Train de nuit

Quand on dinait au wagon-restaurant où tanguaient les menus,
– tiré d’un tiède et faux sommeil
par la cloche du service de nuit,
on s’était levé titubant,
hébété par les trépidations régulières
du convoi lancé à pleine vitesse
[suite inéluctable d’invariables triolets trébuchant à peine aux rares aiguillages] –
on ne s’arrachait pas
sans peine
aux heures fantomatiques confinées dans la boite close du compartiment,
toute conscience abdiquée,
abandonné en confiance au savoir-faire breveté des cheminots de l’Etat,
assis dans cette molle somnolence propice au rêve et à l’ennui,
proie de ces demi-songes idiots
(où l’on est tour à tour
et simultanément
singe roux euphorique, minuscule et hideux, ou philosophe allemand,
fille du Rhin et stagnant marécage),
de ces rêves ferroviaires
qui collent aux paupières au delà du réveil
à travers le cliquetis des fourchettes
et le brouhaha feutré des conversations du voisinage,
et, comme un écho du rythme ternaire du train,
s’imposent encore
Kant, ondine et eau vague, on reste orang-outan, gai, laid, menu.

 

* * *

Petit conte holorime sur le modèle d’Alphonse Allais (mais pas que lui). Illustration : l’ex-président du Venezuela Cypriano Castro à bord d’un train, le 23 avril 1909. Agence Rol, BnF Gallica.

 

31 commentaires

  1. Une découverte pour moi, j’admire ton habileté souriante, c’est sans doute beaucoup plus compliqué à réaliser qu’on ne l’ imagine:)

    • Oh, c’est un vrai casse-tête à tricoter, surtout quand comme moi on découvre qu’on n’écrit pas orang-outang comme je croyais, et qu’il faut trouver une autre façon d’amorcer le « tangue » ou changer toute la fin de la phrase…
      du coup le sourire est obligatoire, sous peine d’énervement idiot !!
      🙂

  2. Littérature compartimentée, c’est bien quand on ferme les rideaux et alors on se laisse bercer par le rythme du train de nuit (celui de Paris à Nice va être supprimé, l’oiseau de malheur pépie)… 🙂

    • Ne restera bientôt que la littérature pour voyager et rêver ; après le repos du dimanche (qu’on dit dominical, tiens tiens 🙂 ) et les trains de nuit, c’est sans doute la nuit elle même qui sera supprimée… pas assez productive et décidément trop sombre !

  3. T’as pris un rail (et même deux), là …

    Un penchant rythmique pour les voyages. Et après les bus-nonnes, les trains-à-présid’orang-oukant.

  4. On tangue en triolets à la lecture de ton poème comme tanguent nos rêveries aux soubresauts du train. Bravo pour l’habileté, merci pour la rêverie (dit celle qui se réjouit en secret quand un long voyage solitaire en train lui est promis: quoi de plus propice au bonheur intime et vagabond?)

  5. Bon jour,
    Un texte qui des rails, va en bonne ligne, ne s’égare pas, et ballast bien, bref c’est fort. 🙂
    Max-Louis

  6. J’ai mis un temps fou à trouver l’holorime… (1er et dernier vers, ouf!). J’imaginais au début que tout le texte devait être en holorimes et je n’y comprenais donc rien…
    Pas futée, la Mo… 😦

  7. cette fois encore
    il s’en faut de bien peu
    que je m’essaie au jeu
    mais j’y mettrais des jours
    du lit jusqu’à la cour…
    j’avoue, quand je te lis
    ça m’titille en maudit *…
    le fait est que
    j’en voudrais huit de vies
    (au moins, et parallèles)
    et fussent-elles toutes vies d’artisans
    et de passeurs de mots
    j’en voudrais une où je tisserais
    des étoffes saskatchewanaises
    qui n’en seraient pas, mais bon.. euh.
    ..merci, dodo, pour la folie
    la passion contagieuse..
    et ton sourire en coin.
    *en maudit = beaucoup

Répondre à Écri'Turbulente Annuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.