Il y a des jours où Noël arrive en avance : j’ai reçu cette semaine l’enregistrement d’un texte écrit il y a deux ans (deux ans ? deux ans !). Il était question de bocal, de voyage et d’un poisson rouge, Bubulle. Ci-dessous, l’enregistrement, réalisé par Mike* avec de l’eau, du verre et de l’air :
Cela s’écoute bien mieux les yeux fermés, mais pour ceux qui voudraient aussi lire, voilà le texte d’origine :
Bubulle,
Quand tu trouveras cette carte postale, je serai parti.
Je sais ce que tu vas penser : « une carte postale pour annoncer un départ ? » ; tu sais bien que je ne suis pas doué pour les discussions houleuses. Et puis aurais-tu préféré que j’appose des affiches ?
Je t’ai souvent parlé de mes rêves de voyage, même si tu ne t’en rappelles évidemment pas – comme à l’accoutumée. Alors, oui, j’ai pris cette décision seul ; fallait-il organiser un référendum ?
Je pars. Un vrai voyage, pas une promenade au parc à thème : faire un tour entre le récif en fausse pierre et l’épave en plastique ne me suffit plus.
Je ne peux pas croire que le monde se résume à ça.
Je pars donc. Chaque coup de nageoire me promet des surprises nouvelles. Je veux m’approcher des limites du monde connu, toucher aux confins et voir de plus près ces visions fugitives qui défilent devant nos yeux myopes, comme filtrées par le verre déformant d’un grand bocal qui les enfermerait toutes. Ce foulard posé sur un dossier de chaise, bientôt remplacé par un livre au titre terrifiant – Exploitation raisonnée de la pisciculture domestique – si long qu’à peine déchiffré, il est heureusement chassé par la vue paisible de tongs qui se prélassent sur le tapis… ; et enfin ces grandes ombres pales et floues qui se penchent vers nous avant chaque pluie de daphnies séchées – est-ce que ces choses entraperçues et aussitôt disparues existent vraiment ?
Est-ce notre seule volonté qui crée le monde ? Si c’est le cas, que deviennent ces visions quand nous regardons ailleurs ? Ces fantasmagories sont-elles plus que l’écume de nos rêves ? Et si ce sont des fantômes, dans quel au-delà disparaissent-ils tous quand nous ne les voyons plus ?
Voilà ce que je veux découvrir.
Peut-être reviendrais-je, surtout si, comme on le dit, notre bocal est rond comme une bulle. Mais je ne te promets pas de rapporter des souvenirs. Comment ferais-je, d’ailleurs, alors que chaque seconde qui passe – chaque battement de nageoire – purge notre pauvre mémoire de poisson rouge de la moindre bribe de souvenir ?
signé : Bubulle
ps : quand tu trouveras cette carte postale, tu comprendras qu’en fait, elle m’est destinée : je l’écris pour qu’à mon retour de voyage, elle me rappelle pourquoi je suis parti.
B.
* * *
*Il n’en est pas à son coup d’essai. Pour ceux qui s’en souviennent, il était à l’origine de l’enregistrement, l’an dernier, de l’Affaire Novembre (encore merci !). Illustration : Henri Matisse, Intérieur, bocal de poisson rouge, 1914 (détail). Paris, centre Pompidou. Photo Sharon Mollerus (CC by 2.0)
Glou, gloups ! Oh, oui, ça fait voir la réalité du bocal autrement ! Superbe allégorie un peu tristounette que j’en avais les larmes aux yeux… Salut Bubulle et reviens-nous quand même…
Attention, il ne faut pas pleurer dans un bocal ! Et pas de panique, Bubulle,tel la balle de jokari, revient toujours !
Très beau voyage, merci 💙
Un petit voyage en rond… merci !
Ah ben voila, je raconte pas que des ornithâneries pour les mises en voix 😉 – ça marche d’ailleurs !
Voila qui nous pousse à la paresse – confort de l’écoute qui permet de regarder ailleurs 😉
tu te doutes que je n’ai rien contre la paresse 🙂
et non, tu ne racontes pas d’ornithâneries… quand tu auras un moment pour des mises en voix, je serais ravi de paresser en les écoutant !
C’est un peu plus calme maintenant, je peux y (re)songer – à suivre !
