Les personnes instruites comme vous savent bien que pour peu qu’on lui prête un peu d’attention, n’importe qui peut vite inventer n’importe quoi. D’abord, ce serait beaucoup dire que j’avais remarqué la camionnette ce matin : à peine une ombre blanche dans la brume que suait la rivière juste après l’aube – si seulement elle était déjà là. Mais je ne pouvais pas la manquer au retour, toute seule au beau milieu du grand terre-plein asphalté et strié de lignes blanches du parking qui entourait le cube de tôle du supermarché, fermé – le supermarché – et vide – le parking – ce dimanche.
Ce que je faisais un dimanche de Toussaint sur un parking de supermarché fermé le dimanche ? D’abord, ça ne vous regarde pas, et ensuite, c’est un raccourci qui me permet de gagner cinq minutes et trois feux pour rejoindre le coin de rivière que m’a indiqué un gars du centre qui préfèrera sûrement que je garde ça pour moi.
Bref, quand je suis repassé à midi, la camionnette était bien là, toute seule au milieu du parking. Impossible de la manquer. Et toujours là après manger. Sauf qu’à ce moment il y avait aussi deux filles et un garçon plutôt maigre qui se tenaient autour d’un gros fauteuil en cuir passablement craquelé. Une seconde, je me suis demandé s’ils allaient sortir le salon complet, table basse meuble télé et canapé avec appui-tête en crochet. Mais en fait de chargement il n’y avait rien d’autre. Je le sais parce que je roulais plutôt lentement à cause des ornières et des nids de poule qui crevassent le bitume et que j’ai pu jeter un coup d’oeil entre les deux portes arrières qui baillaient grand sur du vide.
Tournés vers le fauteuil, aucun des trois n’a prêté attention à mon passage : je les ai vus disparaitre dans le rétroviseur sans qu’ils aient seulement bougé la tête. Ils m’ont quand même tenu compagnie pendant cinq minutes : la veste en jeans de la plus grande des filles, la mèche bleue du gars, la moue têtue de la dernière et le luisant du cuir presque feutré aux accoudoirs du gros fauteuil crapaud. Et puis une fois arrivé, le long froissement de papier des saules dans le vent et l’eau qui miroite inlassablement entre les pierres me les ont définitivement sortis de la tête.
C’est pour ça que j’ai été surpris au retour quand je me suis rendu compte que je m’attendais à les retrouver plantés au milieu de leur désert de goudron. Mais bien sûr ils étaient partis, les filles et le garçon, partie, la camionnette. Un instant j’ai cru voir le fauteuil dans la lumière rasante du soleil couchant de presque novembre. Faut croire que le vent et l’eau m’avaient joué un tour.
Pas la peine de se raconter d’histoires – bien sûr que le supermarché n’a pas été construit sur un ancien cimetière de fauteuils. Ces trois-là avaient sûrement juste rendez-vous avec un acheteur amateur de vieux meubles en cuir défraichi. Mais alors, pourquoi est-ce que je n’arrive pas à m’empêcher de me demander si j’ai bien vu ce que je crois ce dimanche de Toussaint ? Et pourquoi je vous raconte ça ? Voyons, c’est pas à des personnes instruites comme vous que je vais apprendre que pour peu qu’on lui prête un peu d’attention, n’importe qui peut vite inventer n’importe quoi.
* * *
La suite ? à lire chez Une Patte dans l’Encrier ! et si d’autres veulent prendre le relais pour un feuilleton itinérant, il suffit de le dire (et puis de le faire, bien sûr) !
Un faux t’oeil
assis bien su l’dire…
N-L
Yapa photo, c’est la faute au fauteuil !
merci Loiseau 🙂
Parler de tout,
ce n’est pas rien !
Il suffit qu’on me donne
Librement la parole
Pour que les mots s’envolent….
Et je deviens aphone !!!
Les écrits, c’est idem,
J’use de stratagèmes
pour mettre noir sur blanc
La pluie et le beau temps !
J’ai deux mains, j’ai deux pieds
C’est une certitude !!!
Mais je n’ai pas d’idée :
Moments de solitude
Du lundi au dimanche
Devant la feuille blanche…….
Ai-je au moins deux neurones
qui pensent et qui fonctionnent ?
Et puis soudain, miracle :
et fin de la débâcle….
C’est ça, l’inspiration :
un gramme d’émotion
une once de jugeote,,
les mots hurlent ou chuchotent,
s’embrouillent, se mélangent,
et moi je les arrange
pour faire d’un papier
au départ très banal
un texte échevelé,
bien plus original
que si j’avais planché
sur un sujet précis….
Et voilà, c’ est fini !!!
A vous, amis du net
Je dédie ce poème
qui n’a ni queue ni tête
Mais que j’aime !!!
Gibulène – 25 juin 2010
Merci Gibulène pour ce poème échevelé qui dit bien nos zigzags de gribouilleurs du oueb 🙂
de rien Carnets ! il occupe l’espace mais je l’ai rédigé un jour où, précisément, je n’avais rien de particulier à dire 😀
Si tu as vu l’appui-tête en crochet, tu n’as rien imaginé, parce que ça ne s’invente pas, un appui-tête en crochet !
