Loup, poule ou pomme ? (les sept cailloux, 7)

Les sept cailloux réagirent comme ils l’avaient toujours fait face aux spectacles inédits, changeants et incompréhensibles que le monde leur offrait : avec mutisme et immobilité. Ce qui n’empêcha évidemment pas l’inéluctable : couvert de fissures et de lézardes, le caillou numéro huit s’écailla. D’une brèche lentement élargie, un petit bec jaune et triangulaire pointa soudain. Puis apparue une minuscule tête jaune emmanchée d’un cou maigrelet, suivi d’une petite boule jaune posée sur deux frêles tiges jaunes. Et voilà !

Force est d’admettre que lorsque, avec l’aide inquiète de Guillaume Telle débordant de fierté, le poussin, petite chose duveteuse, maladroite et passablement ridicule, finit de s’extraire des fragments émiettés du soi-disant huitième caillou , les sept cailloux se comportèrent tout à fait dignement. Certains diront que c’est à leur cœur de pierre – chose d’ailleurs bien normal pour des cailloux – qu’ils devaient cette apparence flegmatique. Je préfère croire que c’est leur éducation – stabilité, densité, inertie – qui leur permis de faire face et d’encaisser le choc – réaction salutaire, car, comme dit le proverbe, il n’est caillou qu’un trop grand choc ne brise.

Puis, n’y tenant plus, ils tinrent le conciliabule suivant : 
« C’est donc ça le destin d’un caillou ? Un jour, s’effriter, s’émietter pour laisser sortir ce qui dort en nous ? demanda le premier. Le deuxième s’inquiéta :
– Est-ce qu’au moins on peut choisir ce qu’on devient ? Si c’est possible, je me verrais plutôt en poule qu’en pomme, et plutôt en loup qu’en poule.
Le troisième répondit:
– Loup, poule ou pomme, tout ce que vous voulez, mais pour l’instant, on est des cailloux ! Advienne ce qu’adviendra, on verra bien assez tôt ce qu’on devient, non ?
Le quatrième dit :
– Si on doit changer, en se concentrant vraiment fort, on pourrait devenir des pierres précieuses, non ?
Le cinquième précisa :
– Hum, des rubis ou des émeraudes… c’est un truc à attirer les nains ; si on devenait plutôt des dragons ? de petits dragons rouges ? C’est nous qui les courserions, les nains, pour changer…
Le sixième dit alors :
– De toute façon, qu’est-ce qui prouve que nous, on est vraiment des cailloux ? Et en fin de compte, c’est quoi, au juste, un caillou ?
Le dernier prit enfin la parole :
– Hé les cailloux, et si on s’occupait plutôt de numéro huit ? Même devenu poulet, c’est quand même un des nôtres, non ? »

La solidarité n’est pas un vain mot chez les cailloux : désormais, mettant de côté réflexion et discussion sur leur possible devenir, ils veillèrent sur le poussin : quand Guillaume Telle s’éloignait pour traquer les pépins de pomme, ils protégeaient le petit nouveau des vents coulis qui couraient au ras du sol. Quand le soleil dardait et qu’il faisait chaud, ils s’arrangeaient pour le garder à l’ombre ; et aussi, ces jours-là, ils essayaient de s’imprégner de la chaleur du soleil afin de pouvoir réchauffer numéro huit lorsque le froid menacerait. Une fois même, ils s’érigèrent en un petit rempart pour contrer l’intrusion d’un renardeau maraudeur, faisant face jusqu’au retour précipité de Guillaume Telle.
Ils firent plus : bientôt, ils se surprirent à prêter attention à la course du vent dans les branches et les herbes, au vol des nuages dans le ciel, aux trottinements des petits animaux sur le sol, pour essayer de déterminer les événements à venir, de les prévoir, de les anticiper ; tout cela, afin de mieux protéger ce drôle de caillou duveteux. Bref, attentifs, ensembles, ils devenaient sensibles aux milles variations et fioritures éphémères du monde – du moins dans le périmètre circonscrit entre l’orée du bois et les bords du chemin creux, mais c’est déjà un début.

