Chère Fourmi,
Décidément, ma voisine, vous aviez raison, comme toujours : même syncopée, la poésie ne paie pas. Surtout maintenant que la bise est venue et que l’almanach annonce les jours de tempête. Finies les farandoles. La maison est vide, mélancolique, sans chaleur. Et puis les huissiers sont venus : je n’ai même plus une serpillière pour me couvrir pendant les nuits d’insomnie. Je me trouve fort dépourvue, et si oppressée que je ne respire plus.
Vous êtes trop fine pour ne pas deviner ma motivation : j’aimerais vous emprunter quelques minuscules grains pour subsister jusqu’à l’éclaircie d’août prochain, où je vous rendrais le tout, intérêt et principal, croix de bois croix de fer. Vous avez assez souvent blâmé devant moi le dilettantisme et l’éparpillement pour que je mesure l’agacement que cette démarche pourrait vous causer – je suis bien coupable, je le sais ; que faisais-je aux temps chauds ? – , mais je compte, une fois encore, ma très chère et sage voisine, sur votre proverbiale gentillesse.
La Cigale
ps : je profite de l’occasion pour vous présenter mes vœux les plus sincères. Espérons que cette année-ci, personne ne viendra, muni d’un passe-partout, visiter vos coffres-forts…
* * *
Pauvre petite Cigale,
Ainsi vous voilà essorée ! Comme le bonheur est fragile et l’inspiration vagabonde ! Comme la procrastination s’accommode mal du souvenir des beaux jours passés ! Le cœur me manque devant le diaporama mélancolique que vous me dépeignez là – j’en perdrais presque l’appétit et ma bonne humeur. Mais quelle fantaisie de me confondre avec je ne sais quelle généreuse divinité olympienne qui répandrait à foison une pluie de bienfaits majuscules ? Relisez vos classiques : je ne suis pas prêteuse.
Je peux à la grande rigueur vous louer, en Flandres, une wassingue, jusqu’à la saison prochaine. Mais à prix ferme et à la condition que vous en preniez soin : c’est un bien de famille ! Songez-y en toute liberté. En attendant, voici – gratis – mes vœux et un conseil : plutôt que d’essayer de m’intimider avec de vagues menaces de cambriole, imitez donc le pingouin. Cet oiseau pédestre, dit-on, trompe la faim et le froid en dansant de l’aube à l’aube – ce qui, dans la longue nuit de l’hiver polaire, n’est pas une mince affaire.
La Fourmi
ps : je suis fort aise de vos bons vœux – et d’apprendre que l’huissier est passé chez vous comme je le lui avais demandé.
* * *
Saison des vœux oblige, voilà les courriers de bonne année échangés par la Cigale et la Fourmi à l’occasion des 48e plumes d’Asphodèle. Cette fois-ci, en plus des mots officiels, il y avait une liste de rebut ; la prodigue Cigale a dépensé sans compter les premiers ; la fourmi, économe, a choisi d’utiliser le rebut. Les textes des vingt autres participants sont là.
Le temps aussi sévère et ineluctable soit il n’a permis ni à l’une ni à l’autre de s’accorder, reformuler avec brio dans l’air du temps. Bravo carnets, que tu as donc du courage malgré le mauvais temps (ça plairait à Valentyne!!!)
Jamais La Fontaine ne les laissera se réconcilier, c’est là son moindre défaut !
Comme si Paul Fort nous invitait à passer devant le petit cheval blanc….
Génial !
Merci Kilda !
Quelque soit l’auteur, personne ne prend en compte les retombées de son talent de musicienne à cette pauvre cigale !
Mais que deviendrait la provence sans elle et son crincrin ?
Et quand arrive le froid hivernal,
On la toise sans lui donner le moindre grain ?
Ah vraiment l’office du tourisme de la région PACA est bien ingrat !
C’est vrai ! faudrait imaginer une version avec la Cigale en vedette (elle passerait à la Cigale ?) et la Fourmi en impresario, escomptant les ventes de disques et de produits dérivés… 🙂
Oui on pourrait revoir le scénar de base… Tu t’y colles ? Je ferais bien un essai… 😉
A toi l’honneur ! 🙂
On verra…
Mais quelle audace en ce début de saison sous la neige ! Ne vois-je pas un nouveau bandeau illustratif d’abord? Ou alors, je n’ai point fait attention… Mais en suite duquel, je reconnais l’imaginaire enfiévré, enlevé, dynamique du divin dodo dodelinant pas si disparu que ça. Et puis, l’usage de « procrastination », par moi choisi et recalé, me va droit au cœur. Cher Dodo, merci donc…
Hé oui, il y a un nouveau bandeau ; je remercie ma femme qui a cherché et trouvé l’image et l’a accroché en tête du blog… sinon, je serais encore en train d’y songer (il m’arrive de procrastiner).
C’est d’ailleurs pour ça que je ne pouvais pas rater ce mot là !