Je crois que l’appui-tête en crochet, je l’ai imaginé… c’est grave ?
L’imagination anime tout ce que le regard touche…
Merci Myopaname !
En fait, c’est un « presque-vu-en-vrai », parce que j’ai vraiment vu, un dimanche, sur un parking de supermarché désert, la camionnette, les trois personnages et le fauteuil. Je les ai promené dans ma tête quelques temps et l’imagination a fait le reste 🙂
C’est tout l’art de l’écriture. Une amie blogueuse à la plume ciselée me disait qu’un bon écrivain doit savoir rendre la lecture de l’annuaire téléphonique passionnante! ….
Mais, tout cela ne nous dit pas ce que tu faisais au bord de l’eau en pleine nuit, ha, ha, cette histoire de fauteuil noie le poisson dans l’eau je crois!
Merci Almanito ; noyer du poisson avec un fauteuil ? je ne suis pas sûr de bien visualiser la manoeuvre !
Et pour la réécriture de l’annuaire, j’hésite un peu ; si je me rappelle bien il y a beaucoup de personnages mais peu d’action
🙂
Certains cependant, inventent mieux que d’autres…
Le tout est de savoir qui sont « certains » et qui sont « autres » 🙂
en ce qui me concerne, comme disait le poète, je est un autre…
Et puis, quand c’est un fauteuil pour deux, on peut imaginer plein de trucs dessus.
Même s’il y en à d’autres qui l’ont fait avant moi.
🙂
et avec un fauteuil pour trois, il faut investir les accoudoirs ?
Arf, tu vas à la pêche les jours de Toussaint toi ? Elle est pas fermée la pêche ? 😆 Mais tu attrapes n’importe quel poisson dans tes filets, même des fauteuils crapauds à qui tu prêtes vie, arf ! Et poétique ton histoire avec ce saule… j’adore les saules ! 😉
Mais qui a dit que j’allais à la pêche ? Le fantôme du fauteuil ?
Merci Asphodèle 🙂
La magie de tes contes nous fait imaginer tout et son contraire alors si j’ai dit que tu allais à la pêche, steuplaît ne me contrarie pas !!! 😆
Un p’tit cinéma avec ça? Dans ma cuisine et l’aube noire de mon lundi matin, je sors de cette page avec la presque impression d’avoir tout juste vu un très court court-métrage. En slow motion. Merci carnets, et bonne semaine.
Un tout petit dessin animé pas très animé alors… avec beaucoup de vent dans les saules et d’eau qui coure, et un gros fauteuil dans le rôle titre. J’aimerais bien le voir 🙂
Trois personnes qui disparaissent dans un rétroviseur, c’est bien moins évident qu’un seul lapin blanc dans un terrier… M’est avis que, plutôt qu’un cimetière de fauteuils, tu pourrais trouver bien plus dans ce sous-parking…
Donnons-nous rendez-vous au soir avec pioche et burins
Guettons la marque d’un pied de fauteuil ou d’humain,
Entamons en ce lieu vigoureusement le bitume
Jusqu’à temps qu’aube ne nous dissimule,
Avant que vigiles ou gendarmerie nationale
Ne nous affublent d’une redingote à ceinture diagonale !
Direction l’asile pour Dodo et chat…
A moins, mon cher ami, que nous ne trouvions avant la porte de ce Monde molletonneux.
Ce qui serait, vous en conviendriez, à cette histoire un excellent ressort !
D’accord, Patte ! Mais pas de demi mesure, investissons carrément dans une tractopelle et en route pour le monde souterrain et molletonneux subparkinguien:)
Ho! tu sais à la toussaint, il s’en passe des choses dans la tête du balladeur énigmatique.
Assieds toi confortablement et attends ça va revenir…
J’suis assis 🙂
C’est le début d’un film d’horreur avec des tueurs psychopathes qui tranchent la gorge de leurs victimes dans un fauteuil. Il est vrai que n’importe qui peut vite inventer n’importe quoi en ce jour d’Halloween 🙂
Une sorte de Sweeney Todd ambulant ? 🙂
ou alors juste des revendeurs de salon à la sauvette ?
Si tout est possible, rien n’est certain !
Tu nous a concocté une petite ambiance à la Stephen King.
Quelque chose d’étrange dans cette apparente banalité nous laisse sur notre faim car je crains que tu ne fasses pas de suite à cette histoire.
Mais c’est vrai que c’est la Toussaint…
C’est vrai que je voyais ça comme une carte postale un peu floue… Alors, une suite ? pourquoi pas, mais j’ai peur qu’elle ne soit pas à la hauteur (j’suis pas Stephen King 😦 )
Patte-dans-l’encrier s’est emparé du relais :
https://1pattedanslencrier.wordpress.com/2016/11/03/le-fauteuil-suite-non-encore-autorisee/
Il y a un peu une atmosphère de polar dans ce petit récit … on se doute que le fauteuil était sur le lieu du crime … comme tu dis, on imagine des tas de choses
Un crime ?? mais non, commissaire, juste une honnête transaction commerciale avec un amateur de vieux fauteuil….
