Tour à tour, le clocher de l’église, les toits et les étages hauts des maisons s’allument lentement au premier soleil du matin. En contrebas, les rez-de-chaussées et la placette sont encore acagnardés sous la couette d’ombre qui claircit et s’amenuise inexorablement à mesure que le jour vient.
Ciel bleu et rose, pavé sombre.
Personne.
Sauf deux hommes en combinaison de travail verte et jaune qui manient des balais dont le faisceau en plastique vert imite curieusement la brassée de branchettes des balais de sorcière, et nettoient consciencieusement la place, comme tous les matins.
Aujourd’hui, ils ont fort à faire : des centaine de petits cœurs en papier découpés jonchent le sol. Ils ont été lancé samedi, sur les mariés, par la noce déboulant hors de l’église. Il y a eut des applaudissements, des rires, des cris de joie, des cliquètements d’appareil photo, bref du raffut ; et puis tout le monde est remonté en auto, abandonnant les petits cœurs sur les pavés. Ensuite, le vent les a promené à travers la place, les faisant tourner autour de la fontaine, les amoncelant derrière les grilles des arbres, les reprenant aux perrons, les glissant sous les pas-de-porte, les poussant contre les devantures et les déposant aux encoignures.
Cela a duré toute la nuit, puis tout le dimanche, puis encore une nuit. Et ce matin, c’est au tour des deux employés municipaux de les débusquer à l’aide de leur balais de sorcières, de les regrouper en flaque, de les conduire en cortège, d’en faire des tas, avant de les ramasser, de les fourrer dans de grands sacs plastiques transparents et de les emmener en auto.
Quel écho relie les hommes silencieux du petit matin et la foule bruyante de l’autre après-midi ? Un auteur malin en tirerait aisément une belle intrigue : et si l’un de ces deux-là était à la noce de samedi ? Et si celui qui ramasse les petits papiers, c’était le marié lui-même ? Ou celui-ci, son premier témoin, ou encore un amoureux éconduit ?
Un autre y trouverait certainement matière à réflexions morales, drôles ou cyniques, sur le temps de la fête et le temps du labeur, ou la fragilité du bonheur et l’entêtement naïf et courageux qu’il y aurait à vouloir l’appâter avec des cœurs en papier découpé.
Moi, tout ce qui me vient à l’esprit, c’est que c’est juste le même endroit – qu’importe les figurants – tout bonnement pas au même moment.
En te lisant je pense à… « Laissez parler les petits papiers ; A l’occasion, papier chiffon
Puissent-ils un soir, papier buvard ; Vous consoler…. »
Alors laissons parler les p’tits coeurs en papier… mais tu l’as déjà si bien fait 😀
ah, les petits papiers de Gainsbourg chantés par Régine…
merci MyoPaname !
Balayer les coeurs pour les mettre à la poubelle, tout un symbole… Sniff!
Ben les jeter à tout vent par poignées et les laisser tomber par terre, c’est aussi un symbole….on est coincé !!
jolis ces petits coeurs en papier mais pauvres cantonniers qui doivent tout ramasser
Merci flipperine 🙂
Ca prête à réflexion ces cœurs au vent debout si joliment dépeints !
Merci Anne de Louvain-la-Neuve 🙂
Quel joli texte qui allie l’éphémère d’un bonheur du jour avec la réalité d’un quotidien professionnel qui n’a que faire de l’amour du jour….
🙂
Je ne commenterai pas celui-là !
Ce qui est une façon de le commenter !
🙂
N’insiste pas, je ne le ferai pas !
Allez… Vas y… Écris nous ce que tu as sur le cœur… 😉
Je n’insiste pas….mais tu peux t’exprimer si tu veux 🙂
Encore une histoire d’espace temps qui ne coïncide pas…
La vie continue. 🙂
Souhaitons aux mariés du samedi de réussir à construire leur bonheur.
ça, quand le temps et l’espace n’arrivent pas à se mettre d’accord…
Ramasser (à l’aide d’un balai de sorcière) les coeurs chiffonnés, abandonnés, échappés, souillés délavés…
Quel drôle de job !
Bravo pour cette image.
J’ai été stupéfait la première fois que j’ai vu ces balais plastique imitant le genêt de sorcière !
Le coeur serait donc le fil conducteur de la vie…Des moments exceptionnels et des moments communs reliés par des petits bouts de papier joliment découpés.
Oui, le coeur pourrait servir à ça 😉
Papiers ramachés 🙂
Amours balayées … te conseille « le coureur arrêté » de Manset, une valse avec gare et balayeurs 😉
Lundi prochain, ramasseront-ils des déclarations de ruptures ..?
Décidément, on dirait que tu me suggères d’écouter Manset
🙂
ok, j’essaie !
🙂
Chez nous ils ont inventé les souffleurs électriques 🙄
Acagnardé, c’est bien du sud, ça, on entend presque ces %ù@§ »# de cigales 😎
Monesille, par curiosité je suis allé voir « acagnardé » dans le dictionnaire… hé bien à ma grande surprise, c’est pas du sud ni populaire, mais plutôt du nord et savant : Calvin et Monluc l’emploient, puis Ronsard, et, au XIXe, Huysmans…(sans compter ces %ù@§ »# de cigales 🙂 )
m’en voilà tout ébaubi !
http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=2172560985;
Le lien n’est pas valide, mais je suis stupéfaite aussi, je vais aller enquêter de mon côté, non pas que je n’ai pas confiance mais je vois là encore matière à…
Bises
désolé pour le lien : c’est le Trésor de la Langue Française Informatisé (http://atilf.atilf.fr/tlf.htm), mais il ne garde pas les requêtes…
stupéfiant, hein ! il semble même que ça vienne du Normando-Picard « cagnard », « mauvaise chienne » = faignante… 😦 (choquant !)
D’ici à ce que ma fée soit une fée du nord, il n’y a qu’un pas que je ne voudrais pas franchir !