Les proverbes remontent à la plus haute antiquité – voilà ce que croit le sage, et la Bible qui leur consacre un fort volume ne le détrompe pas sur ce point. Pourtant mars s’avance – l’arrivée du printemps le prouvera avant le 23 de ce mois – le soleil s’impose, et une brassée de proverbes passera comme mars au soleil : qui songera encore à dire « étrennes de janvier, ingratitude de février » ou « une hirondelle ne fait pas le printemps »? Heureusement, « en avril ne te découvre pas d’un fil » et cent autres dictons prendront la relève.
Cette permanence et ce renouvellement sont les deux mamelles de la Société de conception, production et diffusion de proverbes, adages, dictons et maximes universels, qui comme son nom l’indique, conçoit, produit et diffuse des sentences courtes et imagées, d’usage commun, exprimant une vérité d’expérience ou un conseil de sagesse partagé par les locuteurs.
Le croirait-on ? Les débouchés de cette branche d’activité sont légion : éditeur d’almanach ou d’éphéméride, speaker de la météorologie radiodiffusée, vendeur de biscuit chinois, romancier régionaliste, industriel de la gaufrette, c’est pour ces grands consommateurs de sagesse populaire que la Proverbiale – comme la dénomment familièrement les employés qui y œuvrent – travaille principalement ; mais le particulier peut s’adresser à elle en confiance.
Dans ses bureaux un bataillon d’archivistes chevronnés conserve avec mille précautions et sur des rayonnages qui ploient les adages up-to-date ou passés de mode. Car comme il y a des proverbes de saison, il y a une mode du proverbe : qui emploie aujourd’hui « à bon chat bon rat » ou « paresse, belle prouesse » ?
Mais – demanderez-vous – quels rapports entre tout cela et l’initialement annoncée zizanie dans les couloirs de la Régie autonome des transports parisiens ? C’est tout simple : l’automne dernier, désireuse de démontrer la richesse de son fonds de commerce, la Proverbiale annonçait vouloir orner les stations du métropolitain d’autant de maximes qu’elles comptent de carreaux de faïence. Soit, à raison d’un proverbe par carreau, un trésor de sagesse soumis au jugement du passant – proverbial garant du bon sens populaire qui est la chose la mieux partagée du monde. Célébrant la sagesse des nations sans négliger le touriste porteur de devises (c’est le cas de le dire), l’affichage était promis dans toutes les langues du monde.
On sait le Landerneau parisien prompt à s’encolérer contre les idées qu’il n’a pas eu : à bon droit soucieuse de l’avenir de notre langue, l’Académie souligna le risque d’obsolescence accélérée des proverbes exposés dans les stations les plus passantes ; certains médecins craignirent un fort pic de ralentissement (sic) de l’activité cérébrale des voyageurs soumis à tant de lecture. Plus sérieux, le monde artistique s’est élevé contre ce qu’il fallait considérer comme une dégradation du patrimoine majeur de la capitale – les stations de métro étant plus visitées que le Louvre et l’Arc de triomphe réunis. Enfin, les milieux commerciaux s’alarmèrent de la saturation rétinienne du public, qui, selon eux, le détournerait des affiches de réclame. L’heure était grave et le Parisien désuni arpentait les couloirs souterrains, prenant fait et cause pour ou contre la Proverbiale.
Qu’allait faire celle-ci ? Caler devant les menaces ? Elle perdrait la face. Mais passer outre, c’était courir à la brouille avec l’édition germanopratine et l’Académie, deux de ses plus forts clients. Elle sut ménager chèvre et chou, et poussa sa caravane malgré l’aboi. Bientôt les Parisiens apprennent par voie de presse que les proverbes ont été apposés sur le carrelage métropolitain grâce à un procédé nouveau : une encre indélébilement invisible au profane, mais que l’homme de goût lit même sans lunettes. Depuis lors il n’est station du métro qui ne bruisse des sages maximes que tout un chacun se plait à y déchiffrer à haute voix pour l’édification de ses voisins de rame.
