La plaine terne fume lentement sous le ciel bas et gris. Crevée par les labours, la terre molle des collines est noire. Dans les prés, l’herbe rare et tenace luit sous le givre. Ici et là, quelques bosquets de troncs efflanqués sortent du sol. Cela fait déjà longtemps que les bouleaux ne sont plus que de minces fuseaux d’argent, et l’aulnaie qui borde l’étang ne montre plus que de courts doigts sombres. L’hiver vient : désormais même les frênes et les chênes sont nus, pauvres silhouettes de plumeaux déplumés, fines résilles de branches et de rameaux qui ne ferment plus l’horizon – il est vrai que la brume s’en charge.
Perché au flanc d’une colline banale, un arbre isolé porte encore tout un feuillage sombre et dense, dessinant sur l’horizon immobile et vide une boule noire et obstinée.
Soudain – coup de vent ? coup du sort ? – l’arbre s’évanouit ! Ses feuilles s’éparpillent, chutent, tombent, remontent, s’envolent, virevoltent en striant le ciel lourd ; puis le tourbillon revient s’accrocher aux branches et l’arbre renait.
Quelle leçon tirer de ce petit miracle volatil ? Que rien n’est caduc, du moment qu’on lutte ? Qu’il y a toujours un espoir, même insensé ? Que le printemps reviendra encore et encore ?
Engoncé dans ma carapace de lainages, d’écharpe et de capuche, doigts gourds, pieds gelés, je ne sais rien faire de mieux que m’étonner :
– Pas encore partis, ces fichus étourneaux ?
😉
Les fruits de mon arbre nu, sont des corneilles sopranos et je me demande si la nuit, ce ne sont pas elles qui emportent mon arbre-dentelle ! Ainsi j’aurais pu intituler mon texte : »L’arbre qui s’envole »…
Nous avons en effet (et en commun !) la fibre ornitho-arboricole, ces jours !
des corneilles sopranos ? je ne connais pas (je ne m’y connais pas trop en oiseau).
🙂
Soprano c’est leur voix en général. Il y a parmi elles quelques castrats aussi…
Poétique…
Je vois les bouleaux dénudés, qui se revêtiront de vert au printemps venu.
J’entends les piaillements de la nuée d’étourneaux qui effraient les mésanges et les tourterelles, occupées à gober les insectes encore vifs de ce clément début d’hiver.
Je sens le souffle érotique du vent d’automne encore présent qui joue avec les intimités de la nature.
Poétique…
des corneilles, des étourneaux, des mésanges, des tourterelles, des insectes ? il y a donc tout ça dans un arbre ??
et plus encore que tu ne penses 😉
Un monde mécanique débite et tronçonne, on ne bois plus la forêt, l’arbre à came l’a caché…
Dans l’humain la Nature a son jardin.
La force de construire et de faire pousser.
Tout de ce qui est vrai perdure !
N-L 16/12/15
Bienvenue dans les Carnets, Loisobleau, et merci pour le reblog !
Avec plaisir merci
A reblogué ceci sur Niala – Loisobleu.
Si Dominique n’avait pas répondu avant moi, je t’aurais dit qu’ils étaient partis hez elle 😀
hé oui, les oiseaux volent tant et si ben qu’ils passent d’un blog à l’autre, quasi au même moment
🙂
ah quand même ! Tu savais donc que le printemps allait faire reverdir l’herbe qui ne « poudroie » même pas en ce moment ! Chez le kiné, l’autre jour, une superbe photo d’un immense, immense vol d’étourneaux. Bon, c’était en Amérique, là où tout est si grand que ça nous agace ! 😀 Si je la retrouve, clic, je la photographie !
Mais oui, MarieJo, je sais bien que le printemps reviendra !
en Amérique où tout est plus grand, tu crois que les étourneaux sont plus gros qu’ici ? parce qu’alors ils leur faudrait des plus grosses branches…:)
C’est joli un arbre vivant, autrement quand tout se tait et attend le printemps.
Merci Dominique ; troquer ses feuilles contre des plumes, ce n’est pas la pire façon d’attendre le printemps (pour un arbre) !
Douce métaphore que ce vol d’étourneaux qui vole et viens et reviens dans le ciel de nos horizons gris.
