Le téléphone sonne fort ! (5)

si vous avez raté le début la suite (2) & (3) & (4)  (et la musique qui va avec, ici)

Quand je sors enfin du poste de police, une aube sale se lève lentement. J’ai dans l’oreille la voix du policier qui dit encore et encore : « Bon. On va tout reprendre par le début. Nom, prénom… ». Mais bref, je ne vais pas vous raconter le bureau obscur, la table au bois ébréché, la chaise bancale, les murs à la peinture qui craquelle, le cliquetis des machines à écrire, vous avez tous lu ça dans des polars. Je marche lentement, sans but, au pifomètre.

A propos du garage, les poulets penchent visiblement pour un règlement de compte entre trafiquants d’horloges anciennes. Bien sûr, je ne leur ai rien lâché sur la visite de Novembre, l’horlogère ou les petits trafics de la Chronos : ils ne m’auraient pas cru. Pour eux, tuer le temps n’est pas un crime et ils n’ont pas de service de recherche du temps perdu !

Une fine couche de givre recouvre bientôt mon manteau, comme un linceul – sauf qu’un linceul n’a pas de poche. Il faut que je reprenne la piste. Novembre compte sur moi. Sans compter que s’il y a du flou à la Chronos, on peut prévoir du ramdam dans le calendrier. Que le premier mai devienne une fête laïque et va y avoir corrida chez le prophète Jérémie ! Sans parler des autres saints qui vont s’accrocher à leur strapontin au paradis. A qui profiterait un dérèglement du temps qui passe ? Y a-t-il des trafiquants d’heures légales, des revendeurs de dernière minute ? Un marché noir de poignée de secondes ? Où va se nicher le mal !?

Entre les ronds jaunes des lampadaires perdus dans la brume glacée, j’aperçois l’enseigne incertaine d’un bistrot – pas encore fermé ou déjà ouvert, je ne sais pas, et je m’en fiche un peu. En poussant la porte, je vois brièvement ma tête dans le grand miroir qui trône derrière le comptoir – le temps de me dire t’as bonne mine, et je m’affale sur une banquette. Un rhum et un café plus tard, embrumé dans la tiédeur du lieu, j’écoute d’une oreille engourdie le brouhaha de mes voisins de hasard. Ça joue aux cartes, ça papote, refait le monde, se dispute un dernier verre, ça cause cinéma : «Trop beau, le héros de The man in my face. – Comment tu causes, tu l’as vu en vého ?- Bas les masques, carré d’as ! – à qui de distribuer ? – à toi de faire, ma mignonne… – Toi, tu as dégotté un job pour les fêtes ? Paie ta tournée! – Oui, un truc en costume, chez un pâtissier. – Tu vas te déguiser en buche de Noël ?

La tête qu’il ferait, ce petit peuple du bout de la nuit, insouciant et désœuvré, si les journaux du matin arrivaient datés du 17 brumaire an CCXV ? Il jouerait encore sa chance si – au cas de victoire des sexagésimaux – le prochain vendredi 13, annoncé pour janvier, tombait finalement le samedi 24 frigée ? Et à ce train, savoir quand reviendront les prochaines neiges d’antan ? Où dénicher les criminels ? Ils peuvent être partout, et même dans ce bistrot… J’écoute d’une oreille distraite les conversations qui continuent :

« Salut Sonneur. Il parait que cette nuit, t’en as vu des vertes et des pas mûres ? – Bah, il y a eu un os dans le fromage, voilà tout. – Oui, une tartine de déconfiture, mais pas de quoi faire un fait d’hiver. – Oui, une sacrée série noire, en effet. – ça tu peux le dire, et c’est dans l’ordre, réplique un grand type, long, maigre, étroit qui se lève – un drôle de corps – et sort.

« Sonneur ? Des vertes… ? Un os… ? Une tartine… ? une série noire ? Dans l’ordre ? »  Et si ces crapules utilisaient les titres des numéros de la série noire pour chiffrer leurs messages ? Il faut que j’appelle Gallimard ! Je griffonne les titres sur un papier et je me glisse vers la cabine téléphonique. Mais c’est moi qui reçoit un coup de téléphone ! Juste derrière l’oreille ! Avant de glisser dans le noir, je sens flotter dans l’air un parfum de connaissance….

* * *

à suivre !