* * *
Pour l’agenda ironique de mars, Une-Patte-dans-l’encrier nous a demandé de plancher sur les proverbes et le métro. C’est fait, avec un clin d’oeil respectueux à Alexandre Vialatte et Gaston de Pawlowski. Les onze autres textes de l’agenda ironique de mars sont chez Patte et on peut voter -autant de fois qu’on veut – pour ses trois préférés jusqu’à la fin de la semaine !
Est-ce valable pour les femmes de gout (sans accent circonflexe, c’est dur mais juste) ? Mais je ne dirais pas « plancher sur les proverbes » mais « daller dans les proverbes ». Belle idée que cette encre indélébile cachant l’essence aux débiles qui risquent effectivement d’y mettre le feu. Ce serait dommage de réduire à néant cette entreprise et de mettre au chômage son personnel nombreux et si efficace ! Bravo le Dodo d’avoir pu nous faire découvrir un métier si utile dont on ne parle pas assez !
« est-ce valable pour les femmes de gout ? » Je pense que les femmes ne sont pas sujettes à la jobardise et à la prétention propre aux bonhommes de gout qui, à eux seuls, promettent à la Proverbiale bien des heures sup’ en prévision 🙂
Des proverbes il y en a déjà pas mal dans les wagons de métro, c’est sympa à lire. On y trouve aussi des bouts de phrases d’auteurs qui donnent envie d’en savoir plus sur le livre…
Bravo pour ce billet
Je sais, on n’invente rien, on s’approprie… ; et j’aime bien lire ces petites phrases de métro, de l’haïku au « défense de descendre avant l’arrêt complet ».
Merci Dominique
Christian Andersen va te demander des droits d’auteur,avec cette histoire pas débile d’encre indélébile. C’est à la station Royale qu’il s’y est essayé avec succès, mais il n’imaginait pas que tu propagerais l’idée dans tout le réseau !
Une belle inspiration que Raymond Queneau n’aurait pas désavouée.
Belle journée 😀
Merci Martine ; mais qui est cet Andersen ? et qui est ce Queneau ?
🙂
😉
Tiens ! Justement, je me disais que c’est un peu un remake des habits neufs de l’empereur, après la marche, Zazie finira bien par prendre le métro. Elle n’a qu’à prendre l’escalator.
La sagesse populaire des proverbes défie le temps mais bien souvent cache des vides de réflexion ou d’émotions sidéraux, un film excellent sur les poncifs avec Jean Pierre Marielle et Daniel Auteuil: « quelques jours avec moi »
tu as raison, Dominique, le proverbe est bien pratique parce qu’il offre un réservoir de phrases clef-en-main (si on peut dire); revers de la médaille, c’est une invitation à ne pas réfléchir… 😦
Génial !
Je crois qu’à partir d’aujourd’hui, je vais me balader dans le métro en regardant consciencieusement mes pieds, de peur qu’on imagine que je fais partie des « gens sans goût » ! :-)))
Très très bien écrit, ce texte, vraiment…un pur moment de plaisir…
Merci Licorne ; regarder ses pieds, ça va tant que la Proverbiale ne passe pas un marché avec un marchand de chaussure 🙂
carnet paresseux fait des heureux, proverbe franciscain.
🙂
et merci de votre visite, Francis.
Je regarderai mieux la prochaine fois que je prends le métro!
Je crois qu’on ne voit que les proverbes que l’on connait déjà 🙂
Je dirais qu’aux éditeurs d’almanachs et d’éphémérides, on pourrait ajouter la blogosphère entant que débouché prometteur… surtout si les proverbes sont d’origine chinoise ou japonaise… Alors ça va, vu le temps que je passe sur mon lecteur, je dois en connaître quelques uns!
Je ne prends plus le métro depuis longtemps mais ta sagesse proverbiale alliée à l’ironie du sort m’en bouche un coin (coin-coin) 😆 Obsolescence obsolescence, comme c’est d’actualité ! 😆
Obsolescence, jobardise et suffisance sont toujours d’actualité, non ?
