Croiriez-vous qu’il y a des gens assez malhonnêtes pour profiter du malheur de leur prochain ? Mais autant tout reprendre au début. Le mois étant plus que calme – mon agenda jouait le grand sommeil – je planchais sur ma prochaine affaire, un truc assez calé : est-ce qu’il valait mieux kidnapper le propriétaire et utiliser la rançon pour régler mes loyers impayés ou planquer ma valise sur l’escalier de secours et déménager à la cloche de bois ?
J’hésitais encore – un raté et je me ferais avoir jusqu’à la gauche – quand le coup de sonnette m’a tiré de mes réflexions – le facteur ? non, d’abord il sonne toujours deux fois, et depuis belle lurette il ne me monte même plus les factures : il les dépose directement dans la poubelle du hall.
J’entends la porte cochère qui claque, suivi d’une série de grincements… les treize marches de l’escalier gémissent l’une après l’autre, puis une ombre se découpe sur le verre dépoli de la porte de mon bureau. Y a pas de bon dieu, c’est sûrement un encaisseur… et évidemment, ma secrétaire n’est pas là pour faire barrage ! En fait, elle n’est pas venue depuis quinze jours, pas plus que la remplaçante que le bureau d’embauche m’avait promis… elles ne se rendent pas compte !
La porte geint à son tour, et entre un bonhomme emmitouflé dans un grand pardessus gris, le chapeau enfoncé sur les oreilles. Sans un regard pour le décor, il s’affale sur la chaise réservée aux visiteurs – depuis quand elle n’a pas servi ? – et chuchote d’une voix froide :
« C’est vous le privé ?
J’acquiesce.
– Je peux vous faire confiance ?
Un client ? De quoi se marrer ! L’air sur le retour, fatigué, harassé, quasi au bout du rouleau, il a bien la mine d’un petit commerçant de quartier encombré d’un racketteur trop gourmand. Pour qui me prend-t-il ? Est-ce que j’ai vraiment l’air assez minable pour courir après des ronds de carottes ? Peut-être bien, après tout. Il reprend :
– J’ai besoin d’y voir clair.
Assez stupidement, j’ai jeté un coup d’œil par la grande fenêtre. Pas de clarté à espérer de ce côté-là, seulement les habituelles lueurs de néon criard barbouillant la brume sale qui étouffe les bruits, incessants même quand la ville dort.
– Y voir clair dans ce dossier, vous pigez ? précise le type en sortant une grande enveloppe chiffonnée. J’ai une assez grosse affaire, la Chronos & Cie, qui tourne plutôt rond d’une année sur l’autre, mais pas tout seul ; c’est bien le hic. On est douze associés, à part égale… sauf que j’ai l’impression qu’il y en a qui se voient plus égaux que d’autres. Je suis assez pressé ; je quitte la ville dans huit jours. Pour le prix, à vous de dire : le temps c’est de l’argent, alors je crois que je suis solvable. Il a eu un rire caverneux.
– Mais je ne me suis pas présenté ; voilà ma carte.
Sans un mot, il pose sur le bureau un calendrier ouvert à l’avant-dernière page. Je demande :
– Vous vous appelez Novembre, comme le mois ?
– Non, je suis novembre, le mois. »
* * *
à lire avec sa bande-son originale : (1) l’affaire de novembre ! écrit pour l’agenda ironique de novembre, hébergé ce mois-ci chez Valentyne. On pouvait parsemer l’affaire avec des titres de polar, alors j’ai glissé quelques Séries Noires : Vous pigez ? (n°7), De quoi se marrer (9), Le grand sommeil (13), Jusqu’à la gauche (32), Y a pas de bon dieu (53), Les treize marches (77), La grande fenêtre (45), Quand la ville dort (106) et (chez Pauvert) Elles ne se rendent pas compte.
Comment tu fais pour avoir toujours de bonnes idées (pas paresseuses du tout) dans tes carnets ? J’ai hâte de lire la suite ☺
Ben… je sais pas. Je cherche juste des trucs que j’aimerais assez lire pour avoir le courage de les écrire.
bien content que ça plaise ! Et la suite, c’est pour bientôt…
Extra et quand on arrive à la fin , on comprend mieux qui sont les douze associés 🙂
Quel enquête va demander Novembre ? Suspense …
Impressionnants,, hein, les douze associés de chez Chronos et cie !
Quant à l’enquête…. comme tu dis, suspense (et pour moi le premier)
Hihihi ! J’adooore ❤
merci Milton !
J’aime autant ton texte que celui de Pierre Gripari qui parle du mois de février toujours grincheux parce qu’il claudique. Je suis bien contente d’en savoir un peu plus sur novembre…
Je n’ai pas lu ce Gripari là (prochaine étape, la bibliothèque municipale). si février est grincheux, novembre est enrhumé et anxieux… le calendrier va mal !
peut-être de nouvelles révélations dans le prochain épisode….
Novembre, avec sa météo maussade, ses commémorations de guerre et ses visites de cimetières, fait triste mine…
Bienvenue Stéphane ; oui, visiblement, novembre a mal négocié sa part lors du découpage du calendrier.
Bien vue, la Toussaint et le 11 novembre.. on en reparlera dans le prochain épisode !
[…] Carnetsparesseux nous présente un mystérieux Novembre […]
Il y aussi des gens qui se réjouissent du malheur de leurs prochains. Dans les registres paroissiaux de l’église de Larchant (près de Fontainebleau), au XVIIIème siècle, il est écrit que le village de Fromont à brulé et que – en gros – c’était bien fait pour eux.
