« A la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine », disait le père d’une voix courroucée.
« A la pêche à la baleine ? demande une grande voix sortant des flots. C’est celle d’une longue baleine blanche filant à fleur d’eau. Vraiment, ça vous dit tant que ça de toujours courir après moi dans votre barque en coque de noix ? N’en avez pas assez d’encore peigner les vagues avec vos rames en bois d’allumette ? Vous vous trouvez si à votre aise, collé entre la mer et la nuit comme une mouche sur un carreau ? Vous n’avez rien de mieux à faire ? Z’avez envie pour de bon – dites pas non avec la tête – de tourner tout autour du monde jusqu’à aller faire naufrage au large de l’ile de Pâques ? Là, vous seriez chocolat !
« A la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine », a répété le père.
– A la pêche à la baleine ?
Voilà une autre baleine, aussi bleue que l’eau est verte : « Croyez-moi, ça ne vous dirait rien de faire un tour au fond des flots, alors qu’il suffirait de deux petites vagues pour vous noyer dans cette vaste soupe plus salée que les larmes des harengs saur qui pleurent sur leur triste triste triste sort – et il y a de quoi, demandez donc à m’sieu Cros, Charles de son prénom. Racontez-nous plutôt la terre et la pierre – C’est vrai que c’est ferme et doux, pas mouvant comme la houle molle ? Dites-nous les herbes et les feuilles, et comment c’est de grimper aux branches des arbres pour jouer à débusquer des nids de pie. »
« A la pêche à la baleine » a radoté le papa.
– A la pêche à la baleine ? »
Elles sont trois maintenant, la blanche, la bleue et une naine qui jouent autour du canot. « Je suis comme je suis, dit la derrière émergée, et je suis curieuse d’apprendre à jouer au tric-trac – comme enjeu ? des choux à la crème -, de boire et de jouer au cerceau. Et que diriez-vous d’un pique-nique ? Vous laisseriez pour l’occasion votre ciré vos bottes votre casquette à visière. Je suis certaine qu’en huit-reflets, nœud pap’ et frac vous auriez plus fière allure. Il y aurait du vin de Bohème, et je dirais quelques-uns de ces longs longs longs poèmes de baleine qu’on débagoulent tout à trac sur le dos des sept océans. Parole, ça ferait une jolie soirée, non ? »
Pour le coup il se tait, le papa.
– Non ? alors, sans façon », disent ensemble les trois baleines, souriant de tous leurs fanons. Puis, filant vers leur avril, elles ont roulé d’un coup sous la vague et disparu sous le grand pré vert de la mer, où, à leur place, paissent désormais trois moutonnants moutons qui bêlent après l’étoile du Berger.
* * *
Bien sûr, les trois baleines n’ont pas pu s’empêcher de jouer à glisser des mots-à-m’sieu-Prévert ici ou là, rapport à certain centiversaire. Si l’envie vous en prend, vous vous ferez un plaisir de les débusquer.
illustration : Prosper-Alphonse Isaac, Dauphin, BnF/Gallica
Des baleines et des choux à la crème ! Avec plaisir ! 🙂
Merci ! n’oublions pas le vin de Bohème, souverain avec les choux à la crème 🙂
Bienvenue aux baleines d’avril!!!
Avril revient, il était temps qu’elles viennent 🙂
Joli, très joli, fort joli, éminemment joli.
Merci, très merci, fort merci, éminemment merci.
Trois princesses des mers tes baleines !
Elle sont absolument charmantes.
Merci beaucoup pour ce joli texte encore une fois plein de ta poésie (« (…) elles ont roulé d’un coup sous la vague et disparu sous le grand pré vert de la mer… » Rhoooo… ;-D… et en plus c’est une superbe image !)
A chaque mois d’avril, elles reviennent faire un tour par ici… vivement l’an prochain 🙂
Quel talent!! C’est magnifique!
