Nom d’une pipe en boite, il ne faut plus prendre les parapluies pour des sirènes !

 

Le renard n’est pas au jeu. Il rêve encore : dans un aquarium transparent, on saurait si une sirène est à la fois présente et absente. Cela vaudrait aussi bien pour lui, Renard, présent sur scène et absent de son rôle ; mais il n’y pense seulement pas.

Le corbeau, lui, grisé de tous ces regards qui le lorgnent depuis le parterre et les balcons, ne se sent plus de joie et esquisse un pas de tango. Les contrebasses de l’orchestre se risquent à l’accompagner d’une habanera tandis que les premiers rangs trépignent. A mi-voix, le souffleur avertit que la saynète est médiocre, et propre, si le corbeau s’obstine et cabotine, à lasser le public. La remarque sort le renard de sa rêverie ; il glapit : « Bottine à lacet ?! »

A ces mots, le corbeau ouvre un large bec et laisse tomber le parapluie qu’il tenait caché sous sa rémige. Vive émotion, comme on pourra le lire dans les comptes-rendus de la presse du lendemain. Désarçonné, le corbeau bredouille désormais une histoire de chômage et de roi-mage ; quoi faisant, il se penche exagérément et le lampadaire, emporté par la pesanteur, choit : le piaf s’envole et le renard se vautre (à peu qu’il se casse la bobinette) !

Brouhaha dans le public.

Croyant leur tableau venu, les trois petits cochons envahissent la scène pour planter leur décor. Alors, le souffleur bondit hors de son trou – c’est le loup, vous vous en doutiez ! Il souffle à perdre haleine. Le décor – paille, brindille, fausse brique – brinquebale et s’envole. Les trois petits cochons s’enfuient. Seul en scène, le loup ahane. Il sort un mouchoir (de quelle poche ? et pourtant on le croit, miracle du théâtre !) et essuie ses yeux rouges puis se mouche bruyamment. Croyant ouïr la trompe finale les machinistes tapis sous les décors font du zèle. Le rideau se referme.

Le public apprécie diversement, hue à rouge trogne, applaudit à paume rouge, crie à rouge gorge, chouine à zyeux rougis (merci les fétus de paille, la sciure de poutre et la poussière de brique !). L’avis général est que cette saynète finit en queue de poisson. Après quoi les nobles dames et les beaux messieurs échangent des saluts polis jusqu’en bas du grand escalier de marbre à double révolution, et chacun rentre chez soi. Monsieur Schrödinger fait de même, une fois refermé son petit carnet.

 

* * *

 

L’agenda de décembre 2017, proposé par Anne de Louvain-la-Neuve et les Narines des crayons devait s’amuser avec le monde proposé par l’image cid’ssus, reprendre la phrase : «Nom d’une pipe en boite, il ne faut plus prendre les parapluies pour des sirènes!» (d’où le titre) et, cerise sur la maréchaussée, que le tout prenne une forme de lettre [là, raté !]…

pour lire les treize autres textes, c’est par ici.

36 commentaires

  1. Conquise ! Décidément, je raffole de ces mots pour d’autres, de ces situations invraisemblables, de ces non-sens qui en créent un au fil du hasard semble-t-il. C’est un travail pointu, je le sais, c’est pas donné au premier péquin venu, d’être farfelu… Bravo Carnets !

    • Merci ! de fait, c’est en effet complétement hasardeux : les situations se mettent en place à partir les images sorties du collage d’Anne-de-Louvain-la-Neuve… c’est entre le tricot et la basse-voltige !
      🙂

  2. Bon jour,
    Tout cela est aussi improbable que la construction d’un radeau pour atteindre la Lune mais qu’il est beau de rêver de l’impossible et en ce texte ainsi pondu le tableau surréaliste est à son apogée. Bravo 🙂
    Max-Louis

  3. L’histoire ne s’arrête pas là tout d’même !!! ???
    Ceci n’est pas une pièce mais sa représentation ?
    Nom d’un public en boite, il ne faut pas prendre le parapluie pour un fromage, ni casser sa pipe en tombant d’un lampadaire, ni prendre une sirène pour un poisson rouge, ni le souffleur pour une tempête quasi-pyromaniaque, (tiens donc, ça me rappelle quelqu’un mais qui ?), etc, etc, et coetera…
    Tu ne vas pas disparaître non plus ?
    Anne de Louvain-la-neuve, et puis, et puis, si tout le monde rentre chez lui, il reste qui ?
    Le chat de Schrödinger ? Où est-il, ou bien encore, où n’est-il pas ?
    La pièce est d’un complexe… Ahurissant.
    J’adore et je me marc, de café.
    Fort, très fort. Tout autant que renversant.
    Merci pour le spectacle, Carnets. Cette façon de construire du saugrenu avec du baroque, c’est carrément magistral.

    • Merci Jobougon ; construire du saugrenu avec du baroque, est-ce que ça résiste mieux au souffle du loup que la paille, la brique et la poutre ? A propos des trois petits cochons, précisons qu’ils sont arrivés là parce qu’une première version finissait sur le mot « FIN », soit un demi Nif-Nif épelé à rebrousse-poil. Et puis cette fin là est tombée mais les joyeux (et médiocres) batisseurs sont restés [avant de s’enfuir].

  4. Comediante, tragediante soupirait en expirant un grand homme, dont sans doute le col de veste revêtait du renard … Tjs une « citation parapluie » pour sortir couvert des sirènes-de-la-renommée, de vie comme de scène …

    Rideau donc sur la digue dondaine.

    J’applaudis ceci dit, nom d’une pipe !

        • Généralement le loup est sur scène – sinon où est l’aiguillon du jeu 😉 – un peu comme un fromage sans renard sinon !!

          Quand au souffleur vieille tradition assez … poussiéreuse du « mauvais théâtre ». Jamais eu de trou de texte en 30 ans de théâtre (on apprend pas vite mais on retient longtemps:) )

        • subtil, moi ? bon, ce que je veux dire c’est qu’avec les contes le lecteur fait la moitié du travail, voire plus. Le simple mot « bobinette » amène avec lui des couleurs et des émotions que « serrure » ou « clenche » peineront toujours à évoquer 🙂

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