On conte qu’en l’an Tant-et-tant, un certain évêque entreprit le recensement des saints patrons de son diocèse. Quand son secrétaire lui remit la liste, il s’aperçut – surprise ! – qu’à la suite des saints prestigieux, ceux de la Litanie des Saints et du calendrier liturgique, le registre compilait une faune plus originale…
Ainsi l’évêque effaré découvre sainte Craque – invoquée pour les articulations douloureuses ; Nitouche – idem pour les amours hésitants ; Frousse – idem, le courage vacillant ; Guenille – idem, la nippe couturée ; où Paye – idem, la thune assurée…
En effet, non seulement certains évangélisateurs pressés avaient recruté les génies des bois et les esprits des eaux pour le service de la vraie foi – encore ceux-là, parfois quelque peu sorciers, doivent-ils à leur désignation par un saint missionnaire un vernis officiel ; mais surtout, au fil des temps, on avait trop souvent cédé à la folie du peuple des bourgs et des campagnes, qui, vox populi, vox dei, choisissait à plaisir de nouveaux saints, admirables pour leur talent de raccommodeur de misères, comme autant d’assurances contre les malheurs des temps : saintes et saints Pleure, Caquette, Clipe-Clope, Crique-Croque ou Rique-Raque.
L’évêque se dit qu’il faut sonner le tocsin et trier le bon grain de l’ivraie, afin que la Légende dorée ne ressemble plus à un caravansérail un soir de foire. C’est aussi l’occasion rêvée de se faire remarquer en haut lieu, et de s’évader des cloîtres provinciaux pour gagner, qui sait, le Vatican ! Il consulte donc sa liste en cherchant quel nom rayer en premier :
« Voyons, sainte Grelotte ou sainte Pelote ? Non…. Pour frapper les esprits d’un coup de tonnerre, il faut un exemple qui marque ; Pour cela, quel meilleur choix que saint Paresseux, digne compagnon de sainte Flemme, parents de l’oisiveté, mère de tous les vices ?! La paresse est un péché capital…ça va marcher comme sur des roulettes. »
L’évêque, qui se croit seul dans son bureau, entend alors une voix :
« Allez donc, un péché capital ! Ne sursautez pas comme ça, Monseigneur, ça n’est que moi, saint Braillard, patron des avocats sans cause. J’assure la défense de saint Paresseux ! »
Ébahi, il comprend que la voix vient de la feuille posée devant lui. Elle continue :
« C’est d’ailleurs le plus véniel des péchés capitaux… Monseigneur nous expliquera sans doute comment un péché capital peut-il être véniel ? »
Bouche bée, l’évêque se dit que son catéchisme était bien loin, tandis que de la feuille s’élève une autre voix :
« Ici saint Joseph, patron des travailleurs, qui vous parle : j’accuse ce misérable saint Paresseux d’être opposé au travail, auquel Dieu a condamné Adam et sa descendance ! »
À quoi saint Braillard répond :
« Mon client n’est pas contre le travail : interdit-il aux abeilles de faire du miel ? Et s’il ne file ni ne tisse, c’est à l’image des lys des champs de la parabole du Christ…. Et enfin, le travail n’est-il pas une malédiction, lancée par Dieu en personne? Quel mal y a-t-il à ce qu’un saint s’oppose à une malédiction ?
– Il n’a même pas connu le martyre, crie alors sainte Blandine.
– Laissez moi rigoler, rétorqua sainte Farce. Faut avoir été découpé en petits morceaux pour mériter l’auréole ? »
Les épithètes fusent maintenant de toute la page, et de vieilles rancunes se mêlent au débat :
« Il fait rien de miraculeux, votre fainéant, il dort !
– Taisez-vous ! Et vos sept Dormants d’Éphèse, ils sont pas célèbres pour avoir dormi septante-sept ans ?
– Faut-il que vous soyez des vautours en guenille, vous qui exploitez la crédulité populaire à notre place !
