Le renard vient en dernier

L’étoile partie, le corbeau se remet à sa chansonnette. Maintenant qu’il est perché sur la plus haute branche, il doit encore modifier les paroles (adieu l’étoile, adieu le rossignol) :

« Chante, beau corbeau chante, toi qui à le cœur gai
« Tu as le cœur à rire, moi,je l’ai à pleurer » .

Décidément,  ça ne va pas cette chanson : comment pourrait-il avoir, à une rime d’intervalle, le cœur gai et à pleurer ? En conscience, le corbeau s’introspecte un instant. Non, il n’a pas le cœur à pleurer : c’est les fêtes, zut alors ! Non, mais Noël, quoi ! Paix aux bêtes de bonne volonté. Pardonnés, les offenses, oubliés, les mauvais jours, se dit encore le corbeau. Et les mauvais tours ! A propos d’offense et de mauvais tour, où qu’il est le renard ? Toujours à fourrer son museau dans les affaires des autres et jamais là quand on le cherche ! Tout à l’heure encore, Chanteclerc ne s’est pas fait faute de faire remarquer qu’il n’est même pas venu au repas de Noël des animaux de la forêt. Tout un chacun en a fait des gorges chaudes, mais personne n’avait l’air de le regretter. Depuis le temps qu’il entourloupe le monde, même ce benêt d’Ysengrin n’en veut plus comme voisin de table. Mais, bien ou mal reçu, c’est la première fois qu’il manque un repas. A-t’il vraiment reçu l’invitation ? La lui a-t-on seulement envoyé ?

« Allons, ce n’est pas un si mauvais bougre, et si la Noël n’est pas le moment de se rapapilloter ça sera jamais le bon temps ! soliloque encore l’oiseau noir.
« Ce qu’il va être épaté quand il va voir ce que je lui ai ramené. Pas le premier cadeau venu volé à l’étal d’une échoppe ou bricolé à la va-vite sur l’établi d’un banal atelier d’artisan.
« Non.
« Du sur-mesure.
« Tout un fromage.
« Dans un paquet doré – comme l’étoile, tiens.
« Rien que pour lui.
« Bien sûr, je le laisserai me raconter ses bobards pour qu’il ait le plaisir de croire qu’il me vole ce que je lui offre. C’est que je le connais, le goupil. Le déposer devant lui tout de go, ça froisserait sa fierté. Mais moi, je saurai bien que je le lui donne de bon cœur. »
Quoi dit, tout revigoré malgré le froid qui mord à travers les plumes, loiseau se remet à siffloter :
« Il y a longtemps que je t’aime jamais je ne t’oublierai ».

Perdu dans sa chansonnette, le corbeau ne voit pas le renard qui se glisse en tapinois jusqu’au pied du sapin et fourrage parmi les cadeaux, estimant et soupesant les présents. Et puis soudain, vlouf, plus de renard : la gueule serrée sur un joli paquet brillant fermé d’un beau ruban, il file à travers neige vers le poulailler le plus proche conter fleurette à la naïve volaille qui lui tiendra compagnie au réveillon.

 

* * *

 

Conte écrit pour l’atelier sous les feuilles (il y fallait les mots rapapilloter, fil, et atelier). Le début est là. Illustration : La neige, Education nouvelle populaire n°10, page 17.

16 commentaires

    • le tapinois, je m’en sers souvent 🙂 le rapapillotage, je ne connaissais pas, c’est un des mots imposés par L’atelier-sous-les-feuilles. Parait qu’il s’emploie aux Amériques… Bien possible que je l’adopte, il est joli !

  1. « si la Noël n’est pas le moment de se rapapilloter ça sera jamais le bon temps ! »
    Je l’aime ce grand oiseau noir…
    ¸¸.•*¨*• ☆

  2. Prenez une fable de la fontaine, ajoutez une comptine pour enfant, parsemez le tout de l’esprit de Noël et vous obtenez ce merveilleux conte ! Quelle belle participation !

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