Pluie dans la nuit (les sept cailloux, 4)

résumé des épisodes précédents (un, deux & trois) : sept petits cailloux menaient une vie paisible, jusqu’au soir où sept nains avides de pierreries s’arrêtèrent devant eux, bientôt rejoint par un enfant perdu… et une pomme qui roule.

* * *
Une main sur la pomme rouge, il dit :
– Zut, il pleut !
Et, en effet, plic, plic, ploc, plic les premières gouttes d’une ondée trouaient le capuchon de silence de la nuit. Le hasard voulut même qu’une de ces gouttes éteigne la loupiote du môme, refermant le petit groupe – cailloux, nains et enfant perdu – sous la noire houppelande de l’obscurité. De saisissement, le môme se cramponna à la pomme rouge et en oublia les sept cailloux, la bottine entraperçue et les sept nains. Vous allez me dire qu’il était bien impressionnable ; j’aurais voulu vous y voir, vous, perdu, la nuit, à jeun et sous la pluie, agenouillé dans un chemin, la main sur une pomme rouge, entre nains et cailloux.

Les sept cailloux restaient cois et stoïques sous l’averse ; il faut dire qu’ils n’étaient ni à jeun ni perdus ; et puis rester cois et stoïques, c’était quand même ce qu’ils faisaient le plus facilement. Les nains, eux, conciliabulaient à voix basse et en latin nain – langue inaudible aux non-nains comme aux non-latinistes :
« Haï hi, les gars, qu’est-ce qu’on fait du môme ?
Le deuxième répondit :
– Haï ho, qu’est-ce qu’on fait de la pomme ? Car les nains trouvent malin de répondre à une question par une autre question.
Le troisième et le quatrième précisèrent :
– Haï hi, et les cailloux ? Car les nains abandonnent rarement un sujet de discussion avant d’en avoir fait le tour.
Le cinquième compta :
– Haï ho, sept cailloux, ça fait un pour chacun d’entre nous, mais une seule pomme, va falloir faire une division ; car les nains savent compter.
Le sixième dit alors :
– Les cailloux, c’est des cailloux, on en a déjà plein nos sacs ; haï ho, la pomme, on n’a qu’à la rapporter à Blanche-Neige ; car les nains sont des personnes comme les autres, et tous n’ont pas le même caractère, ni le même appétit, ni les mêmes priorités.
Le dernier demanda enfin :
– Haï hi, les gars, on rentre du boulot ou on ramasse des pommes, haï ho ? »

A ce moment, la pluie redoubla, une bourrasque ébouriffa les arbres bordant le chemin creux et on entendit le pom, pom, pom, pom, pom, et pom caractéristique de fruits chutant, puis le rac-clac-clac-rac-clac-clac des mêmes fruits rouli-roulant d’un bord à l’autre du chemin, jusqu’à s’arrêter aux pieds des nains et du gamin. Un autre éclair illumina la scène et le môme dit :
– Chouette, une autre pomme, non, trois, quatre pommes, non, cinq, six, sept d’un coup ! Mince de chance !
Et de se mettre à courir de-ci de là pour ramasser les pommes. Comme il revenait, les bras chargés de fruits, un nouvel éclair lui dévoila les nains. Ceux-ci avaient silencieusement empoigné qui un marteau, qui une pioche, qui un tamis – ils ne portaient pas tous un lot complet d’outils, et dans le noir, chacun avait attrapé ce qu’il pouvait, à la guerre comme à la guerre et au petit bonheur la chance – et se tenaient prêts à faire face à toute éventualité : certes, le mioche était seul, perdu, affamé et chargé de pommes, mais de nos jours, on ne sait jamais ce que les mômes nous réservent.

Et de fait, le gamin posa devant lui les pommes en pile, puis, sortant de sa poche une fronde, tendit une main derrière lui, vers le premier des sept cailloux. Puis plus personne ne bougea, ni le mioche, ni les nains, ni les pommes, ni – bien sûr – les cailloux ; seul la pluie, qui tombait et ruisselait à qui mieux-mieux, animait un peu la scène. Soudain, le môme s’exclama :
« Zut alors, c’est vous, les frangins ! Vous m’avez fait marcher ! J’ai failli vous prendre pour des nains ! C’te bonne blague ! »
Visiblement, il confondait les nains et ses frères perdus en forêt. Et d’empoigner les nains éberlués, de les serrer dans ses bras maigres, de les secouer affectueusement !
« Zavez faim ? J’ai des pommes ! Zavez quoi dans vos sacs ? » Quoi disant, il renversa un sac par terre. « Zut alors, des cailloux qui brillent ! Pratiques, pour retrouver son chemin la nuit ; allez, assez perdu de temps, faut rentrer à la maison si on veut pas se faire secouer le poil par les parents ».

Là-dessus, il ramasse les pommes, attrape les nains par la main et les entraîne, à la queue-leu-leu, dans la nuit !

Oubliés, les sept cailloux. Ils restèrent seuls sur leur bord de chemin, à attendre…

* * *

à ton avis, lecteur ?

il suffit, comme pour les épisodes précédents, de choisir ci-dessus la proposition que vous préférez ou, via les commentaires,  d’en proposer une que j’ajouterais dans le sondage. La lauréate me servira de point de départ pour le 5e épisode. Au passage, merci pour toutes les propositions faites pour les épisodes précédents !

46 commentaires

  1. Pauvres cailloux délaissés ! Il y a usurpation de personnages !!! 😆 Mais oui vivement que les nains reviennent, z’ont pas l’air clairs-clairs hein ??? Tu m’as fait rire avec ton « latin nain »…

  2. Je vote pour que la pluie s’arrête, ces pauvres cailloux doivent êtres transis et il me semble avoir entendu l’un d’entre eux claquer des dents, à moins que ce ne soit la pluie qui fasse encore des claquettes, difficile à affirmer.
    C’est plein de rebondissements aussi étonnants les uns que les autres.
    Passionnant !

  3. le tram 33 pour aller chez Eugène manger des frites et retrouver la Madeleine … Parce que j’aime bien les comédies musicales 🙂

    • (Après la lecture) Re-Yeeeeeeees !!!! j’adore le plic ploc plic plic… Niveau bruitage, c’est top !! Aurais-tu engagé le bruiteur de bouche de « La cité de la peur » ? C’était également une comédie familiale !!!

  4. Cet épisode est d’une grande mélancolie. Les sept cailloux se retrouvent à nouveau seuls..jusqu’à ce que le jour se lève. Il pourraient se mettre les uns sur les autres pour former un cairn visible de tous.

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