« Vous croyez que c’était, dans la boite, la voix de l’agneau ? demande le renard.
– Et si c’était celle d’un éléphant ? interroge le loup.
– Difficile à dire, tant qu’on en a pas entendu un, répond le renard.
– Mais si c’est une voix d’éléphant… Le loup perdu dans ses pensées laisse sa phrase en suspens.
– …Si c’est une voix d’éléphant, échoïse le renard pour l’encourager.
– Hé bien ça veut dire qu’on a entendu un éléphant. Là, le loup s’arrête. Il n’a pas l’habitude d’autant réfléchir.
– Tu as raison, loup. Et donc…
– Et donc, si on a entendu un éléphant, on devrait savoir reconnaître sa voix.
– Je ne te savais pas si malin, dit le renard impressionné. Devant l’air courroucé du loup, il ajoute vite :
– Ne te vexe pas, je voulais dire que tu es drôlement fortiche ! Le loup, rasséréné, reprend le fil de son raisonnement :
– Et comme aucun d’entre nous ne l’a reconnu, c’est autre chose qu’un éléphant.
– Un boa, peut-être. Ou peut-être un baobab, propose le renard.
– Oh, ça serait vraiment bien si c’était la voix d’un baobab. »
Que font le petit prince et le corbeau pendant ce long échange ? Sur son arbre perché le corbeau se questionne :
« Est-ce que ça peut parler, un fromage ? Parce qu’une pleine boite de fromage, ça améliorerait le quotidien, et pas qu’un peu. » Mais, instruit par l’expérience, il évite d’ouvrir son large bec et reste coi.
Quant au petit prince, il est perplexe : est-ce que c’est l’aviateur qui a enfin réussi à parler dans sa boite ? Et que de boite en boite, on entendrait jusqu’ici ? Il n’a pas reconnu sa voix, mais la boite déforme sans doute le son… Ou alors, si c’était la boite elle-même qui parlait ? Après tout, quoi de plus naturel qu’une boite fermée demande à être ouverte ?
A ce moment, la voix retentit de nouveau :
« Mais ouvrez donc ! Puisque je vous dis que je vais être en retard ! Ou alors poussez-vous ! »
Tous sursautent : ça alors, la voix vient de derrière eux ! Ils se retournent d’un bloc pour voir deux yeux roses qui percent la nuit noire. Et voilà qu’un lapin blanc surgit des buissons, se glisse entre le renard et le petit prince et bondit sur la caisse. Il farfouille un instant dans la poche gousset de son gilet – car il a un gilet avec une poche gousset -, en tire une petite clef dorée et bougonne :
– Poussez-vous, que j’ouvre moi-même, puisqu’il faut tout faire !
Et en un tour-de-clef, voilà la caisse entr’ouverte : aussitôt, le lapin disparait dedans en gémissant :
– En retard, je vais être en retard ! que va dire…. » Le reste de sa plainte s’évanouit dans les profondeurs de la boite.
Preste, le renard se penche pour voir où est passé le lapin et glisse son museau sous le bord du couvercle. Le loup l’interroge :
« Tu me diras si tu vois un éléphant ? Et surtout, ne le laisse pas filer !
Le renard réplique d’une voix caverneuse :
– Il fait si noir dans cette boite qu’on pourrait se demander si le lapin existe ou s’il n’existe pas.
Le petit prince, bon prince, sort de sa poche le petit bout de fromage :
– Tiens, renard, je te le confie pour éclairer l’intérieur de la boite. Comme ça tu verras clairement ce qu’il y a dedans – ou pas – et tu nous diras. »
Alors, il se passe plusieurs choses – en fait, c’est une façon de parler, car il se passe toujours plusieurs choses à la fois : par exemple, tout à l’heure, pendant que loup et renard dialoguaient, la brise soufflait et l’herbe poussait, mais je ne l’ai pas dit. Et puis quand le lapin blanc est apparu, l’estomac du loup a grondé sourdement tandis qu’une feuille bougeait au vent, et je n’ai rien dit non plus de ces choses-là, ni de bien d’autres encore. C’est par pure facilité, parce qu’elles n’avaient rien a voir avec l’histoire, que j’ai évité d’en parler. Mais là, les choses qui se passent ont toutes à voir avec l’histoire. En effet, dans le même instant, le renard scrute l’intérieur de la boite à la lueur du bout de fromage prêté par le petit prince, le loup se penche pour empêcher que l’éléphant ou le baobab – s’il y en a – ne s’échappent de la boite, et le corbeau plonge du haut de sa branche pour récupérer enfin son rogaton de chester !
En conséquence, il se passe de nouveau plusieurs choses qui ont toutes à voir ensembles : le bout de fromage tombe dans la caisse, le corbeau pique à sa suite, le renard tombe à son tour en essayant de l’attraper, et le loup, bousculé par le corbeau, bascule sous le couvercle qui se rabat d’un coup sec. Une plume noire et deux touffes de poils roux et gris virevoltent un instant au-dessus de la caisse.
Et puis tombent.
Et puis plus rien ne se passe.
Et le petit prince ? Il se retrouve tout seul devant la caisse fermée.
* * *
à suivre !