5e épisode du polar de novembre. Comme promis, les titres des n°4, 5, 22, 38, 42, 69, 90, 96, 105, 120, 137, 163, 181, 195, 227, 279 & 370 ont été glissés dans l’histoire. Pour la suite, on fait pareil ? (ici, la liste de la Série noire) ; à vous de choisir les prochains titres à incorporer !

34 commentaires

  1. Encore ce parfum mystérieux ! Celui de la « dame en noir » ?

    Mention spéciale à « tuer le temps n’est pas un crime et ils n’ont pas de service de recherche du temps perdu ! »

    Bisesss

  2. Atmosphère, atmosphère… ! Bravo tu entretiens le mystère comme on veille un plat mijoté 😉
    Pour reprendre Val : Mention spéciale pour les strapontins au paradis !!!

    • Merci Myopaname. En effet, ça mijote… je me demande un peu ce que le privé va trouver !
      Les strapontins n’ont pas été faciles à placer 🙂 mais il ne faut pas que ça t’empêche de proposer d’autres titres pour la suite :))

  3. Oh! Encore elle!
    Ce privé a un petit côté poète qui me plaît bien dans sa recherche du temps …égaré:) et j’ai adoré l’ambiance esquissée au poste de police, la table ébréchée et la chaise bancale en disent long sur certaines pratiques, brrrr!
    Et puis chapeau pour les titres, suis bluffée par ton habileté.

  4. Recevoir un coup de téléphone derrière l’oreille ! Hihihi 🙂
    Quel rythme dans le récit et quel habilité pour placer tout les titres.
    Chapeau m’sieur. C’est de mieux en mieux.

  5. Il est à nouveau dans les pommes ? Il n’aurait pas mieux à faire que de se faire assommer à tour de bras ? Je commence à le trouver désagréable ce détective et je comprends pourquoi il a du mal à payer ses factures à la fin du mois… !

  6. Quel jonglage avec les titres, et les aiguilles du temps qui tournent.
    J’ai hâte de savoir de qui est ce coup de téléphone.
    Enfin, ça fait passer le temps.

    • le temps passe même quand les aiguilles s’arrêtent 🙂
      Merci Dominique. Un titre ou deux à glisser dans le prochain épisode, ou bien je reprends des titres déjà utilisés ?

      • La Mort et l’Ange

        Cent mètres de silence

        Ôte-toi de mon soleil !

        Un de ces trois là ou bien tous les trois, à toi de jouer le jongleur.

  7. Mais elle lit dans ses pensées cette mystérieuse parfumée ? A chaque fois qu’il trouve un truc, bam, il finit avec une bosse ! 😆 Du coup, je dis vivement la suite, c’est drôlement bien ! Et quel suspense à maintenir, tu fais ça très bien (aussi) ! 😉

  8. Oui,du ramdam dans le calendrier c’est bien embêtant… n’empêche, si tu connais l’adresse d’un revendeur de dernières minutes, ben… Je suis preneuse. Mais chut! Ces choses là, ça se négocie en toute discrétion…

  9. Excellent billet. Arrivé à une minute de mes fins dernières, je pense revendre cette dernière minute fort chère, afin de terminer ma vie dans l’aisance.

    • Merci! il est également possible de vendre sa dernière minute en viager, pour étaler les bénéfices sur une plus longue période (qu’on peut alors vendre à la découpe, au gré des envies)

  10. Je me demande si les « ronds jaunes des lampadaires perdus dans la brume glacée » ont quelque chose à voir avec les ronds de cuir du quai des Orfèvres, rapport au parfum de l’horlogère fortement répandu par ailleurs et par devant de lui. Lui sonner les cloches à tout berzingue, lui dérouiller la turbine à grands coups de téléphone, même portable, ne risque-t-il pas de lui éveiller la pleine conscience ? On n’a qu’à bien se tenir au strapontin, ça secoue les valoches dans le froc, cette histoire à ne pas dormir assis. Vivement le coup de glace de la Chronos and Co ! A propos, ce privé, il a un petit nom ? Faut que je l’appelle recta !

    • Mais oui, le privé a un nom et un prénom : il les a dit et répété aux policiers dans le premier paragraphe… 🙂
      Mais bon, comme c’est lui qui raconte et qu’il n’a pas l’habitude de s’apostropher, va falloir rester dans l’expectative…(pas de jaloux, à moi non plus il l’a pas dit)

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