Certes. Mais on ne sait pas tout, il faudrait demander ce qu’en pensent les Apomvillais et les Guerchevois…
En même temps, l’incendie a débarrassé les Fromontois d’une cinquantaine de maisons vétustes, même s’ils n’en ont visiblement pas profité pour reconstruire en classique grand siècle façon Trianon.
Novembre, je t’adore…qu’est ce que je dis, moi!
Mais non, pas toi, le texte de Carnets, bien sûr!
Merci Jacou
Il y aura vraiment une suite? C’est bien vrai? Chic!
Mo, oui, y aura vraiment une suite, et en deux épisodes.
novembre commence mal et continue en pire… (A Vialatte). Il y a une ambiance balzacienne dans ce début là, comme de la peau de chagrin dans l’air
Vialatte ? Balzac ? Voilà bien du beau monde, mais merci beaucoup !!
(je file essayer de lire (relire, peut-être ?) la peau de chagrin pour voir de que il s’agit 🙂
Excellent. L’ambiance est parfaite, le privé mieux que nature et ce monsieur Novembre lugubre à souhait, les titres sont glissés avec une déconcertante habileté, j’attends la suite!
Merci Almanito ; je me suis bien amusé avec les titres…il faut dire que ceux des 1er n° de la Série noire sont assez croquignolets !
J’aime beaucoup le style, l’imagination découvrant des regards, des ressentis étonnants, anachroniques, amusants,.. Ici, on s’amuse à lire ! Mais pas que ça. En effet, le ton, le rythme, le temps aéré de l’écriture,( c’est presque contradictoire), les personnages venant choir là, comme une feuille d’automne soudaine( bon, là c’est facile pour moi avec Novembre lol)… En tous cas, je poser un vote pour ce texte ! Merci carnet! 🙂 :-p
Merci Jean-Marie 🙂
(j’en reste coi)
Je veux bien patienter un peu aussi pour la suite,…. la suite ! 🙂
la suite ? elle est arrivée !
Merveilleuse idée que voilà ! Le tout dans une ambiance fort joliment décrite, comme dans ces films américains des années 50 à l’atmosphère chargée de mystère, d’alcool et de filles 😉
Merci Laurence ! C’est très amusant de jouer avec les clichés de l’ambiance « polar ’50 » … reste plus qu’à savoir comment continuer cette enquête feuilleton calendrier !
🙂
Je reprends du début, ai vu qu’il y avait un « 2 ».
Finement déduit, Sherlock (à moins que tu ne préfères ton compatriote Hercule Poirot ?): en effet, souvent le 2 précède un 1… et je te préviens tout de suite, il y va y avoir un 3 et peut-être un 4….
Youpee … On va Poiroter (sic) alors. Qui n’avance pas Hercule (resic).
Le mois de novembre en personne! Alors comme ça, Novembre a « la mine d’un petit commerçant de quartier encombré d’un racketteur trop gourmand »… Tu m’en diras tant!
Hé oui, en novembre, je ne recule devant rien, et j’invite Novembre ! Même s’il a une drôle d’allure de petit commerçant enrhumé…(en tout cas, cette année)
🙂
Malheureusement, novembre n’en a plus pour très longtemps … je vais donc me dépêcher d’aller lire la suite 🙂
Merci Laboucheàoreille ; en effet, C’est mal parti pour Novembre: le feuilleton risque de déborder sur décembre 😦
Merci novembre de m’avoir offert dans ton dernier souffle, mon premier rire de la journée ! mais où vas-tu chercher tout ça !! excellent !
oups, j’avais négligé de répondre… un premier éclat de rire à 17:54 ? il faut se lever plus tôt !
On retrouve la patte du dodo… Où Novembre peut-il nous mener ????
Novembre devrait nous conduire à Décembre….avec ou sans patte de dodo dans l’encrier 🙂
Excellent, je ne suis pas en avance pour te lire mais quel régal ! Et ta chute fait que l’on a envie de reprendre l’histoire au début, comme pour les plus grands ! Une de tes meilleures histoires pour le ton, le style et la construction ! 😉
Pas en avance, ça n’est pas trop gênant pour une histoire de temps 🙂
Si le coeur t’en dit, tu peux même revenir lire les épisodes suivants !
Et merci pour les compliments 🙂
Je passerai tout lire mercredi, car j’ai de la famille à la maison et ça complique les choses ! Pour l’ordi, je dis que j’ai une recherche à faire…je ne reste pas plus de 5 minutes ! 😆 Pfff… A très vite !
Hi hi hi! Génial, je cours lire le 2!!!
[…] par hasard sur Carnets Paresseux et ses jolies histoires, et j’ai été happé par tous, des rigolos du calendrier aux ironiques de l’agenda. Puis, j’ai voulu jouer […]
Mieux vaut tard fin février, que jamais en novembre. Donc, avec retard mais un plaisir jamais démenti, je découvre ce nouveau Marlowe, noir comme de la suie, tordant comme le rire et infusé aux bons mots. Et je préfère lire qu’écouter car là, rien ne peut échapper à ma sagacité légendaire : ni les allusions subtilement cinématographiques, ni les persiflages indécrottables 100 % dodoesques, ni le rythme haletant d’un thriller britiche ! De quoi retenir sa respiration jusqu’au prochain épisode. J’y cours.
« Un février frais vaut mille novembres de l’an passé » (proverbe improbable) ! bref, on peut lire quand on veut, il n’y a pas de date de péremption !
[…] par hasard sur Carnets Paresseux et ses jolies histoires, et j’ai été happé par tous, des rigolos du calendrier aux ironiques de l’agenda. Puis, j’ai voulu jouer aussi. L’agenda ironique […]