C’est vrai que c’est une métaphore, mais c’est d’abord une scène vue, un peu déformée par l’écriture (d’où la catégorie « chose presque vue en vrai »)
Tu me ferais presque aimer l’hiver; sans pour autant me réconcilier avec les étourneaux; un printemps pluvieux, ayant laissé peu de chance aux cerises de mûrir, j’avais repéré une branche ployant sous le poids de quelques fruits rescapés. C’était avant le repas. Voulant m’offrir un dessert nature, je cherchais la branche. Celle-ci avait repris sa place, plus aucune trace de cerises. Les étourneaux s’étaient bien régalé.
Difficile d’aimer les bestiaux qui ravagent « nos » cerisiers, en effet : il y a incompatibilité alimentaire 🙂
J’ai vu exactement la même scène chez mes parents. Le cerisier tremblait sous la masse d’étourneaux. Et quand ils se sont envolés, plus une cerise sur l’arbre. Depuis, je n’aime pas les étourneaux…
Confondre des oiseaux et des feuilles ? Hitchcock se retournerait dans sa tombe et il te remercierait.Très belle chute, merci pour le partage 🙂
Hitchcock ? l’Alfred Hitchcock ? Merci Elisa !!
La chute ? c’est juste mon incapacité à tirer de hautes leçons morales des petites scènes quotidiennes 🙂
J’ai beaucoup aimé le titre qui laisse supposer une foule de choses et à la lecture c’est encore autre chose qui se dessine, c’est encore mieux. Belle chute ! 🙂
Et, des leçons à tirer, toutes me plaisent 🙂
.
Merci Laurence ; le titre, je l’ai choisi, péniblement, en dernier. Du coup je ne me suis pas rendu compte qu’en effet, il promettait d’autres histoires… que je laisse aux bons soins de l’imagination des lecteurs 🙂
Pas encore … ouais … fichus étourneaux.
sûr que s’envoler trop tôt ou trop tard, aucun ornithorynque ne se permettrait ça… fichus étourneaux !
Il sont très frileux, et la peau d’étourneau ça chauffe pas son homme 🙂
En plus, sont même pas comestibles, ces volatiles…
même pas un petit gout de cerise ? c’est bien la peine. Sinon, bien bouillies, on doit pouvoir manger les plumes
J’avais loupé cette envolée (décembre 2015, forcément ! 😥 ) ! Je ne veux plus entendre parler d’étourneaux, ils m’ont mangé toutes mes cerises (3 cerisiers) au dernier printemps, une plaie ! 😆 Mais ton texte est frémissant de plumes, visuel et poétique, on s’y croirait ! 😉
Héhé, j’ai ni cerisier ni autres fruitiers, donc pas de différends avec les piafs chapardeurs 🙂
(et merci Asphodèle pour le « frémissant de plume… » !)
C’est plaisant de trouver des assemblages de mots sentis, triturés le long des sentiers et des haies d »automne. En lisant ceci se dévoile le temps qui passe pour chasser et faire renaître la vie au bout du bout des troncs. Le vent élève l’éphémère feuille en disant à l’arbre de ressentir sa vie avant de revenir et qu’il se rappelle en se retirant dans ses racines que tout arbre qui sent, vole. J’aime beaucoup. 🙂 Merci
Oh mais…à quelques oiseaux près, aurions-nous vu les mêmes arbres? C’est quand même moins plombant chez toi 😉
moins plombant, quand même les arbres deviennent chauves…? 🙂
C’est vrai ça, ce n’est pas drôle de perdre ses cheveux!
Mais chez Toi, il y a toujours un sourire derrière les mots les plus moroses ( tu n’y peux rien, ce sourire là semble te coller à la plume- par chance il ne gâche jamais rien, bien au contraire!😀)
Oh, je crois que je peux écrire des trucs sinistres, mais à quoi bon proposer des trucs sinistres aux lecteurs ? c’est pas comme si ça manquait au quotidien..
sans compter l’influence de ma tante qui me disait : « si tu n’as rien de gentil à dire… tais-toi ! » 🙂
Ta tante était sage! Tu vas pouvoir déchaîner la sinistrose pour les « bougons -macabres »! Et on va bien se marrer. (Par contre moi je n’ai pas la moindre idée, et surtout… j’ai pas bien compris la consigne🙁)!