soupçonnées. Merci!
    Bonne soirée
    Mo

    • des pensées ? des rêveries et des souvenirs, plutôt. Et c’est lui qui les a recueilli dans sa coquille-conque ; moi, je me suis juste permis de copier par dessus son épaule (?) 🙂
      merci Mo

  10. « A travers les empreintes gravées dans ses spires patientes, il reprend inlassablement le vieux chant de la terre, mémoire et souvenirs du monde d’avant le temps. »
    Ah, comme il fait bon d’être terre à terre dans ces moments-là 🙂
    Joli texte à la lenteur appréciée !

  11. Le symbole même de la douceur, de l’attention au monde avec ces yeux qui se déplacent pour aller voir.
    Merci de m’avoir mis sur la piste de ce joli texte.

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