– C’est vous qui nous piquez nos fidèles !
– Votre saint Paresseux est imprévoyant !
– Et alors, quelle meilleure marque d’absolue confiance dans le lendemain ?
– Au bûcher, sainte Allumette !
– Et puis il n’a fait de tort à personne, pas comme votre très sainte inquisition ! »
À un moment, l’évêque, éberlué par la mêlée générale, demande, mezzo voce, à saint Paresseux :
« Vous ne dites rien ?
– La flemme. Des mots, tout ça. Ça dure depuis la fête de saint Glinglin… Mais venez avec moi demain, je vous montrerai quelque chose qui vaut mille mots. »
On conte qu’au matin, aux premiers feux du soleil, l’évêque a quitté son palais, juché (l’évêque) sur son âne Caramel, à la jolie robe chocolat. Suivant son saint guide, il gagne l’ubac d’une vallée solitaire où il passera la journée confortablement acagnardé sur la mousse, plus douce qu’un sofa de soie, à suivre le mouvement des nuages.
On dit enfin qu’il s’est fait ermite, et qu’aujourd’hui encore, allongé sous les branches des arbres fruitiers, les mains croisées sur le ventre, il observe la pousse des fruits et l’envol des oisillons, tout dévoué à saint Paresseux.
* * *
Texte écrit pour le jeu du calendrier ironique de mai sur le thème de la paresse et les 44e plumes d’Asphodèle. En conjuguant les deux, ça donnait les mots : abeille, admiration, articulation, amour, allumette, branche, caramel, caravansérail, céder, chocolat, cloître, clope, conte, courage, couture, croquer, (s’) évader, feu, folie, ivraie, pelote, plaisir, pleurer, raccommoder, raquer, sofa , ubac, thune, tocsin, tonnerre, vautour, ventre, vernis (plus deux ou trois que je n’ai pas retenu); ainsi que les modes suivants : indicatif, subjonctif, participe, infinitif et impératif.
Les textes des autres participants sont ici (agenda ironique) et là (44e plumes).
* *
Je reconnais volontiers ma dette envers le Dictionnaire des saints imaginaires et facétieux de Jacques Merceron, auquel j’ai emprunté les saintes et saints Braillard, Caquette, Farce, Flemme, Glinglin, Guenille, Nitouche et Paye.
Saintes et saints Allumette, Clipe-Clope, Craque, Crique-Croque, Frousse, Grelotte (mais il existe un saint Grelottin), Pelote, Pleure (mais il y a un saint Pleurard), et Rique-Raque, ainsi que saint Paresseux (mais sainte Paresse existe), sont, eux, des saints imaginaires fictifs, créés pour les besoins de ce conte.
A reblogué ceci sur Gibulenepetitescargot's Bloget a ajouté:
j’aime, j’aime 😉
Ben merci Gibulène !
J’adore! Quelle imagination, tu as! En plus tu as le sens de l’économie puisque ce joli et inventif billet te fait double usage.
La paresse oblige à l’économie, même si ça complique parfois l’écriture : une trentaine de mots imposés, pfuuuu….heureusement que j’en ai laissé plusieurs en route
🙂
[…] https://carnetsparesseux.wordpress.com/2015/05/15/la-defense-de-saint-paresseux/ […]
J’engage les uns et les autres a aller lire les textes et, si le coeur leur en dit, à voter pour celui qu’ils/elles préfèrent !
On reconnait bien là le saint patron de l’auteur des Carnets.
Bon rythme, beaucoup d’humour et de légèreté… Super texte encore une fois.
Merci !
Merci ; il fallait bien que je défende le saint patron des Carnets du même nom 🙂
Sainte lecture !
🙂
dur de joindre les 2 bouts hein ?? Mais ca donne parfaitement bien !!
