Un livre qui vous veut du bien

Chères lectrices, amis lecteurs,

depuis le temps que vous nous lisez, il est temps que je vous écrive.
Nous sommes les premiers à respecter les droits du lecteur élaborés par ce bon monsieur Pennac : lire, ne pas lire, sauter des pages, ne pas finir un livre, relire, lire n’importe quoi et n’importe où, grappiller, lire à haute voix ou vous taire… et, bien sûr,  le droit d’avoir un avis.

Mais cet avis, à quoi bon le rendre public ?
D’où vous vient cette manie d’écrire que tel livre est médiocre ou que tel autre vous a déçu  ? Même les commentaires positifs sont inutiles – sans compter qu’ils sont vexants pour les livres qui n’en reçoivent pas. Vous rétorquerez qu’une boussole n’est pas de trop pour naviguer dans les océans livresques dont chaque rentrée littéraire rehausse sinon le niveau, du moins l’étiage. Ne vous méprenez pas, je ne parle pas au nom des auteurs et des éditeurs… ils ont déjà voix au chapitre – sans parler des préfaces et des quatrièmes de couv’ – et remplissent assez la presse de leur états d’âmes, de leur avis autorisés et de leur réclame tapageuse ; et, en mal ou en bien, que leur importe, pourvu qu’à travers nous on parle d’eux.
Mais en quoi savoir que messieurs Goncourt ou Tel-et-Tel pensent ci ou ça peut-il aider le lecteur hésitant ? S’il faut à tout prix que vous parliez de l’un de nous, dites juste « lisez-le » ; chacun verra de lui-même s’il y a dedans quelque chose qui lui plait. Ou pas.

Vous croyez nous connaitre parce que vous nous lisez, mais figurez vous que la réciproque est vraie -bien obligée. Et c’est peu de dire qu’on ne tombe pas toujours sur des lecteurs attentifs, indulgents aux descriptions un peu longues, qui s’attendrissent aux bons passages…
Oui, certains d’entre nous racontent – parce que nous aussi on parle de vous, une fois la couverture rabattue – qu’ils ont connu la bonne lectrice qui n’aime rien tant que se laisser surprendre par une réminiscence qui la replongera vingt lectures en arrière. D’autres se flattent d’avoir rencontré le lecteur qui pèse chaque mot lu, apprécie chaque tournure – un haïku lui donne à rêver pour trois jours.

Mais je ne me leurre pas, le plus souvent, on a droit à l’impatient qui s’inquiète en mesurant du doigt l’épaisseur qui reste à lire et qui résiste mal à l’envie de jeter un coup d’œil à la dernière page pour avoir avant l’heure le mot de la fin, ou au boulimique qui court à travers les paragraphes, gobe des pages complètes en un clin d’œil, voire survole de pleins chapitres dans sa hâte d’avaler la suite, sans pitié pour le milieu… sans même parler de la pique-assiette qui nous feuillète en librairie avant de nous reposer sur l’étalage comme un poisson de la veille…

Et je ne dis rien des pages froissées, griffonnées, tachées cornées déchirées ; des endroits où vous nous trainez – table de chevet, banquette d’autobus, sac à main, cartable, coin de bureau, plan de cuisine, bouts de canapé, plage ; de ce que vous mangez, grignoter, buvez, ni des tenues que vous portez – ou que vous ne portez pas… – en nous lisant.

Si notre devise n’était pas discrétion avant tout, on pourrait faire – ce serait bien notre tour – des critiques de lecteurs, et même tenir un blog – c’est moderne – pour déballer ce qu’on sait de vous, et établir des palmarès, des concours et des prix – du premier lecteur, du lecteur de roman, de la lectrice maritime & francophone…

De tout cela nous pourrions même faire un bouquin. Et pourquoi pas ? Tels que je vous connais – et je lis en vous à livre ouvert – vous l’achèteriez sûrement, quitte à râler si vous n’êtes pas dedans…

Je n’en dis pas plus ; à bon lecteur salut !

signé : un livre qui vous veut du bien…

* * *
Ce mois ci,  Jobougon nous avait demandé de choisir un livre lu, rêvé, virtuel, caché ou à venir et d’en écrire une critique littéraire qui donne soit envie de le lire, soit au contraire, nous en dissuade. Et puis on trouve ici et pour une semaine le tableau de vote et les dix-huit autres textes (« lisez-les »).

