Une fois arrivé à l’orée du bois, juste à portée du chemin creux, l’écho émit un dernier et tout faible pom-rac-clac-clac. Et c’est tout.
Vous croyiez quoi ? Qu’il agirait comme, dit-on, le léger battement d’une aile de papillon flap-flappant depuis le bout du monde pour soulever à l’orée du bois une tempête fracassante ? Mais quel besoin d’une tempête dans cette histoire ? Il y a déjà eu un orage la première nuit.
Qu’il réveillerait, dans la mémoire de numéro huit, un écho de la chute des pommes lors de la nuit d’orage ? Mais cette nuit-là n’était pas encore pondu l’oeuf dont vingt-et-un jours plus tard sortirait le poussin… Alors comment se souviendrait-il des pommes, le poussin ? Et puis à ce moment là – maintenant, dans l’histoire – il somnole, le poussin, en boule, la tête sous l’aile, l’oreille dans les plumes ; il n’entend pas le pom-rac-clac-clac. Pas plus que Guillaume Telle, qui a perdu pas mal d’acuité auditive depuis que la foudre avait frappé son poulailler, la nuit de sa rencontre avec les sept cailloux.
Mais alors, qui l’a donc entendu, l’écho pom-rac-clac-clacquant, venu du bout du monde ? Quand même pas les cailloux, les mutiques, les statiques cailloux ? Hé bien si. C’est qu’ils ont fait du chemin depuis le premier épisode.
Attentifs au monde extérieur comme ils l’étaient devenu depuis qu’ils avaient décidé de prendre soin de numéro huit – d’abord caillou idéal puis drôle de caillou jaune et duveteux – , les sept petits cailloux ouïrent donc le faible pom-rac-clac-clac, l’enregistrèrent, l’analysèrent, et en discutèrent, comme ils ouïssaient, enregistraient, analysaient et discutaient les sons et les vibrations qui leur provenaient du reste du monde.
« Ah, tiens, les arbres de la forêt se renvoient de branche en branche l’écho d’un pom-rac-clac-clac, dit le premier caillou.
– Oui, un pom-rac-racl entrainé à travers les combes de la forêt par les roseaux bruissants d’un bord de lac, précisa le second ; le troisième poursuivit :
– Il a ricoché de rapides en cascades, emporté par un torrent…
– …entre les parois abruptes des à-pics de la montagne…
– …et il a passé les cols poussé par le vent d’ouest, complétèrent tour à tour le quatrième et le cinquième cailloux.
– Bref, on peut dire de façon certaine qu’une pomme a chuti-chuté et rouli-roulé dans l’herbe d’un verger dans une contrée très très lointaine, vers le milieu de l’après midi », conclut le dernier caillou.
Ce qui montre bien à quel remarquable degré de précision étaient arrivés les sept cailloux en matière de perception et d’analyse acoustique !
Cela posé, le dernier reprit : « Bon, on sait ce que c’est. Mais sait-on pour autant ce que ça signifie, ce pom-rac-clac-clac ?
Le sixième demanda :
– Ce que ça signifie ? Tu veux dire, Un message ? un appel à l’aide ?
Le cinquième :
– Ou un signal ? Peut-être pour les nains qui nous recherchent parce qu’ils croient qu’on est des pierres précieuses ?
Le quatrième :
– Et le pom-rac-clac-clac leur rappellerait les pommes chues la nuit de l’orage, et donc, nous ?
Le troisième :
– Et comme pour eux, le temps tourne en rond, ils seraient bientôt là, comme le soir de la nuit de l’orage ?
Le second :
– Mais on n’est pas sûr qu’un enfant perdu passe par ici et les emmène dans la nuit !
Et le premier :
– Et qu’est-ce qu’ils vont dire en voyant un caillou emplumé ? Ça va faire vaciller leurs certitudes minéralogiques !
Alors, tous ensembles :
– Ils voudront l’emmener ! Le tailler ! Le polir ! Le monter en bague ! En tiare ! En broche ! l’ouvrir pour voir ce qu’il y a à l’intérieur !»
Ils en furent si paniqués – phénomène d’autant plus terrifiant pour eux qu’il est rarissime chez des cailloux – qu’aucun ne pensa que si les nains avaient été en route, ils – les cailloux – auraient entendu un bruit de bottine naine, d’outil cognant, fer contre fer, au fond d’un sac, ou un simple aï-hi-aï-ho, tous signes avant-coureur de nains en vadrouille. Bref, si les cailloux arrivaient désormais à percevoir et analyser plutôt précisément les sons et vibrations du monde, on voit qu’ils n’étaient pas encore tant avancés sur le chapitre – toujours délicat – des interprétations. Quant à l’action, ils étaient encore partisans de la pesanteur et de l’inertie, même s’ils se rendaient confusément compte que, face à sept nains déterminés, ça n’aiderait guère numéro huit.