Oh que c’est un bien beau duo que l’on connait et que je relis avec plaisir
Merci Patchcath ; j’aime bien partir d’histoires connus, ça fait gagner du temps sur la présentation des personnages 🙂
L’imaginaire débordant de l’auteur qui n’est plus un Dodo, mais qui a ouvert son Carnet pas si procrastinatoire(tif)(teur) que ça, ne me lasse pas.
J’ai toujours hâte d’ouvrir ce calepin (dont un des synonymes est « almanach ») pour y prendre une belle goulée de mots admirablement unis et harmonisés.
Merci pour cette fable revisitée avec tant d’élégance, d’éloquence et de brio.
Merci Martine ! Mais je n’y suis pour rien, c’est La Fontaine qui a tout fait.
(moi, j’ai juste un peu copié sur lui)
🙂
Des voeux de bonne année véritablement sincères…. C’est fou ce qu’elles ne s’aiment pas, ces deux-là !
Joli façon de revisiter La Fontaine.
Oui, on dirait vraiment de vraies bonnes voisines 🙂
J’avais déjà revu leur histoire, là : http://urlz.fr/2WZl
Cigale et fourmi seraient-elles des insectes venimeux? Venimeux à souhait 😉 😀
Là, faudrait demander à Jean-Henri Favre ; mais c’est vrai qu’elles ont du mal à être sympas entre elles
🙂
Quel brio ! Et ce à plusieurs niveaux de lecture : tout d’abord attribuer une liste à chacune des protagonistes, fallait y penser et c’est juste parfaitement choisi : le caviar pour la cigale et les rogatons pour la fourmi ! 😆 Et puis leurs « je t’aime moi non plus » légendaires à la sauce Dodo quand il sort son carnet de papier vélin est un parfait plaisir de lecture… Un bravo sincère et mérité pour ce double effort talentueux ! 😉
Merci Asphodèle. En fait, c’est le résultat d’une ribambelle de choix paresseux : des cartes de voeux, c’est de saison / reprendre une fable (courte et connue) pour ne pas avoir à inventer / en piquer des bouts pour ne pas perdre le lecteur / prendre tous les mots imposés pour ne pas choisir / ça se complique un peu quand il faut faire des phrases, mais faut faire confiance aux mots (par exemple, « passe-partout » que je ne savais pas ou caser,a amené l’idée du cambriolage…)
bon, sinon, c’est des heures de travail, d’anxiété, de cent fois sur le métier….:)
Hu hu ! Merci pour ces explications sur le making-off (j’ai fait pareil pour mon texte, un making-off pour lui expliquer le comment du pourquoi si tant est que l’on sache vraiment…). Et pour une fois, bien qu’écrit en trois fois, je n’y ai pas passé trop d’heures, disons que c’est venu plus facilement, ça aide ! 😉 Bonne soirée…
Ca n’a pas le goût de l’effort, ces p’tites bêtes, (je parle des dodos) leur talent n’a donc aucun mérite, mais aucun ! Ni celui d’utiliser les mots avec autant de subtilité, ni des prévoir les moindres réactions des lecteurs et de leur couper le rire sous le pieds. On ne sait sur qui s’attendrir sur la pauvre cigale bien inspirée par son économie, ou l’heureuse cigale nous procurant des sueurs froides pour produire un commentaire à la hauteur du texte ci produit !
Bises de vermisseau !
En effet, le dodo n’a aucun goût de l’effort, et encore moins talent ou mérite. Il regarde les mots se ranger sur la page à la place qui leur plait, à côté de ceux qui leur conviennent, et quand ça lui parait bien, il prend la photo. Et puis c’est tout.
J’ai de la chance, hein !
🙂
En tout cas il est doué pour la photographie 😀 modeste, va !
Mes voeux à toi aussi.
Que j’ai ri si tu savais ! Tu as vraiment bien ‘caricaturé’ cette poésie ! c’est fou !
J’adore vraiment et tu me fais passer un super bon moment !
Merci beaucoup
Ces plumes c’est ma drogue à moi , grace à des textes comme ça !
Ghislaine, je suis vraiment content que ce texte t’ait fait rire (je me suis bien marré aussi à l’écrire)
tous mes voeux (garantis sans cambriolage ni huissier !! 🙂 )
Joli ! C’est bien tournée, cette fable. Des persos qu’on va aimer !
Merci Merquin !
Une fois encore, bonne année ! … et évitons de laisser les clefs sur le coffre-fort, mdr 😉 Quant aux protagonistes, ils sont brillamment croqués. Et cela tombe bien puisque la mode est à leur dégustation croustillante… Bon dimanche, chers Carnets !
ah non, défense de manger la cigale et la fourmi, il n’y aurait plus de fable, et partant plus de travail pour les fabulistes !!
bons dimanche et bonne année, cher Thiebault.
Roo! J’ai souri dès les premiers mots! Tres bonne idée! Je crois que le mot que je cherche est « jubilatoire ».