54 commentaires

  1. Dis-moi, tu vas les chercher où, tes idées ? Tu m’agaces, là ! Pennac ! Pennac, mais oui bien sûr ! Comment ai-je fait pour te laisser penser à lui à ma place ?
    Mais ça m’agace, ça m’agace ! Tu peux pas savoir !
    Superbe, ton texte, comme d’hab, plus que d’hab, si c’est possible ! J’aime, j’aime, j’aime…
    Et me voilà qui repense à un texte de… devine qui… Pennac.
    Tu connais « Merci » ?
    Non seulement, je l’ai lu, mais je l’ai vu ! Pennac en personne en one man show, dire ce texte. Juste un pur régal.
    Alors…
    Merci Carnets ❤

    • Ce sont plutôt mes idées qui viennent me chercher ; là encore, ma femme m’a bien aidé à y voir clair : hier matin je ne savais toujours pas ce que j’allais raconter (je ne suis pas très critique).

      le « Merci » de Pennac, je ne le connaissais pas du tout. Maintenant oui:

      merci Martine
      🙂

  2. Excellente idée que d’avoir retourné la médaille, si les livres pouvaient raconter et donner son avis sur le comportement du lecteur, cela serait certainement intéressant et très drôle, j’attends ça avec impatience;)

    • Merci Almanito ; ce qui est certain, c’est que depuis le temps qu’ils me voient, penchés sur eux, captivé ou roupillant, les livres doivent savoir de moi des choses que je ne suis pas certain de vouloir savoir
      Mais c’était tentant de retourner le miroir, rien qu’un instant
      🙂

    • En effet, Alphonsine, « Lisez-le » (et faites vous votre propre idée), c’est la seule critique utile que j’ai réussi à écrire depuis que Jobougon nous fait plancher sur cet épisode de l’agenda. Pour ne pas faire désespérément trop court je l’ai glissé dans une petite histoire tout à fait superflue
      🙂

  3. Quelle lectrice suis-je? Vite, je je lise le livre des livres pour le savoir… En attendant, je suis admirative devant ce texte virtuose!

  4. C’est un peu déconcertant tout de même. N’avoir plus la liberté d’écrire… n’équivaudrait-il pas à mettre de la censure ? Je suis pour différer les livres ouverts, pourquoi pas, un peu comme l’ont fait François Mitterrand et Anne Pingeot avec les lettres à Anne,
    ( http://www.elle.fr/Loisirs/Livres/News/Lettres-a-Anne-1962-1995-Francois-Mitterrand-ce-fol-amant-3325892)
    mais réduire à « lisez-le » me parait euh, sauf ton respect, carnetsparesseux, un peu péremptoire.

    • Mais bien sûr qu’un livre ne peut pas être contre la liberté d’écrire 😉 c’est juste que je me suis rendu compte que, sauf à dire du mal – et on en dit et lit suffisamment ces années ci – je n’avais rien de mieux à dire d’un livre que « lisez le » (et en ajoutant : vous verrez vous même quoi en penser). ça n’est pas péremptoire, c’est la juste limite de ma capacité critiqueuse.
      Et même si j’ai d’excellentes raisons de dire que les livres de Bidule sont niais, ça n’empêchera pas un autre lecteur de les trouver plaisant.
      Et enfin, dernière limite de la critique, on se rappelle des frères Goncourt ou de m’sieu Pivot pour leur critiques brillantes, mais pas des livres qu’ils ont critiqués… de la à croire qu’ils ont manqué leur coup, ou qu’ils ont profité des bouquins des autres pour se faire un piédestal…

      🙂

  5. Je ne verrai plus mon livre de chevet du même oeil… Et quid des ebooks installés dans ma liseuse ? S’échangent-ils des avis me concernant ?… Au passage merci pour la découverte de wordle : très amusant d’y injecter des romans entiers… résumés en un nuage de mots.