🙂
Alors mon imagination a poussé le fauteuil trop loin 🙂
Un récit bien cadré, zooms, champs et contre-champs, rien ne manque à la scène. Action!
Merci Jacou.. enfin, « action » ? il y en a assez peu : l’intérêt est qu’il ne se passe (presque) rien 🙂
Action, imagination 🙂
Concernant l’agenda ironique de novembre, ce texte « Le fauteuil » est prémonitoire, non? 🙂
Prémonitoire du mois du polar ? Faudrait demander au fauteuil 🙂
C’est drôle, parce que je l’ai écrit plutôt comme une carte postale d’halloween, mais les lecteurs le lisent plus comme un début de suspense/polar…
Tous les ingrédients y sont, pour un polar. Alors, la suite en novembre…;)
Ou une suite à 4 mains…4 mains ou plus, bien entendu, et ce serait amusant de l’écrire pour l’agenda de novembre?
une enquête feuilleton qui passe de blog en blog ? belle idée !
1 patte dans l’encrier s’est déjà lancé :
https://1pattedanslencrier.wordpress.com/2016/11/03/le-fauteuil-suite-non-encore-autorisee/
Jacou, veux-tu te charger du 3e épisode ?
🙂
Allez hop, me tape l’incruste et voici le 3ème épisode ici : https://jeanmariealbert.com/2016/11/12/le-fauteuil-3-suite/
Bonne lecture pata 🙂
Un cimetière de fauteuil, non bien sûr… mais en même temps, si on songe au repos éternel…
hé oui, le repos éternel, d’accord, mais dans un bon fauteuil de club anglais -et avec un bon wiski) !
Et pourquoi pas un légendaire cimetière de fauteuils, avec d’anciens canapés enfouis, que recherchent désespérément la secte très fermée des amateurs de vieux ressorts et d’appui tête au crochet ?
Je crois que je préfère la secte des amateurs de bon wiski 🙂
[…] affirmée quoique paresseuse. En effet, le bitume semblait avoir été martelé par le pied d’un fauteuil sur lequel on se serait odieusement […]
P’être un 42e commentaire ? Bon, j’ai adoré retrouver un certain copain d’écriture échevelée de fantômes de la Toussaint. Alors, c’est tentant aussi cet agenda ironique de novembre pour faire sortir les morts de leur tombe. Et trop attrayants aussi ces récits inventifs d’un Dodo toujours au sommet de sa forme…
Merci Anne !
Un grand retour en vue ?
Je prends la suite dans le trou noir, noir, très noioioioioioir…..
Splendide ! le fauteuil est parti pour un grand tour 🙂
Le fauteuil aurait il été enlevé contre rançon sonnante et trébuchante ?
Je file lire la suite chez 1patte !!
Bisessss
[…] Hasard ou coïncidence quelques jours avant le lancement de l’agenda, Carnetsparesseux lançait une saga dont il a le secret avec l’apparition et la disparition d’un fauteuil crapaud sur un parking désert de supermarché un dimanche de nov… […]
3ème et fulgurotartino épisode ici. https://jeanmariealbert.com/2016/11/12/le-fauteuil-3-suite/ Bonne lecture. 🙂
[…] à l’agenda ironique « Polars » et au feuilleton initié ici par Carnets et poursuivi ici par […]
[…] La première partie de cette histoire se trouve là : Ici chez le Dodo […]
Le sens du détail qui donne de l’épaisseur à une histoire qui n’en a pas, c’est un régal, y compris les failles du bitumes, aîe mes lombaires !
Merci Monesille.
Quand « trois fois rien du tout » devient (presque) « toute une histoire » 🙂
hé sinon oui les failles du bitume, ça parle… ouille !
[…] Hasard ou coïncidence quelques jours avant le lancement de l’agenda, Carnetsparesseux lançait une saga dont il a le secret avec l’apparition et la disparition d’un fauteuil crapaud sur un parking désert de supermarché un dimanche de novembr… […]
L’art de savoir faire d’un petit rien un texte qui ouvre sur des perspectives imaginatives. 🙂 Bravo Carnets !
L’art est surtout chez les lecteurs, qui ont trouvé de quoi imaginer dans ce « trois fois rien »
🙂
Merci Laurence !
[…] pour compte au beau milieu d’un suspense haletant, je me devais de poursuivre un récit débuté là, poursuivi ici et etc… Improbable mais vrai, ce récit s’intègre merveilleusement -ou […]
[…] *et**,sont des textes empruntés à Carnets, dans son récit « Le fauteuil » […]
Wow, tu parles du talent des lecteurs, mais pour moi, c’est le lanceur qui compte. J’ai rarement aimé écrire des suites de textes (enfin, tout dépendait d’où sortait le début), mais là, en te lisant, j’ai très envie !
La suite, Frog, la suite !!
Je suis très touché, d’autant plus que pour moi ce texte là n’était pas un début, mais un tout (un tout petit tout), ouvert et fermé par une phrase de début/fin un poil ironique envers l’auteur et les lecteurs :)) et je suis le premier ébahi par les échos qui ont suivi ! mais trêve de billevesées, la suite ! bientôt chez Frog !!