Merci Emilie!
Bravo pour cette judicieuse adaptation (aux mots imposés) de la fable !
Merci Brize, et bienvenue dans les Carnets !
Pourtant, de nos jours, des cigales du show-biz gagnent très bien leur vie et des fourmis sont réduites au chômage…
Ah mais oui, tu as tout à fait raison… faudrait toiletter cette vieille fable un bon coup !
mais (1) je ne me vois pas raconter une histoire de téléréalité où des cigales-vedettes débarquent chez des fourmis-fans au chômage, accompagnées par des politiciens à la recherche du buzz….
(2) je n’y avais même pas songé…
On dirait qu’en fait, je ne suis pas très fan de notre époque 🙂
Elles sont au top ces Voisines : toute en subtilité 🙂
J’ai bien aimé le PS (pas le parti politique hein ! ) qui relance la machine quand on croit que c’est fini
Bisesss Carnetsprocastinatoires 🙂 a moins que ce ne soit Carnetsprocastimaginatifs 🙂
Merci Valentyne ; oui, elle sont un peu vaches – même pour des insectes !
🙂
Serais-tu le nouveau La Fontaine du XXIe siècle, cher Dodo ?
J’aime bien cette poésie revisitée, l’autre commence à dater !
Et en plus, les bons mots et ceux jetés, trop fort 😆
Bravo 😆
Bon dimanche et gros bisous
Moi, La Fontaine ? Mais alors faudrait que je trouve des morales assommantes à chaque fable… non, ça c’est pas possible…. mais je te remercie, Soene ! Bonne soirée.
Par exemple, la Cigale pourrait chanter dans les couloirs du métro.
Une relecture divertissante et brillamment écrite du grand classique.
Inutile de te préciser que j’ai adoré, ce ne serait que redonder platement sur les commentaires de tes fans…
Bises célestement surprises
¸¸.•*¨*• ☆
Merci Celestine !
Cette fourmi est si économe qu’elle ne profite pas de la vie. Est-ce là le sens de l’existence? Je ne dis pas que tout dépenser et procrastiner sont des solutions. Mais entre ces deux comportements-là il y a un juste milieu à mon avis très agréable…
Bonne fin de journée!
La fourmi est économe parce que La Fontaine le veut ainsi… peut-être qu’en douce, elle se fait une petite vie tranquille et agréable ; d’ailleurs,qui nous dit que la Cigale ne fait pas de même, loin de la scène et du show bizz ?
🙂
bien sincèrement: bravo!
non seulement pour l’exécution mais aussi pour l’idée 🙂
Merci Adrienne !
Belle pirouette chorégraphique pour terminer cette très enlevée variation sur ce bon La Fontaine.
Inviter les huissiers à danser, tu veux dire ? ça, pas de soirée réussie sans huissiers sur le parquet 🙂
le sourire n’arrive pas à quitter mes joues. Oui, je souris lèvres closes, pas comme la Joconde mais presque ! 😉
Quelle jolie fable ! Un régal ! Et la fourmi a bien fait de ramasser ce que la cigale aurait jeté à la poubelle ! Ces petites bêtes sont passionnantes, il nous est arrivé, à Clément et à moi, de les observer de très près après avoir tenté leur gourmandise avec une minuscule miette de pain. Quelle ténacité ! Quelle persévérance ! Et pendant des heures, une distance qu’il nous serait difficile de tenir ! Bises
Merci Mariejo, je suis content que cette fable détournée te plaise ; hé oui, la fourmi a ramassé tous les mots « rebut » avec persévérance. Je pense que la Fontaine n’a pas regardé les animaux qu’il a fabulé avec beaucoup d’attention
🙂
Il était plus attentif à ce qu’en pensaient ses condisciples et son roi. 😀
Certes ! à qui le dis-tu ! 🙂
http://urlz.fr/2POW
Pour continuer sur le chapitre « observons la nature », j’apprécie moyennement les fourmis; dès que je laisse un pot de fleurs retourné dans mon jardin, ces charmantes bestioles y bâtissent une fourmilière; grrrrrr…
il paraît qu’un simple trait tracé à la craie les empêche de passer. j’imagine mon jardin transformé en terrain de foot.
Quand aux cigales, quand j’habitais dans le sud, elles tombaient sur mon balcon, pour la grande joie du chat. 🙂
Le problème avec ces bestioles, c’est qu’elles ne se préoccupent pas du tout de nous 🙂
(sauf le chat, qui est attentif aux coussins et au remplissage de sa gamelle…)
Très belles lettres qui revisitent si bien l’esprit du poème originel. 😀
Bises 😀
Merci Ceriat !
Je vois que tu as été bien inspiré par notre La Fontaine ; j’aime cette fable sans morale, tu l’as reprise avec brio, bravo !
Je confirme que le bouton « Lire au hasard » n’est pas là par hasard !
Quelle pétulance !
oui, c’est un chouette bouton hasardeux !