La nouvelle suite de la suite du Petit Prince au jardin.
Allez, tous en boîte pour faire la fête! 🙂 J’aime beaucoup l’ intéressante et plaisante association d’idées boa/baobab
Je rends à Saintex l’association boa et baobab 🙂
Y a t-il une fête dans la boite ? nous le saurons peut-être dans un prochain épisode.
Oups, j’avais oublié…
j’ai relu le petit prince pour l’occasion 🙂
Je pense qu’une boite de « Vache qui rit » doit faire un bruit étrange…
Il faudrait tendre l’oreille près du frigo la nuit…. ou à défaut, écouter une boite-à-meuh !
Comme s’il n’avait pas assez de problèmes comme ça ! pôv’ ‘tit Prince, noméo !!!
Mais il n’a pas de problème, le petit prince ; et puis c’est quand même lui qui a apporté la caisse !
Ben il a comme E.T., un problème de retour……….. c’est vrai qu’il a apporté la caisse, mais à sa décharge il n’a pas d’autre bagage ! je plaide non coupable vot’ Honneur !
Mais alors c’est lui, le voyageur sans bagage ? Anouilh/Saintex, même combat !
Viiiiiiii , les trésors de la littérature recentrés dans l’Univers Cosmique 😀
Et pendant que je lisais ton histoire, ya un gamin qui est arrivé à côté de moi, qui s’est jeté à plat ventre en regardant sous le lit. Il marmottait « mais où y sont, mais où y sont ? ».
J’ai regretté d’avoir fait le ménage ce matin : je crois qu’il cherchait les moutons.
Envoie-le chez moi, il aura un troupeau !
🙂
Une seule solution, ne jamais faire le ménage avant la transhumance 🙂
Bon, ôte-nous d’un doute : l’éléphant, allez, ne nie pas, il était rose, non ?
¸¸.•*¨*• ☆
Ce qui est certain, c’est que les yeux du lapin sont roses – Lewis Carroll est formel sur ce point – mais pour l’éléphant – ou le baobab- saintex ne dit rien de leur couleur 🙂
J’echoïse de concert avec Célestine (quoique) : vert l’éléphant ?
Vert, l’éléphant ? Faut voir ; mais le baobab, surement !
A reblogué ceci sur Maître Renard.
merci Maitre renard !
Nom d’un schtroumpf à poil sec, allo ? Il y a quelqu’un ? Personne pourtant mardi matin, l’empereur et sa femme sont venus chez moi pour me serrer la pince mais pas de petit Prince et j’ai compris pourquoi ! L’était là-bas et le voilà maintenant seul comme un rat mort. C’est triste parce dans la boite, il y a les autres et Pandore et si l’on ouvre la boite, hein, mais qu’est-ce qui va se passer ?
Pandore, c’est le nom de l’éléphant, ou du baobab ?
Et que va-t-il se passer si on ouvre la boite ? On va l’ouvrir et puis on saura.Mais pour ça, faut attendre un prochain épisode.
Il n’en sort jamais rien de ces boîtes noires, et pourtant…
J’adore, je m’en doutais qu’il restait un enfant quelque part caché ;=)).
La boite noire n’a pas encore dit son dernier mot….
🙂
Hi hi ! Il n’y a que toi pour nous remixer des fables et SaintEx ! Et si c’était une boîte à chapeaux ? Et que du chapeau sorte un lapin ? Non ça va pas, va falloir réécrire l’histoire, allez continue, pour notre plus grand bonheur ! 😆
Il se pourrait qu’il soit question d’un chapelier à un moment ou à un autre, mais chut ! je n’ai rien dit.
C’est une boite à trappe ? Une boite qui sert à marquer l’entrée des terriers où même les mammouths laineux et les baleines olympiques peuvent se glisser. C’est ça hein ? Il va y avoir une de ces fiesta là-dedans. Entre le lapin blanc, le renard, le loup, le corbeau, je suis sûre qu’ils sont tous là, l’aviateur, le serpent, le baobab, la reine de cœur, Alice, les sept nains, euh…
J’aimerais bien les suivre, tellement je suis pressée d’en savoir plus.
S’il y a un mammouth dans la boite, il doit aussi y avoir des baobabs laineux… c’est le loup qui va être content (ou pas) !
Mais est-ce qu’on va les suivre, ou bien…?
ouaip, eh bien si ça se trouve, il va en sortir des cotillons pour faire une méga teuf, de cette boi-boîte !!! attendons donc !
🙂 d’accord, on va attendre un peu, mais pas trop… d’ici à ce que le loup ait faim et mange le corbeau 😦
Faire venir Saint-Ex chez Alice ou vice-versa, chapeau!
C’est vrai qu’il se passe plein de choses en même temps, surtout chez toi!
Sans oublier La Fontaine, bien sûr…
La Fontaine, c’est un peu l’invité permanent, ici ; quasiment l’auteur en résidence 🙂
C’est le bazar, hein ! Et encore, je ne raconte pas tout ce que se passe (les plantes qui poussent, les fleurs qui s’ouvrent, les bourdons qui volent, etc) on ne s’y retrouverait plus
La voix de l’éléphant sort de la bouche des boas…
chapeau !