Moins paradoxalement qu’il pourrait sembler, cette attention les empêcha de percevoir le malaise qui affectait leurs hôtes. En effet, après le succès de l’éclosion de numéro huit, Guillaume Telle s’inquiétait de voir que les sept autres – que nous savons cailloux, mais qu’elle considérait œufs – ne suivaient pas le même chemin et restaient implacablement clos. Impatiente de voir sa couvée complète trotter sus aux grains, graines et pépins, il lui prenait des envies de tapoter leur coquille avec son bec ; ce que, peur de mal faire, elle n’osait.
Pis encore, la poule constatait que, quelque soit les soins qu’elle apportait à son premier poussin, celui-ci ne gambadait guère, préférant rester immobile dans le nid, prostré au ras du sol, l’air infiniment las.

* * *
à ton avis, lecteur, qu’arrivait-il au numéro huit ?

Cette fois ci, deux propositions seulement et carte blanche aux lecteurs, via les commentaires comme d’habitude. Précision, les indécis peuvent voter pour plusieurs choix !

Ha, et puis les épisodes précédents sont là : un, deux, trois, quatre, cinq & six.

 

49 commentaires

      • Certes ! reste à expliquer comment ce poussin né en bord de chemin à l’orée d’un bois, élevé par une poule et des cailloux, a eu l’idée d’un bavarois à la framboise…

        • A mon avis il a du penser qu’il était en pleine forêt noire ou forêt bavaroise, l’entremet bavarois est naturellement venu s’y superposer.
          Si c’est la framboise qui reste mystérieuse, elle me fait un peu penser à la « morula », dérivé de mûre, qui est l’embryon au stade de développement précoce, relié à l’œuf et au poussin, la fraise n’aurait pas donné le même raisonnement, voilà en tout cas une question qui m’a fait réfléchir.
          De là j’ai envie d’en déduire que c’est peut-être un poussin gynécologue-obstétricien.

  1. Il avance bien ce conte.
    Drôle, tendre, sensible et quelle écriture agréable !
    Merci et Bravo… vivement la suite 🙂

  2. En vrai c’est un vilain petit canard qui se prend pour une autruche
    Guillaume Telle y vout un signe et part pour le festival des canes ….

  3. Guillaume Telle appelle le Dr Einstein en consultation. Son diagnostic est inquiétant……… ce que le petiot paraît être n’est peut être pas aussi vrai qu’il n’y paraît !!!

    • « ce que le petiot paraît être n’est peut être pas aussi vrai qu’il n’y paraît  »
      heu, je ne suis pas sûr de comprendre cette phrase… mais d’accord 🙂

  4. J’ai adoré cette phrase :
    « De toute façon, qu’est-ce qui prouve que nous, on est vraiment des cailloux ? Et en fin de compte, c’est quoi, au juste, un caillou ? »

    En effet, comment savoir ce que recèle un caillou non fissuré?
    Le poussin veut se renfermer dans sa coquille qui lui manque depuis qu’il n’est plus caillou.

  5. C’est vrai qu’on n’est po vétérinaires !! J’ai bien ri !!… Cependant : Le vilain petit poussin, choqué d’être aussi aisément et à contre-emploi accepté par ces drôles d’oeufs durs se rebelle et proteste par un mutisme de pierre !!!

  6. Kant n’aurait pas fait mieux 😀 quelle aventure !!! tout est dans la question existentielle de la connaissance des cailloux…………

  7. Le Dr Einstein (prononcer Aïnstiin comme dans Franckestiin) a bonne réputation mais c’est un malandrin doublé d’une crapule maraboutée. Comme tous les médecins bien pensants, il pense que la mère a tort et que son diagnostic est imparable. Mais ils zont (du verbe zavoir) tout faux, tous les deux. Guillaume Telle parce qu’elle n’a pas couvé le bon œuf et que c’est en réalité un alligator qui dort, le marabout parce que c’est un con. Mais je n’ai pas lu les épisodes précédents, petite nouvelle tombée dans la potion magique.

  8. Le poussin a attrapé la maladie des pierres: la lithotite, et une seule chose peut l’en guérir: à Guillaume Telle de la trouver.

  9. J’aime bien les conversations ici. c’est un peu du genre : « tout ce que vous avez toujours voulu savoir en culture générale sans jamais oser le demander ».
    Ainsi sur les trovants, la lithotite du K-You, le verbe zavoir, Telle y vout qui croit y voir, la pierre pierrosophale et j’en pâsse.
    La culture caillouteuse n’est pas si hermutique qu’on aurait pu le penser.

  10. En attendant je m’assieds dans un coin et je regarde grandir les cailloux ! car petit caillou deviendra grand pourvu que Carnetsparesseux lui prête vie…

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