Pauvre Bubulle parti à la découverte de notre monde…
Bubulle est bien parti pour devoir découvrir son propre monde (et plusieurs fois, j’en ai peur)
Reviens Bubulle ! ne nous prive pas de ta voix chaleureuse ! On va quelquefois chercher ailleurs ce que l’on a chez soi………..
Revenir, mais ou ? Boup ! bloup ! tiens, un bocal ?
le bocal me paraît essentiel pour une raison de survie….. mais il peut être convivial : on lui installe de la déco, la stéréo, et pourquoi pas… une copine 😉
c’est gentil, mais ils vont passer leur temps à se rencontrer pour la première fois
-Oh, bonjour,vous ?
-On se connait ?
– bloup…
-Oh, bonjour, vous !
-On se connait ?
ils finiront bien par trouver la petite grotte au fond à droite 😉 le bocal n’a pas besoin d’être rond 😉
Un conte philosophique doux amer très touchant, j’ai aimé la lecture et l’écoute avec son fond sonore génial. Merci pour ce beau billet, Carnets et Mike.
Merci Almanito ; j’adore la version toute simple de Mike ; je vais lui demander la version instrumentale, tiens 🙂
La lecture à haute voix fait entrer les textes dans la troisième dimension.
Et l’émotion est encore plus forte…
¸¸.•*¨*• ☆
Merci Célestine ; la lecture à haute voix … et l’accompagnement musical, tout simple d’apparence mais qu’il fallait imaginer et jouer !
Texte sublimé ! Quel magnifique cadeau… C’est magique, bravo, tes mots le méritent.
Merci ; j’ai de la chance, hein ?
Absolument, tu es verni mon ami, mais c’est parce que tu le vaux cher Dodo ! 😉
Joliment tendre Mr Carnets ;o)
Bubulle est un poisson d’eau douce…
;o)
Cette histoire est émouvante Je vais essayer de la traduire en gardant les mêmes émotions que j’ai essayées en les lisant.
Merci Marcello, je suis touché de cette proposition!
Et bienvenue dans les Carnets paresseux (comment dit-on paresseux en italien ?)
Merci à vous. Et bienvenue parmi mes amis. En italien paresseux on dit ozioso.
Je suis heureux de vous informer que j’ai publié la traduction de votre très belle lettre. Voici le lien :
https://marcellocomitini.wordpress.com/2017/12/12/lultima-cartolina-postale-sonora/
Bon jour,
La musique très douce et la voix agréable, j’entends un texte de voyage à chaque … seconde. Bravo à vous 🙂
Max-Louis
Merci Max-Louis
Cela me fait un peu peur. Et si c’était un peu nous qui croyons ne pas vivre dans un bocal?
C’est vrai, au fond, s’il y a bocal, qui est de quel côté du verre ?
je crois qu’il y a quelques nouvelles de SF qui explorent cette piste un peu angoissante…
Depuis deux ans qu’il est parti, Le Bubulle, il va bientôt pouvoir nous raconter son voyage.
C’est pour quand son retour, Carnets, toi qui le connais bien ?
Si les voyages forment la jeunesse, est-il possible qu’il ait reculé dans le temps ?
C’est un sacré bocal, que celui de Bubulle, un sacré bocal qui me fait sacrément m’interroger.
Merci pour cette carte postale d’un autre monde.
Parti depuis deux ans ? Mais il repart à zéro à chaque seconde (son bocal doit être plein de cartes postales, d’ailleurs…)
le côté positif, c’est qu’ il revient à chaque seconde itou.
[…] https://carnetsparesseux.wordpress.com/2017/12/10/la-derniere-carte-postale/ […]
Ah. Chapeau bas. Ça marche, n’est-ce pas.
Devant du rythme et des mots qui sonnent, on comprend que l’un ait pu avoir envie d’une lecture à voix haute.
Un bubulle qui jette l’encre bleue dans son bocal sur un fond musical de boite à bijoux !
Un doux moment bien agréable à écouter ! Bravo à tous les deux.
Je réécoute cette « vieille » carte postale… et j’aime toujours autant et les mots et le son de la voix et la musique. Merci encore pour cette bouffée de poésie.
Merci Marianne
pour moi, Bubulle est indépassable… dans son bocal !
Il y a plein de nouvelles histoires qui pourraient te plaire, mais pas beaucoup de son… (appel du pied 🙂 )