Hum… « tout flatteur vit au dépens de celui qui l’écoute… »
tu veux une portion de fromage, sans doute ?
:))
(merci !)
J’aime votre ton léger, la vivacité de votre esprit et la virtuosité de votre écriture. Charmantes baleines!
Merci, et bienvenue sans les carnets !
Cela m’enchante. Merci 🙂
merci Joséphine.
Encore trois baleines et on avait le parapluie entier…
Mais quel bonheur cette fantaisie poétique et baleinière. Ou s’entrechoquent dans mon coeur les lectures de mon enfance, l’histoire de Jonas, et puis Moby Dick, et « three men in a boat » de Jerome K Jerome, tellement fin et drôle.
Et puis Prevert, bien sûr par petites touches, son poème de la pêche à la baleine me faisait pleurer quand j’étais petite…
Merci pour ce beau texte, Dodo adoré
¸¸.•*¨*• ☆
Merci Célestine ; la phrase d’incise de Prévert est un joli démarreur.
j’aime bien aussi « trois hommes dans un bateaux », mais là, c’est l’inverse : trois baleines hors du bateau 🙂
pour ton parapluie, tu trouveras trois autres baleine ici https://carnetsparesseux.wordpress.com/2016/04/13/baleines-d-avril/
et plein de parapluies là :
https://carnetsparesseux.wordpress.com/2016/05/24/parapluies/
Comment sais tu que j’adore les parapluies ? 😉
¸¸.•*¨*• ☆
je ne le savais pas. 🙂
C’était une boutade…et une coïncidence…
Je suis comme je suis, je suis faite comme ça. Juliette Gréco le chantait justement hier et très bellement.
🙂
Dis-moi sont-ce les baleines qui faisaient un petit tour dans le bassin ? C’est donc que le père les a attrappées. S’il te plait, fais-les retrouver leurs eaux…
Ce sont bien elles ! Mais pas d’inquiétude, elles alternent à leur guise de longues balades dans les sept mers et des petits ronds dans l’eau de la fontaine.
Et personne ne les pêchera, promis ; elles sont trop malines.
aaahhhhh, que c’est beau, que c’est beau… ces baleines, ces hommes… bref, cette humanité… merci dodo, merci, mon coeur s’en berce… de tant de tendresse…
(et ‘tite coquille où j’ai buté… d’apprendre jouer au tric-trac…)
Et parlant Prévert, j’ai offert samedi à une fillette de sept ans vingt de ses poèmes d’amour rassemblés sous le titre « Embrasse-moi »… un beau livre illustré. Une belle entrée en poésie.
Merci Caroline !
tric-trac corrigé (à force de changer et de rechanger l’ordre des phrases, il y a des mots qui se perdent dans les vagues
🙂
… avalés par les baleines?
C’est bien possible : avec ses fanons, une baleine ne peut pas avaler de grand mots, mais une petite voyelle ici ou là….
En avril ne te decouvres pas d’un fil mais garde tes bas d’laine.
Et tu roules ta bosse de vague en vague.
Cest un flot continu et gouleyant de bons mots.
Viva El Dodo ; =))
Merci Domiuke
Cet entêtement du père me fait un peu penser au « K », malgré moi car ton récit tout auréolé de Prévert est si joliment poétique. J’espère qu’un recueil consacré à la saga des mois est prévu;)
Je n’avais pas pensé au K (mais oui, cette histoire de grosse bête mystérieuse qui suit un marin, j’aurais du faire le lien) ; j’aime bien Buzzati, mais pour le coup c’est Prévert qui insiste sur l’entêtement du père un peu buté, que j’ai gardé en refrain.
Elles n’ont pas pris une ride depuis l’an dernier, toujours aussi fraîches et gracieuses.
Et pour la direction, on dirait que le vent les envoie plutôt vers le Sud-Est. Direction des cloches de Pâques, au Vatican ? Pour revenir les nageoires chargées d’œufs en chocolat lundi prochain ?