    • Les liseuses qui s’échangent des avis sur le lecteur… ou adaptent leurs histoires pour lui plaire ? je pense m’y pencher bientôt 🙂
      On me dit que wordle n’est plus trop tendance, mais c’est très amusant (et ça m’a permis de voir que j’avais truffé ce billet d’une nuée de « bien » – que j’ai écrémé ; et aussi que la parité lecteur/lectrice est loin d’être respectée…)

  6. Ha ha ha !!! Bravo, bravo et encore bravo ! Je comprends que Martine soit jalouse !!! 😆 Mais sauf votre respect cher Dodo, certains livres sont bien contents que l’on donne un avis sur eux, sur un pauvre blog (à la mode ou pas) car sinon ils n’auraient même pas eu droit à un iota d’éclairage ! C’est un long et vaste débat mais ça ne me dérange pas que mes livres en sachent autant sur moi que j’en sais sur eux !!! 😆

    • Mais ça n’est même pas un débat, c’est juste le courrier vengeur d’un livre râleur et anonyme, et une tentative un peu désespéré de rendre ma copie à temps pour l’agenda de jobougon 🙂
      Après, de l’intérêt et des limites de la critique, on en ferait des livres entiers…. qu’il faudrait commenter et critiquer, bien sûr. Et je pense que mes livres (enfin, ceux de ma bibliothèque) en savent beaucoup plus sur moi que moi sur eux… mais moi non plus, ça ne me dérange pas 🙂

  7. J’adore : « lisez-le » un point sait tout, avec le sourire persifleur du type qui vient de faire une bonne blague tout en paraissant sérieux comme un pape, de l’humour anglais en quelque sorte ! Certainement, c’est le premier à conseiller ce qu’il ne fait pas lui-même ! Polisson, va !

    • Merci Anne de me prêter tant de malice papale, mais non, je suis sincère ; ma doctrine complète en matière de criticologie est très exactement : « si tu n’as rien à dire de gentil, tais-toi ! »…et quoi de plus gentil que de suggérer de lire un livre, sans lui ajouter des mots ?

      sinon, le printemps aidant, bientôt un retour plus complet sur la scène blogosique francobelge ?

      • Cher carnet, ce petit intermède entre quatre yeux c’est du beurre frais sur une tarte au sucre. J’y pense en vous lisant mais l’énergie comme le printemps tardent à venir. En attendant, renouer avec mes blogs amis pleins de fantaisie et de talent, c’est déjà un demi-retour. Pour en revenir à votre sujet, je ne sais plus qui disait que passer quelques secondes à critiquer de manière négative un bouquin était déjà de trop ! Mieux vaut s’attarder sur ceux qui nous portent, nous font frémir d’émotion, nous apprennent, nous enchantent. Oui, lisez-les tout simplement, certes, mais l’enthousiasme est parfois tel qu’ils nous portent au prosélytisme.

  8. J’aime. Et le titre beaucoup. Est-ce que tous les livres nous veulent du bien? Tu seras d’accord avec moi, cher carnets, que cette question en est rarement une. Qu’arriverait-il si la pratique consistait à évaluer un livre comme on le ferait d’un aliment ou d’un environnement, selon qu’il nous a fait du bien ou pas?… Bien sûr, y aura toujours les allergiques. Mais là, bon, on s’en sort pas.

    • Est-ce que les livres nous veulent du bien ? Jolie question ! à quand l’étiquette obligatoire ? « ce livre élabré dans un atelier respectant les règles élémentaires de la grammaire et de la syntaxe contient 11 % de fiction, 5% d’ironie, 5 % de description, 18 % de romance et qsp des éléments narratifs variés ; aucun personnage secondaire n’a été maltraité durant l’écriture ».
      on n’en sort pas !

  9. brillant !
    dites juste « lisez-le »…. mieux, likez !!!
    une caméra cachée dans la 4e de couverture, comment les éditeurs n’ont ils pas eu cette brillante idée pour leurs études de marché ? il parait qu’en Amérique il se fabrique des « livres-produits », écrits par des collectisf d’auteurs chargés d’en écrire une partie selon leur spécialité, sachant, après enquêtes auprès du lectorat, qu’un livre vendable doit comporter 10% d’émotion, 20 d’action, 1 de descriptions et paysages, etc… et bien sur 40 de sexe.
    et merci à Martine et toi pour le merci de Pennac !

  10. Bel angle de vue…le livre « critique du lecteur », fallait y penser !

    J’ai tout bien lu, sans rien sauter, sans me presser, sans rien corner, ni tacher, ni froisser…
    …et j’ai apprécié d’un bout à l’autre…
    Je n’aurai qu’un seul mot : Bravo !

    • A force de me demander comment critiquer les livres, je me suis dit qu’il était temps de leur donner la parole ; pas de tache, de corne, de froissement…. les livres sont tes amis !

  11. Prendre au pied du livre ces conseils de Pennac, j’adore!
    Découvrant ces commandements du lecteur, dans une médiathèque, j’en ai ressenti aussitôt une liberté; et de ces commandements en ai fait mon bréviaire.
    Vive la critique, revue par Carnets, à la sauce Pennac!