🙂
Toutafê ! Je peste après l’obsolescence tous les jours ! 😆 Je croyais qu’une loi avait étré votée contre « l’obsolescence programmée » mais ça ne doit pas s’appliquer aux produits fabriqués en Chine par des industriels américains ! 😦 Quant à la jobardise et la suffisance c’est international également ! 😀
Aïe, Aïe, Aîe : « Mais je n’ai rien vu » s’exclama monesille revenant de la grande ville ! »Sont-ce mes lunettes qui ont fait les coquettes ? Ont-elles de buée les dictons obstrué ? Et pour la chèvre itou, en fait de ménagée, je n’ai guère entendu les lectures assidues de mes voisins ramiers, euh de rame, dans mes feuilles de chou ! »
« rien vu, rien entendu ? », c’est normal, quand on siège dans un jury de prix littéraire, on a assez de lecture pour ne pas se laisser distraire par les discussions des voisins… 🙂
J’avoue que j’ai vaguement survolé les blogs ces temps-ci, je promets de me rattraper lorsque la brise sera venue !
En somme, à l’instar de monsieur Jourdain, nous lisons et devenons savants sans le savoir.
Oui Jacou ; sans compter les quelques z’uns qui s’imaginent savants-de-métro sans avoir à lire 🙂
Que ça coule, cette écriture, mais que ça coule.
Et le rythme, monsieur, le rythme. Ça ne s’invente pas, ça.
Merci Caroline ; le rythme doit beaucoup à M’sieu Vialatte !
[…] « Zizanie dans le métro » par Carnetsparesseux qui nous ancre en sympathie d’une entreprise pas commune !! […]
Biographe excellentissime, Carnets fait taire les chats ayant osé le traiter d’indodolent d’une chronique lutécienne qui fait mouche, moustique, papillon de nuit, bref qui fait le Buzzzzzzzzzzzzz !!!!
L’indolence du Dodo fait le bonheur du métro, proverbe lépidoptère métamorphique.
Mais non je fais pas taire les chats, je les empêche de miauler trop fort !
Merci Patte – ton idée de mars ironique a base de proverbe m’a bien enquiquiné avant que je trouve une porte de sortie… 🙂
Plancher sur le carrelage du métro, c’est cultiver l’usager par le sol, idée rien moins qu’originale !
Ainsi « proverbes à toutes les stations fait différences d’opinions ». Ceci dit, toute polémique est toujours bonne à faire jaillir la créativité. Tu viens encore de le prouver.
Je me demandais tout de même si les très myopes pourront lire même sans lunettes. Décidément, l’agenda nous offre bien des surprises. Quand le Dodo s’attaque au métro, c’est du boulot !
Les très myopes ne sont pas exclus du dispositif de la Proverbiale ; au contraire, ils peuvent lire les proverbes qu’ils imaginent eux-même 🙂
Un questionnement de curieuse à propos du bout d’enluminure sur ta bannière… si ce n’est pas indiscret bien sûr !
La bannière n’est pas un autoportrait, mais un détail des Arthurian Romances (ca. 1275-1300) de la Beinecke Rare Book and Manuscript Library, Yale University (http://brbl-dl.library.yale.edu/vufind/Record/3433279?image_id=1020460).
ah ben voilà, on le dit ! 😉
[…] les oreilles, regardait tout ce petit monde d’un air goguenard : il m’apostropha : « bienvenue dans la quatrième dimension de Pawlawski « . Le plus étrange n’était pas la tête de tout ce petit monde ni le nom des […]
Étant myope, je comprends ceux qui inventent les proverbes 🙂
Excellent reportage (le risque d’obsolescence accélérée des proverbes exposés m’a fait frémir : montons un groupe de soutien ! )
Bisesss Carnets 🙂
Depuis le temps que ne prends plus le métro… Dommage pour les proverbes, j’aurais bien testé ma vue… 😉 Et faute de les voir, aurait-on le droit d’en écrire sans se faire arrêter par une brigade anti-tags?
Je ne prends plus le métro non plus ; du coup j’en ai une vision idyllique 🙂 Pour écrire sur les murs, pas de souci, tant que tu as ta carte de la Proverbiale 🙂
[…] et tout soupçon de tricherie multi-votale mise à part, c’est l’incomparable Carnets paresseux avec 8 votes (soit 31%) qui est […]