En fait, tout à fait entre nous, on n’était pas prêt de revoir les nains de ce côté-ci de la forêt : au moment même où les cailloux cédaient à la panique, ils – les nains –, bien loin de là, se préparaient à franchir une porte ronde à flanc de colline afin de recruter un cambrioleur ; mais c’est une tout autre histoire.
Quoi qu’il en soit, la frayeur des cailloux était telle que Guillaume Telle perçut leur agitation, sans bien en saisir l’origine ou le sens. Perchée sur ses hautes pattes, la grande poule rousse les considérait avec une inquiétude mêlée d’espoir : allaient-ils enfin éclore, ces petits fripons d’œufs rétifs ? Pendant ce temps, au milieu des cailloux, le poussin dormait d’un sommeil renfrogné. Un moment passa, puis numéro huit sortit la tête de dessous l’aile, se leva sur ses pattes hésitantes, s’ébroua, regarda les cailloux, se tourna vers Guillaume Telle qui tournicotait anxieusement alentour, s’éclaircit le bec d’un tchip-tchip rocailleux et dit enfin :
– …
* * *
à ton avis, lecteur, keskidi le p’tit poussin ?
Encore une fois, carte blanche aux lecteurs, via les commentaires. Précision, chacun peut voter pour plusieurs choix ! Et cette fois le prochain épisode sera le dernier…
Sinon, l’histoire commence là.
« Quand donc mes frères et sœurs passeront-ils de l’immanence à la transcendance ? »
C’est une sacrée question que pose n° 8 ! D’ailleurs, la pose-t-il aux cailloux ou à Guillaume Telle ?
🙂
« je préfère les Beatles aux Rolling Stone »
c’est noté !
« C’est quand qu’on mange » ????????????
D’accord : c’est donc une question pour Guillaume Telle, c’est elle qui gère l’intendance !
🙂
pendant qu’elle ira au ravitaillement, il peut se passer tant de choses 😉
… Ou peut être Piou-piou-piou ? J’hésite !
c’est une vraie question, en effet…. mais faut pas hésiter trop longtemps, j’ai une suite à écrire !
🙂
Peut-être qu’il dit : « Et cette envie de bavarois à la framboise qui ne passe pas ! ».
Et voilà le retour de bavarois à la framboise du 7e épisode (et on découvre que le bavarois, comme Verlaine, préfère l’impair)
🙂
Art poétique
De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l’Impair
Plus vague et plus soluble dans l’air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
Il faut aussi que tu n’ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise :
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l’Indécis au Précis se joint.
C’est des beaux yeux derrière des voiles,
C’est le grand jour tremblant de midi,
C’est, par un ciel d’automne attiédi,
Le bleu fouillis des claires étoiles !
Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance !
Oh ! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor !
Fuis du plus loin la Pointe assassine,
L’Esprit cruel et le Rire impur,
Qui font pleurer les yeux de l’Azur,
Et tout cet ail de basse cuisine !
Prends l’éloquence et tords-lui son cou !
Tu feras bien, en train d’énergie,
De rendre un peu la Rime assagie.
Si l’on n’y veille, elle ira jusqu’où ?
O qui dira les torts de la Rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d’un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime ?
De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée
Vers d’autres cieux à d’autres amours.
Que ton vers soit la bonne aventure
Eparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym…
Et tout le reste est littérature.
Paul VERLAINE
hé bien voilà ! Merci !!
Imagination, humour, style. Top !
Merci Virginie ; la recette: mettre à contribution l’imagination, l’humour et le style des lecteurs en les faisant plancher sur les suites possibles à ma place.
😉
Excusez le chat… mais ça y est ! Je comprends tout maintenant.
Le chat ? voilà qu’il ya un chat dans l’histoire maintenant ? En tout cas il a de la chance, numéro huit, s’il a tout compris à l’histoire.
Je ne peux pas en dire autant 🙂
Il faut toujours un chat dans une histoire, sinon c’est bancal !!
🙂
« Mes frères commencent à paniquer ! Pas moyen de devenir pierre tranquillement, il est temps que cette histoire se termine où on va finir en jeu de boule et je vais servir de cochonnet ! »
finir par une partie de pétanque ?je n’y avais pas songé 🙂
Merci Monesille, c’est noté.
J’ai voté Piou, piou, piou, parce que:
Piou piou piou, et les cailloux,
L’un contre l’autre cognés
Pour servir d’osselets,
Un concert venu on ne sait d’où
Vont se mettre à jouer
Piou,piou, piou, allez zou!.
deux fois merci Jacou : d’être venu voter et pour le poème piou piou.
De l’immanence à la transcendance est très important. Mais peut-on revenir de la transcendance à l’immanence, au cas où on ne s’y sentirait pas bien ? Quelle angoisse !
Je pense que si on se retracte dans les sept jours ouvrés, ça doit pouvoir se faire…. faudrait pouvoir lire les petites lignes du contrat.
Cette histoire me pétrifie!
(ainsi parlait N° 8)
Un instant, j’ai eu peur que cette histoire te prétrifie !
🙂
oups, « pétrifie » !