  12. Je le savais! Je le savais!
    J’en ai déjà vu migrer vers des pays froids l’été…À tire de pages dans le ciel, pour partir réconforter les lecteurs frigorifiés !
    Très belle idée !!!
    Bises

  13. J’aime l’idée, comme un pied de nez à nos petits travers, ta « critique » renvoie à l’essentiel. Pour un livre, autant de lecteurs que de regards différents 🙂

  14. Donner la parole aux livres, très bonne idée. C’est toujours mieux que de les laisser oubliés sur une étagère…Ou de les brûler (idée saugrenue qui agite les dictateurs régulièrement, comme une crise de palu…)
    Euh…parfois je corne mon livre mais il aime ça, il me l’a dit. Ça joue ? 😉
    ¸¸.•*¨*• ☆

    • Merci Célestine ; « ça joue », corner une page ? c’est à voir entre le livre et toi. Il parait qu’il y en a qui apprécient des notes au crayon, qui supportent des coloriages, qui tolèrent les marquent-pages… bref, tous les livres sont dans la nature 🙂

  15. Ah l’heureux livre qui a un lecteur qui rêve trois jours à un haïku…..
    Et la lecture des commentaires est passionnante également …
    Quel est le titre du livre qui a  » 11 % de fiction, 5% d’ironie, 5 % de description, 18 % de romance et qsp des éléments narratifs variés  » ? Je souhaiterai le lire pour en faire une critique 🙂

    • oui, trois jours de rêverie pour trois lignes de lecture, c’est un vrai placement…. quand je pense que je gobe les haïku par demi douzaine, comme les chocolats des oeufs de Pâques….:(
      le livre à 11% de fiction etc etc… il reste à écrire (dans le respect des lois communautaires européennes et de la grammaire bien sûr)

  16. En plus, suivant les théories bien connues des années 50, l’auteur n’a plus aucun pouvoir sur son texte, une fois livré aux lecteurs qui peuvent en faire un usage parfois pervers.

    • Une fois son bouquin achevé, l’auteur ne perd que son pouvoir d’auteur ; il gagne en échange un pouvoir de lecteur tout neuf ; et le plus souvent, ce pouvoir consiste à ne pas lire 🙂

  17. Ah, la, la, je n’oserai plus jamais aller me coucher en nuisette devant ma PAL !!
    J’ai été un peu débordée par le temps et l’affluence de texte sur ce mois ci mais je suis toujours admirative devant tes inventions multiples et invariables de talent !
    Bisous

  18. Oui je l’avais lu, celui-ci! Il est extra (et parfait pour l’agenda ironique de ce mois)! Rien que l’adresse « Chères lectrices, amis lecteurs » laisse songeur/se quant à cette distinction qui en dit long sur les intentions de ce livre! Tu pourras dire après que le mien est polisson, mais cela laisse à croire qu’il n’est pas le seul 🙂 Chères soeurs lectrices, rangeons les nuisettes (je veux dire: « mettez un pull », et non: « enlevez-les »…), les livres vous regardent!

  19. Je m’baladais par ci par là et relisais, au hasard de mes pérégrinations agendesques, les sujets des mois passés lorsque je suis retombée sur celui-tien.
    Je me disais alors que relire un livre, c’est toujours le redécouvrir avec d’autres yeux. Comme quoi, le livre qui écrirait sur le lecteur en aurait vraiment beaucoup à dire. Peut-on parler de lecteurs égaux aux livres qu’il parcourent ou bien de lecteurs égaux à ce qu’il en comprennent ? Est-il possible de lire un livre en passant à côté de lui ?
    Faire un retour vers le livre qui en dit long sur son lectorat, ou comment tenter d’appréhender ce qui échappe encore à l’entendement, mon ego s’en froisserait-il encore ou bien au contraire saurait-il se réjouir d’avoir eu la chance d’ouvrir sa perception ? Quoiqu’il en soit, l’aventure de l’agenda est une belle histoire qu’un jour où l’autre peut-être l’un de nous aura envie d’écrire.
    Je m’baladais par ci par là et relisais, au hasard de mes pérégrinations agendesques, les frasques carnetsiennes et te salue, carnets, tout en me réjouissant de la chance que j’ai d’avoir croisé la plume de personnes aussi paresseuses que l’oiseau dormeur disparu pyromane qui a eu le don d’allumer des feux comme d’autres allument des réverbères.

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