Par rapport à l’addition des deux contraintes ? en fait, c’est plus l’histoire qui m’a posé souci que les mots eux-même (bon, j’ai quand même viré tous les mots trop modernes pour l’histoire). Je voyais bien comment commencer et finir, mais le milieu m’a donné du fil à retordre
🙂
Mouarf ! Encore un bon moment à te lire : cette ode à la Sainte paresse est jubilatoire, surtout la chute et la conversion de l’évêque ! C’est bien connu, un paresseux sait faire travailler les autres, c’est la base !!! 😀
Il était déontologiquement impossible que saint Paresseux se convertisse au boulot, il a bien fallu que ce soit l’autre qui cède
🙂
Un billet travaillé sur un paresseux. Il faudrait en faire un sur St Jubil à Toire (Provence).
Joli ! je te laisse le soin d’écrire sa vie exemplaire !
c’est un bien joli conte
Merci, Flipperine 🙂
Un très joli conte, bravo 🙂
🙂
Hi Hi Hi
Bon je crois que je vais aller faire une petite sieste, moi😄😄😄
Voilà, saint Paresseux prêche par l’exemple 🙂
Lu hier et oublié de te dire combien je me suis délectée. C’est réparé, ce soir
Merci d’être venu le lire et d’être repassé pour le message !
Très joli texte, bien mené ! Vraiment agréable à lire …
merci ; je me suis bien amusé à l’écrire !
J’applaudis des deux mains, la défense de saint Paresseux est vraiment magnifique, saint Braillard est un fabuleux avocat !
Merci Sharon,
j’ai trouvé que le nom de saint Braillard allait bien avec le prétoire, mais vérification faite dans le « Merceron », c’est en réalité le patron des enfants qui pleurent !!!
Bon, après tout, le saint patron des mômes est tout indiqué pour plaider la cause de la paresse 🙂
j’applaudis aussi 😉
Muhaha : « sainte Craque – invoquée pour les articulations douloureuses ; Nitouche – idem pour les amours hésitants ; Frousse – idem, le courage vacillant »
Bravo pour cette paresse rondement menée 😉
Merci ! tout un boulot, la défense de la paresse !
J’adore ce nouveau calendrier et encore plus que les saints officiels et moins officiels se rentrent un peu dedans ! En revanche il faut espérer que les futurs parents ne feront pas une recherche Google pour trouver des prénoms inédits !!!
je me suis dit qu’il n’y avait pas de raison pour que les saints soient exemplaires en tout : et puis un peu de pêché d’orgueil et de jalousie, c’est véniel…
🙂
Mais si jamais quelqu’un appelle son mome « sainte Craque », je demande un sachet de dragées !
J’ai ri et souris en lisant cette apologie des saints 🙂
Et puis j’en ai appris de belles, moi qui n’en connaissait qu’un seul « saint couillon » parce que c’est ma fête tous les jours 😆
Merci pour cet excellent moment
mais alors on a le même saint patron 🙂
l’éloge de la paresse que c’est bon à lire, et cela réconforte de voir tous ces saints défilés les uns derrière les autres, mais il a craqué ce bon Monseigneur ! quand même !
Merci Janickmm
pauvre monseigneur, contre un saint -même paresseux -, la partie était jouée d’avance… 🙂
bien écrit, c’est indéniable… et sa lecture m’aura valu quelques sourires bien sentis…
j’ai aussi un peu souri en l’écrivant… merci !
[…] Le texte qui a remporté le plus de succès est celui de Carnets paresseux. Un grand bravo ! Vous pouvez retrouver son texte ICI […]
[…] me twitwittait un truc en Tolstoï, . . je vous laisse découvrir ça, il avait sûrement lu tout carnet muet et tout patte ferroviaire pour pondre son article. Pas moyen de lui échapper, les deux armes […]
Mais que c’est joli, ce conte ! Un petit goût de Daudet, de sous-préfet-aux-champs, c’est tellement agréable. Bravo Carnets, je ne m’étonne pas que tu aies encore remporté cette édition de l’agenda ironique ! 😀