Ah ce Prévert, il a même eu le don de les escamoter sous nos yeux ébahis pour ne laisser que quelques moutons d’écume. Il a toujours un tour dans ses poches celui-là.
Vous avez du vous amuser comme des baleines à écrire ensemble ce fameux texte que voici.
Par curiosité, je suis allée voir ce qu’est le trictrac. Boudiou ! Que de complexité, et de vocabulaire ! 🙂
Mais ce vin de bohème…, ce haut-de-forme…, ces sept océans…, ça fait drôlement voyager dis-donc !
Merci Jobougon ; je ne suis pas sûr qu’elles aillent à Rome, même pour rapporter du chocolat : il y a un peu trop de monde devant la fontaine de Trévi…faut pas croire, elles sont timides et discrètes, les trois baleines…
génial et léger malgré le poids des vedettes !
Je leur aurai bien fait dire « C’est assez dit la baleine, je me cache à l’eau car j’ai le dos fin » 😀
mais bizarrement, au pluriel, ça buggue 😀
C’est tassé, sept ascètes ! On en reste sur nos trois baleines 🙂
Quel bel hommage à Prévert et tout à fait dans son style : humour, fantaisie et poésie ! J’aime beaucoup !
Remarque : Je comprends que les baleines préfèrent renvoyer les hommes à la chasse aux nids de pie mais ce n’est pas très sympa tout de même ! C’est ça, la solidarité animale?
Merci ! Précision : les baleines ne veulent pas envoyer les hommes enquiquiner les pies : elle voudraient monter elles-même leur dire un coucou amical !
C’est ça, la solidarité animale 🙂
J’en ai connu un qui avait quatre dromadaires. Mais ces trois baleines, quel beau jet! Et Almanito cite joliment Buzzati. Bravo et Achabradabra puisuqe Melville est en guest star des commentaires. Mon cher Paresseux, heureusement que tu l’es, paresseux car que serait-ce. 😀
Ha, ce bon vieux Don Pedro d’Alfaroubeira coureur de monde ! lui n’était pas paresseux (personne n’est parfait 🙂 )
Déjà un an que les baleine ont quitté leur bassin ? J’en reste coite ! Elle sont toujours aussi vives que dans mon souvenir et tu leur fais prendre de la hauteur et de la profondeur en les menant en haute mer ! (Du côté de l’ile de Pâques, c’est chocolat, mouhaha, t’as osé !!! Manque plus que le noeud jaune !!! 😆 )… Les clins d’oeil à Prévert sont subtils, comme toi cher Dodo qui ne paresse (donc) jamais ! 😆
Ah, enfin quelqu’un qui remarque l’ile de pâques en chocolat ! Les libres baleines se faufilent librement entre leurs océans et le bassin de la fontaine… le certain ? elles reviendront l’an prochain, peut-être dans les nuages ou plus haut encore 🙂
Elles sont charmantes, ces baleines ! Pour ma part, j’ai pensé à Jules Verne, qui voulait, dit-on, pêcher les baleines sur les cotes des jeunes filles.
Oh ! ce m’sieu Jules Verne qui paraissait si correct ! 🙂
Il ne voulait surtout pas se marier, ou alors, le plus tard possible.
Baleines d’avril sont plus mignonnes que poissons d’avril.
Ton style est de plus en plus poétique, délicat et nuancé… Je cherche à pêcher les bons adjectifs mais c’est plus difficile que le pêche à la baleine…
Avril nous impose des baleines d’ombrelles plutôt que de parapluies, Les Carnets !
Un conte pour enfants que les grands ont lu avec grand plaisir.
Pas facile d’écrire aussi légèrement avec un sujet qui pèse des tonnes !!
Bon weekend pascal et gros bisous
Et si c’étaient les trois baleines de l’Alaska sauvées par Greenpeace ?